L’univers totalitaire en littérature et au cinéma (8)

Un récit mettant en scène l’humanisme aux prises avec la dictature montante, symbole d’un phénomène récurrent dans l’Histoire.

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L’univers totalitaire en littérature et au cinéma (8)

Publié le 28 mars 2023
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Qui mieux que Stefan Zweig a pu témoigner de sa profonde désillusion face à la montée des totalitarismes et la rapide déliquescence du Monde d’hier ?

Par l’intermédiaire de ce récit, il met en exergue – à travers la sagesse et le courage de Cicéron – les formes de résistance aux dictatures, et par extension aux régimes totalitaires, qui tentent d’asservir l’Homme au service de leurs desseins.

 

L’opposition morale aux totalitarismes

On connaît le Stefan Zweig auteur de romans, nouvelles, ou encore pièces de théâtre (voir notamment en référence tout en bas de cet article, le rappel des vingt volets de notre série d’été de 2017). Mais Stefan Zweig est aussi connu pour ses biographies, en particulier de grands penseurs ou romanciers. Ici, il se livre au croisement des deux genres littéraires, pour mieux faire ressentir les formes de résistance que l’homme de lettres peut opposer à la violence du pouvoir.

Cicéron s’inscrit ainsi en défenseur du droit et de la liberté face à la montée de la dictature, incarnée par César, puis par Antoine. C’est à la fois la liberté intérieure mais aussi la création littéraire et artistique qui permettent de forger l’Histoire et de célébrer l’Esprit, dont les artisans sont les véritables héros du progrès, pour reprendre le titre d’une passionnante série d’Alexander Hammond éditée sur Contrepoints.

Ainsi que l’écrit Michel Magniez dans la préface de l’édition Rivages poche en lien en bas de cette présentation :

Cicéron, sous la plume de Stefan Zweig, devient aussi le symbole de l’affrontement perpétuel, dans l’Histoire du monde, entre d’une part la conscience individuelle des grands personnages attachés à la liberté et, d’autre part, « la violence » exercée par les tenants du pouvoir politique.

C’est par l’opposition morale que certains esprits brillants parviennent à exercer une influence durable quand la vie réelle et politique signe notre relative impuissance dans le présent des tourments des événements, dont les réitérations sous des formes différentes sont manifestes (à l’époque où Stefan Zweig écrit, la montée du fascisme et du nazisme).

 

Défendre la liberté au péril de sa vie

C’est ainsi qu’après avoir connu une vie d’engagement actif et un rôle influent au sein de la Cité, Cicéron se retire pour méditer et écrire. Ce sont ces quelques dernières années, celles qui le consacrent en tant que penseur et homme de réflexion humaniste, que Stefan Zweig nous narre brièvement (le texte est court). Trois années de retraite riches en méditations avant que le destin bascule : l’assassinat de Jules César intervient, l’heure est à la confusion, à la guerre civile, aux rivalités de pouvoir, au risque de disparition définitive (qui interviendra effectivement) de la République qu’il défend corps et âme. Lorsqu’il sera encore temps de fuir et alors que son engagement lui vaudra l’assurance d’une condamnation, l’ex grand orateur devenu homme de lettres choisira de faire face.

À travers le texte de Stefan Zweig, on perçoit la manière dont l’écrivain autrichien se projette dans ce destin contrarié, lui qui a choisi l’exil en fuyant le nazisme, mais ne s’en est jamais remis (il s’est suicidé avec sa femme, au Brésil, en 1942) :

Et en effet, par deux fois, par trois fois, ce réprouvé semble décidé à prendre la fuite. Il prépare tout, il informe ses amis, il embarque, il se met en route. Mais Cicéron s’arrête toujours au dernier moment : celui qui a connu un jour la tristesse de l’exil ressent même en plein danger le bonheur que lui procure la terre familière, et l’indignité d’une vie passée à fuir. Une volonté mystérieuse, au-delà de la raison, et même contraire à la raison, l’oblige à faire face au destin qui l’attend.

Cicéron se pose ainsi en défenseur du droit contre les démagogues et contre le despotisme. Il promeut dans ses écrits la culture de l’esprit et des arts, ainsi que les droits naturels de la plèbe, contre les abus du pouvoir et toutes les horreurs, violences, guerres de conquêtes, pillages, usages de la force, ou encore manque de clémence envers les esclaves, dont ce pouvoir autoritaire est à l’origine. Il défend, au contraire, la coopération entre les hommes comme le plus noble et le plus important des idéaux. Ses Philippiques sont un exemple admirable de courage face à la liberté en péril.

Michel Magniez, dans la préface, met en valeur le caractère significatif du talent unique de Stefan Zweig pour dresser cet hommage à Cicéron en tant qu’homme de lettres exceptionnel, ayant eu le courage de sacrifier sa vie au nom de l’humanisme et de la défense de la liberté, cette force de caractère et la puissance de ces actes et écrits ayant eu bien plus de poids à l’échelle de l’Histoire que l’acte de résistance en apparence relativement vain et bien dérisoire au moment-même des événements.

L’historien romain Tite-Live, cité par Sénèque le Rhéteur, dit au sujet de Cicéron que «  c’est un grand homme, digne de l’immortalité ». Il ajoute même que, pour en faire l’éloge qu’il mérite, il faudrait un autre Cicéron. Deux millénaires après la mort du célèbre Romain, ce n’est certes pas « un autre Cicéron » qui a su en dépeindre la grandeur, mais un écrivain qui partage avec lui, entre autres, l’amour des lettres et de l’histoire, le génie de la création, la passion pour la traduction, et, surtout, une pensée profondément humaniste.

 

Stefan Zweig, CicéroCicéron Zweig Stefan nRivages, juin 2020, 96 pages.

 

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