La culture en péril (20) – Boualem Sansal, « Le français, parlons-en ! »

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Boualem Sansal

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La culture en péril (20) – Boualem Sansal, « Le français, parlons-en ! »

Publié le 21 mars 2025
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Les réflexions pleines de pertinence et de bon sens d’un esprit libre et empli de courage.

Il est question ici de courage, d’ignorance, de servitude heureuse, de bêtise. Autant de sujets que nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion d’aborder ensemble.

Après une entrée en matière non dénuée d’ironie et agrémentée de treize citations d’une grande profondeur, c’est avec le sens de la dérision que Boualem Sansal donne le ton du livre, avec « en guise de préambule, une interview qui n’a pas eu lieu et qui, normalement, jamais ne pourrait avoir lieu ». Il y évoque différents thèmes qui ne peuvent nous laisser indifférents.

La liberté d’expression en question

Lorsqu’on connaît le sort qui est réservé actuellement à cet écrivain algérien par un régime peu ouvert à la liberté d’expression, on mesure le risque qu’il y a à aborder un certain nombre de thèmes pourtant tout à fait simples et fondamentaux mais qui dérangent certains.

Lui qui est connu et reconnu pour ses évocations des dangers des fanatismes et autres formes de totalitarismes, en est victime aux premières loges, avec d’autres qui ont l’heur de déplaire aux esprits simples et hermétiques incapables de concevoir un monde étranger à leurs vues intolérantes.

Faisant mine de répondre à ce jeune journaliste français imaginaire qui lui demande de s’exprimer sur la culture et la langue françaises, lui qui aime la France, est de culture française, y a écrit et y a reçu de nombreuses récompenses, voici ce qu’il écrit :

« Ai-je compétence, ai-je même intérêt à m’exprimer ? Je vais me mettre à dos des gens puissants, me faire des ennemis. Et puis vous surestimez ma notoriété. En France je ne suis connu que de mes amis et de mon éditeur, quand même, qui me paie et m’héberge. En Algérie, que de mes ennemis qui sont légion, croyez-moi bien, il y a comme un concours national ouvert autour de ma personne, c’est à qui me haïra le plus. Être un mauvais Algérien en Algérie, c’est mal, avoir en plus en France la réputation d’être un Algérien sérieux, c’est pire que tout ».

Mais bien sûr, de fait Boualem Sansal nous fait connaître son diagnostic global concernant tant la politique que la culture, la religion ou la langue française, sans faux détours, sans langue de bois, et sans omettre d’énoncer des vérités qui dérangent ou de nommer un chat un chat, au risque d’être désavoué, de rencontrer une vive hostilité, tout en conservant sa franchise et sa liberté de ton. Un exercice de style bien délicat, mais parfaitement assumé.

L’importance capitale de la langue

Au sujet de la langue française, il dit ceci : « C’est par la langue que les peuples pèchent et meurent, c’est par elle qu’ils vivent et prospèrent ». Elle constitue donc la base de tout, le trésor sur lequel il convient de veiller. Le sujet est d’importance (et trouve donc toute sa place dans la présente série).

Davantage encore, il écrit : « Il n’y a de peuple que dans une culture et une langue, de culture et de langue que dans la liberté, de liberté que dans le courage et l’honneur, de courage et d’honneur que dans l’amour de son pays et des siens. La rupture de la chaîne signifie la mort du peuple et la dislocation du pays ».

On frémit – quand on sait ce qu’il est advenu depuis – lorsqu’il affirme : « Ceux-là se trompent qui disent que la prison n’est rien, que l’essentiel est d’être libre dans sa tête car le dictateur ne peut y mettre le nez. Ce n’est pas son nez mais des balles que le dictateur aime mettre dans les têtes de ses prisonniers ». Et aussi quand il évoque ensuite la liberté d’expression dans nos démocraties, qui ne se porte plus vraiment si bien et cherche plus à mettre les gens dans des cases qu’à respecter leur liberté de penser.

La langue française, en déliquescence

C’est toujours avec le même humour permanent et le vif sens de la dérision que Boualem Sansal nous présente ensuite, à sa manière très ironique et un rien chaotique, les péripéties de la langue française, à travers sa complexité, issue de sa riche histoire, faite de multiples apports depuis les origines antiques en passant par les interactions entre peuples au cours d’épisodes d’invasions, de colonisations, et d’un tas d’autres événements qui ont jalonné les siècles.

Il ne manque pas, au passage d’étriper certaines des tendances actuelles, telles que « le globish de quincailler, mortel avec l’accent franchouillard, le wesh-wesh des quartiers qui se parle droit dans les yeux, l’index levé sur le ton de la harangue, la langue inclusive qui exclut tout, n’inclut rien et au final éteint la vie dans le confusionnisme, (…) », entre autres dérives contemporaines.

Il ne mâche pas ses mots lorsqu’il se moque là encore des attitudes des uns et des autres face à la langue française, que ce soit en France ou dans les autres pays francophones. Pas plus qu’il n’épargne le pouvoir algérien, envers lequel il a de nombreux griefs.

Mais il se veut constructif lorsqu’il évoque la manière dont on devrait enseigner l’histoire des langues à l’école, « en portant un accent amoureux sur la langue nationale, première source d’énergie intérieure de l’individu et incomparable facteur d’unité du peuple ». La langue représente en effet mieux le ferment qui lie les individus entre eux que ne peut le faire un concept comme l’unité nationale, à l’égard duquel il se montre très critique. Il déplore néanmoins la déliquescence de celle-ci, qui se ressent jusque dans les observations internationales :

« Les statistiques mondiales classent la France dans le bas du tableau, parmi les pays qui ne savent ni lire, ni écrire, ni compter, ni bien se tenir. Ce ne serait pas grave si elle se reconnaissait dans le bilan, mais non, elle insiste, croyant plus que jamais que son fidèle miroir magique lui dit la vérité et l’encourage à continuer d’autorité à donner des leçons au monde, au lieu d’en recevoir, et à ne pas écouter les jaloux qui travaillent à faire circuler l’idée que le France des savants et des poètes, des précurseurs et des novateurs, est morte alors qu’elle est plus vaillante que jamais sous la houlette du dieu du moment. Si le miroir dit vrai, qui ment ? »

Boualem Sansal, Le français, parlons-en !, Les éditions du cerf, septembre 2024, 186 pages.

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  • Merci de défendre, de faire connaître et de faire parler ce grand homme, emprisonné par (censuré)…
    Une remarque cependant, aux conséquences peu amènes sur les courbettes macroniennes : Boualem Sansal est aussi français. Deux autres grands peuples, l’américain et l’israélien, savent se montrer bien plus vigoureux que le nôtre (enfin que nos chefs) pour reprendre leurs otages !

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