Par Johan Rivalland.
Ivresse de la métamorphose, par Stefan Zweig
Å’uvre posthume, Ivresse de la métamorphose est un roman dont l’écriture a débuté en 1930-1931 et été poursuivie en 1938-1939. Il s’agit aussi du dernier roman de Stefan Zweig, dont on sait qu’il choisit de mettre fin à ses jours, en compagnie de son épouse, profondément désespéré par la tournure qu’avait prise le monde qu’il avait connu.
Trois grands temps semblent se succéder dans ce roman, avec une rupture marquante entre les deux derniers, rupture qui coïncide avec la rupture d’écriture, sans qu’il y ait d’incohérence, bien au contraire.
Le premier temps décrit une peinture de la femme autrichienne, du moins de certaines d’entre elles, celles qui ont souffert de la manière la plus criante des conséquences de la Grande Guerre, à travers ici une toute jeune femme, qui en a trouvé sa vie bouleversée durablement.
On trouvait déjà une telle peinture de jeune femme emportée plus directement dans les tourments de la Guerre dans Clarissa, que je présente brièvement ci-dessous, mais à un âge un tout petit peu plus avancé.
Ici, d’emblée la peinture est sombre ; on ressent pleinement, au-delà du drame de la guerre elle-même, la destruction qu’elle engendre, jusque dans les longues années qui suivent, pour les populations qui ne pourront jamais vraiment s’en remettre, en raison en particulier de la pauvreté, voire l’état de misère, qu’elle induit.
Puis un second temps ouvre des perspectives vers un autre monde, en flagrant contraste et dont la peinture est, elle aussi, particulièrement riche et évocatrice, décrite avec l’acuité toute particulière de Stefan Zweig, maître hors pair de la psychologie humaine et de l’observation sociologique.
Elle va trouver son point de rupture et déboucher sur ce troisième temps, très sombre et qui préfigure, de manière grandissante, ce qui va constituer une part du destin de l’auteur lui-même, ne manquant pas de susciter en nous une certaine émotion ou, plus exactement, revêtant une valeur particulière dans cette Å“uvre, par l’authenticité de la description de certains faits.
Avec aussi, en arrière-fond, une critique très intéressante de l’État, particulièrement en temps de guerre ou après (ici appliqué au cas de l’Autriche), que je ne renierais pas.
Je reste, bien sûr, volontairement flou dans ce commentaire, pour ne dévoiler en rien l’histoire et tâcher même de brouiller un peu les pistes, mais je n’ai qu’un conseil, pour ceux qui connaissent bien l’auteur et n’ont pas encore lu ce livre-ci : ne pas passer à côté de cette lecture.
Un roman vrai, un roman fort, un sujet grave et qui mérite toute notre attention. Un chef d’œuvre de subtilité.
Clarissa
Une fois de plus, à travers ce roman, Stefan Zweig parvient à nous surprendre.
Nous surprendre, pour commencer, par la qualité de son style. À la fois simple, proche et incisif, qui permet de révéler de manière qui paraît presque évidente le caractère profond des personnages et leur psychologie la plus intime. Avec une précision chirurgicale (selon une expression en vogue). Jusque dans l’évolution de celle-ci, puisque nous suivons ici un personnage depuis l’enfance jusqu’à l’âge adulte, dans des univers et avec des préoccupations différents et à la fois forcément liés, à travers le vécu du personnage.
L’enfance un peu amère et pleine de la frustration de la mère disparue et du père absent, qui laisse sa fille au couvent ; l’éducation rigoureuse et le désir de bien faire pour plaire au père ; la découverte tardive mais tout en retenue de l’altérité après un relatif repli sur soi, le départ du couvent, l’ouverture au monde, au travail puis à l’amour. Et l’emportement dans la guerre, celle de 1914-1918, vécu comme une force inexorable qui vous dépasse et vous dépossède de tout ce que vous vous croyiez attaché, à commencer par votre liberté (d’être, de penser, de se déplacer, d’agir, de rester avec qui on désire vivre).
Une évocation puissante de la guerre, de la folie humaine, du caractère fragile de la vie en société telle qu’on la connaît et la conçoit, voire des psychologies humaines, qui peuvent s’avérer surprenantes lorsque les circonstances ordinaires ne sont plus.
Et la détresse humaine, celle de la femme aimante, qui se voit séparée malgré elle de l’être chéri par les circonstances de la guerre, confrontée à des situations déchirantes, telles que je me garderai de relater, pour ne pas gâcher tout l’intérêt de cette histoire, au sujet de laquelle j’espère ne pas avoir déjà trop dit.
Une belle source de réflexion, un bel hommage à toutes ces petites gens oubliées qui ont vécu et souffert à l’époque de la Grande guerre et, à travers elle, de toutes les guerres. Mais aussi une évocation effrayante de la fragilité de notre monde et du caractère très relatif de notre liberté, aussi fort puisse-t-on y être attaché. Un roman fort, où s’exprime à merveille tout le talent extraordinaire et le génie de Stefan Zweig.
Les derniers jours de Stefan Zweig
J’ai mis du temps à acheter cette parution. Stefan Zweig en BD, difficile à imaginer lorsqu’on est grand amateur de l’écrivain. Presqu’un peu dérangeant, même s’il s’agit bien sûr d’un hommage. Sans doute aurais-je dû opter, d’ailleurs, pour le roman du même nom, dont cette réalisation est issue. Mais finalement, je ne suis pas déçu.
Le trait reste sobre, on évite tout excès de voyeurisme ; les expressions, silences, l’atmosphère générale suggèrent à merveille la tristesse liée à la disparition de ce monde d’hier, qui tourmente tant notre auteur, Juif loin de chez lui et désespéré par ce qu’il sait de la montée du Nazisme en Europe puis des exactions qui suivent, jusqu’à la terrible nouvelle du début de l’Holocauste, lui qui a toute sa vie défendu et voulu croire en un humanisme seul à même de permettre à l’Homme de vivre en bonne intelligence et poursuivre la recherche du bonheur.
On sait la terrible issue à laquelle cela va donner lieu. Et, telle une tragédie grecque, l’inéluctable se prépare. La jeune seconde épouse de Stefan Zweig, qui demande tant à vivre, semble connaître un sort comparable à une Antigone des temps modernes. Tout est écrit, tout semble déterminé d’avance (évocation du terrible destin de Kleist).
Quant à Stefan Zweig, on voit poindre, à travers ses silences, ses expressions, sa détresse intérieure, le désarroi total qui le ravage de l’intérieur et le conduit jusqu’à l’issue fatale.
Un livre grave, sur un sujet grave, réalisé tout en finesse. Subtil et réussi.
- Stefan Zweig, Ivresse de la métamorphose, Le livre de poche, 285 pages.
- Stefan Zweig, Clarissa, Le livre de poche, 187 pages.
- Guillaume Sorel – Laurent Seksik, Les derniers jours de Stefan Zweig, Casterman, février 2012, 88 pages.
merci de nous faire découvrir ces livres.J’avais lu Marie Stuart et Fouché de stephane sweig ( j’étais subjuguée par la beauté et la concision, finesse de l’écriture du ” Fouché” ).