Leporella
Fidèle à lui-même et à l’intérêt qu’il porte à tous les êtres dans leur grande diversité, Stefan Zweig s’intéresse ici à une femme d’un milieu paysan peu gâtée par la vie et à laquelle pas grand monde porterait une véritable attention dans la vie de tous les jours. Une femme peu enjouée, disgracieuse et sans émotion apparente.
Cette “vieille femme”, puisqu’il s’agit d’une femme restée toujours seule et qui arrive désormais à l’aube de ses 40 ans, s’est mise toute sa vie au service des autres, comme cuisinière et servante, occupant ses journées du matin à l’aube uniquement aux tâches auxquelles elle se trouve affectée, et toujours sans ménager ses efforts, bien au-delà même de ce qu’on pourrait exiger d’elle.
Stefan Zweig n’est pas très tendre dans la description très crue qu’il donne d’elle, l’assimilant tour à tour à une idiote ou à un être dont le comportement est d’ordre animal. Ainsi, dès la première page, il la décrit de la manière suivante :
(…) un coup d’oeil, même rapide, n’eût pas manqué de leur faire noter qu’elle avait tout d’un cheval de montagne osseux et efflanqué. Car, il y avait, à ne pas s’y méprendre, quelque chose de chevalin dans l’expression de sa lippe pendante, dans l’ovale à la fois allongé et dur de sa figure hâlée, dans ses yeux mornes, dépourvus de cils, et surtout dans ses cheveux épais et feutrés, collés sur le front en mèches grasses.
Je ne poursuis pas la description. Elle est très dure et sans complaisance. Le parti pris de l’auteur d’un certain réalisme évocateur, pour mieux nous faire comprendre en quoi ce physique la désavantage et est en grande partie responsable de la vie qui s’est offerte à elle.
Dès lors, l’objectif de Stefan Zweig, tout en prenant soin de nous préciser de manière très instructive l’état d’esprit qui règne au sein de la bourgeoisie autrichienne de l’époque, en particulier dans ses rapports avec le menu peuple, va consister à tenter de comprendre ce qui peut bien se passer dans cet esprit simple. Il va tenter de percer cette carapace inexpressive afin d’y mesurer la capacité (ou non) à éprouver des sentiments ou états d’âme, quels qu’ils soient.
Et, en véritable chirurgien de l’âme humaine, il parvient une nouvelle fois à nous faire partager ses observations, sa capacité à montrer qu’aucun être humain sur cette terre (il semble, à première vue, moins tendre avec les animaux) n’est à négliger, sous peine de se heurter à quelques surprises…
Dans le même temps, on sent un Stefan Zweig volontairement détaché, mêlant recherche de compréhension et absence de complaisance à l’égard de son personnage. Il se comporte davantage comme spectateur avisé et attaché aux faits que comme un moraliste de bas étage qui chercherait à nous faire éprouver de la pitié ou une adhésion de façade.
Je ne vous en dis pas plus, à dessein. Une nouvelle peu ordinaire, qui nous plonge à la fois dans un certain malaise et parvient à nous surprendre.
- Stefan Zweig, Leporella, Les éditions de l’Ebook malin, juillet 2013, 40 pages.
La femme et le paysage
J’ai eu un peu de mal à accrocher à cette nouvelle. Plus descriptive que les autres, non des personnages mais surtout du paysage, elle m’a semblé traîner un peu en longueur (malgré le faible nombre de pages).
On ressent, certes, particulièrement bien, grâce à tout le talent de Stefan Zweig, dont le style est intact, la lourdeur particulière de la canicule, la torpeur dans laquelle elle plonge les personnages, le temps qui semble comme arrêté. Mais je n’ai pas, pour le reste, ressenti d’émotion particulière ni d’apport véritable sur la plan de la psychologie humaine.
Une nouvelle un peu moins forte que les autres, de mon point de vue, mais qu’est-ce face à toutes ces nouvelles plus extraordinaires les unes que les autres que nous a offertes ce somptueux auteur ?
Stefan Zweig, La femme et le paysage, Les éditions du Cénacle, septembre 2014, 60 pages.
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