Par Johan Rivalland.
Passionnant recueil que ce volume de sept textes, qui ont pour point commun une certaine force et le talent accompli d’un Stefan Zweig qui n’a pas son pareil pour déceler les moindres détails de la psychologie de ses personnages, ici plongés bien malgré eux au cœur de l’Histoire.
Histoire d’une déchéance
Stefan Zweig s’intéresse, à travers cette nouvelle, à Mme de Prie, née Jeanne-Agnès Berthelot de Pléneuf, maîtresse du duc de Bourbon, qui fut pendant quelques années la femme la plus influente de France.
L’histoire se déroule au moment où elle apprend qu’elle vient d’être désavouée par Louis XV, qui lui ordonne de s’exiler sur le champ dans son château normand de Courbépine.
Sévère désillusion pour une telle femme de caractère, au-delà des frivolités qui la caractérisent.
L’auteur autrichien va se glisser dans sa peau l’espace de quelques mois, pour mieux entrevoir ce qui a pu se cacher au plus profond de son cœur…
Un drame analysé avec une finesse incroyable.
Un mariage à Lyon
Nous voilà à présent plongés en plein cœur de la Révolution française. On reste stupéfait de voir comment une poignée d’hommes (la Convention) donna son accord à l’anéantissement programmé de la deuxième ville de France.
Et, au beau milieu de ces événements, va se dérouler une cérémonie de mariage tout à fait inédite et improbable, dont je vous laisse découvrir les ressorts.
Des circonstances incroyables, pour un mariage tout aussi incroyable.
Dans la neige
Dans une petite ville allemande du Moyen Age, tout près de la frontière polonaise, une petite communauté juive va recevoir, en pleine nuit glaciale, la visite inquiétante d’un étranger. De quoi raviver les craintes, vives et légitimes, d’un peuple martyrisé depuis si longtemps… Un nouveau drame se prépare-t-il ? Cette communauté peut-elle espérer un jour vivre autrement que dans l’inquiétude perpétuelle ?
La légende de la troisième colombe
Retour au temps de l’arche de Noë. L’épisode avec les deux premières colombes est connu. Mais qu’en est-il de la troisième colombe, s’interroge Stefan Zweig, qui imagine alors ce qu’a pu être son itinéraire. Une légende très très courte, qui a moins d’intérêt et de caractère que les six autres nouvelles du recueil, mais qui est l’occasion pour notre auteur d’exprimer l’une de ses idées de prédilection…
La croix
Déjà présentée dans un précédent volet, cette courte nouvelle a été écrite en 1906 par le jeune Stefan Zweig, tout juste âgé de 25 ans. Une époque où il n’était pas encore le pacifiste convaincu qu’il sera plus tard, lorsque les horreurs de la guerre l’auront saisi au plus profond.
Le présent récit, écrit par le jeune passionné d’histoire de France qui sera bientôt l’auteur de la monographie sur Joseph Fouché, se déroule durant la guerre d’Espagne, menée par Napoléon. Il met en scène un colonel qui va être victime, en compagnie de son unité, d’une escarmouche durant laquelle il va être laissé pour mort après avoir chuté et s’être cogné la tête lourdement contre un arbre. A son réveil, il se retrouve seul, en territoire hostile.
Une situation angoissante, tel qu’on peut l’imaginer, et durant laquelle on retient son souffle… Une narration rythmée et dans un style agréable, servi par un vocabulaire assez riche.
Au bord du lac Léman
Par une nuit d’été de 1918, un homme nu allongé sur une petite embarcation rudimentaire, est sorti du lac Léman par un pêcheur. Que peut-il bien faire là  ? Qu’est-ce qui a pu le mener dans une telle situation bien improbable ?
Un contexte dramatique dont on ne va pas tarder à connaître l’origine et l’aboutissement.
La contrainte
En pleine guerre mondiale, en Suisse, un artiste profondément tourmenté, qui avait été exempté, reçoit par courrier ce qu’il redoutait : une convocation à venir subir un nouvel examen de sa situation.
Va-t-il devoir se soumettre et partir pour le front ? Va-t-il résister et se comporter, comme l’y enjoint avec insistance et détermination son épouse, en être libre, refusant la force et le caractère impersonnel des injonctions de l’Etat, cette affreuse machine à broyer de l’humain, réduit au simple état de chair à canon, quelles que soient les convictions profondes de celui-ci ?
Un terrible dilemme qui va le ravager. Tiraillé entre la peur et le caractère inflexible de cette femme aimante qui l’enjoint de ne pas obéir, une tension extrême va se manifester sous nos yeux. Un thème particulièrement cher à Stefan Zweig, qui a vécu à l’époque des deux grandes guerres, et dont on sait jusqu’à quel point il en a été affecté, choisissant la terrifiante issue que l’on connaît.
Un recueil puissant, fruit du talent accompli d’un auteur à son apogée.
— Stefan Zweig, Un mariage à Lyon, Le livre de poche, janvier 1996, 152 pages.
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