Non, le libéralisme n’est pas mort avec la crise sanitaire

Chaque jour on nous ressert désormais l’idée qu’on va bâtir un nouveau monde. Dans lequel, bien sûr, il sera mis fin à cette horreur suprême que constitue le « néolibéralisme ».

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Non, le libéralisme n’est pas mort avec la crise sanitaire

Publié le 15 août 2021
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Par Johan Rivalland.

Nous avons déjà rappelé dans le volet précédent de cette série les origines de la terrible catastrophe qui est survenue et de la crise profonde qui en découle. Nous avons aussi montré en quoi le libéralisme ne pouvait en aucun cas y être lié et que, au contraire, c’est bien la gestion calamiteuse des États qui est plutôt en cause.

Loin de partager ce diagnostic, l’époque semble au contraire se présenter comme une fantastique opportunité, de toutes parts, de rêver le « monde d’après », selon le mode bien connu du « jamais rien ne sera plus comme avant ». S’ensuit alors le procès de la mondialisation, du capitalisme, du libéralisme (qu’il soit néo, ultra, ou tous les préfixes que vous voudrez), des grandes multinationales, de l’Homme responsable de la pollution de la planète, et de tout ce à quoi nous sommes déjà bien habitués.

Encore faudrait-il que notre monde soit effectivement mené par le libéralisme. Ce que nous avons maintes fois eu l’occasion de contester fermement, à travers de très nombreux articles disponibles sur ce site notamment.

En réalité, une fois de plus nous nageons en pleine confusion. Et surtout en pleins fantasmes. Avec tout ce qu’ils comportent comme dangers…

Seizième volet de notre série « Ce que le libéralisme n’est pas ».

Cette grande fiction : le néolibéralisme

Une fois de plus, l’obsession du « néolibéralisme », qui joue le rôle d’un épouvantail bien commode en tant que cause de tous les dysfonctionnements de la société, bat son plein. Et je me trouve quelque peu dépité en découvrant l’interprétation ahurissante d’une Barbara Stiegler, certainement de bonne foi, sur les origines de la crise sanitaire.

L’interprétation de cette « intellectuelle » (j’ajoute des guillemets pour exprimer le fait que je déplore toujours le fait que quelqu’un qui travaille dans le domaine de la recherche ou de la connaissance manque, sur certaines questions, totalement de rigueur dans son approche, ce qui est un comble à un tel niveau) est tellement confuse qu’elle en vient à assimiler le néolibéralisme à « un État très fort, tatillon et bureaucratique […], qui est dans le contrôle de tout », et à le distinguer de l’ultralibéralisme « trumpien » (un autre épouvantail bien connu), qui serait une force dangereuse qui « abandonne les populations aux forces sauvages du privé ou du marché ».

Elle parle même de « planificateurs » au sujet de ces mystérieux néolibéraux qui n’existent pas (ou auxquels il faudrait qu’elle colle une autre étiquette). Quoi de plus contraire au libéralisme que la planification ?

Bâtir un « nouveau monde »

Mais surtout, tout est prétexte à l’idée de bâtir un nouveau monde. Sur les décombres de celui que nous connaissions (comme si tout y était négatif). Tout jeter, et tout refaire. Même notre Président n’est pas le dernier à s’y mettre.

Avec toutes les inquiétudes que nous pouvons avoir à l’égard de ce que cela suppose. Greta Thunberg et autres militants de l’écologisme (rejointe aussi par un grand nombre de nos politiques, journalistes, syndicalistes ou intellectuels de toutes sortes) tout autant.

Et que dire de ce que toutes ces personnes si bien intentionnées suggèrent ? Rejoints par des Français qui, pêle-mêle, à en juger par ce sondage réalisé pour Libération, rivaliseraient eux aussi de propositions :

Les personnes interrogées se prononcent pour la relocalisation en Europe des filières de production installées en Asie (84 %) ; pour reprendre la construction européenne sur de nouvelles bases (70 %) ; pour réduire l’influence des actionnaires et de la finance sur la vie des entreprises (70 %) ; pour ralentir le productivisme et la course à la rentabilité (69 %) ; pour nationaliser les secteurs stratégiques tels que le transport, l’énergie, l’eau (68 %) ou la pharmacie (60 %) ; pour instaurer un protectionnisme aux frontières de l’Europe (65 %) et même à l’échelle de la France (54 %). Enfin quand on leur demande s’il faut que l’État soutienne les entreprises nationales ou pas, les sondés répondent de manière positive (56 %).

Les relocalisations ? Comme si nous pouvions imaginer tout faire nous-mêmes, que les Français étaient tous prêts à payer plus chers leurs produits, que les charges et réglementations qui pèsent lourdement sur la production n’étaient pas un problème.

Reprendre la construction européenne sur de nouvelles bases ? Très bien. Lesquelles ?

Réduire l’influence des actionnaires et de la finance sur la vie des entreprises ? Qui financerait les entreprises, donc l’économie, donc les emplois ? L’État, certainement… Ah oui, c’est vrai, on a désormais le sentiment qu’il peut tout.

Ralentir le productivisme et la course à la rentabilité ? Vu les pourcentages de réponses pour chacune de ces modalités (et l’incapacité que l’on sait pour un très grand nombre de personnes à pouvoir définir ces termes), on peut s’interroger sur la manière dont ce sondage a été mené.

Nationaliser les secteurs stratégiques tels que le transport, l’énergie, l’eau, la pharmacie ? Encore une fois s’en remettre à l’État, ce merveilleux gestionnaire que l’on connait et qui dispose d’une manne infinie (qui est l’État, déjà ? Ah oui, c’est nous, les contribuables…). Le communisme comme voie d’avenir et comme perspective de nouveau monde ?

Instaurer un protectionnisme aux frontières de l’Europe et même de la France ? Gare au retour de bâton… (et demandez à Kim Jong-un si cela fonctionne). Ceux qui proposent cela sont-ils conscients de l’effondrement des échanges qui en découlerait et ne manquerait pas de se retourner contre l’emploi ?

Le soutien de l’État aux entreprises nationales ? Ne nous plaignons pas ensuite si nous perdons des centaines de milliers d’emplois dans les secteurs où nous exportons, si nos habituels partenaires font la même chose (car, là encore, cela rejoint le protectionnisme).

On voit bien que tout cela n’est pas bien sérieux.

Quel monde voulons-nous vraiment : libéral ou autoritaire ?

La vérité est certainement plus proche de ce que nous décrivait de manière éblouissante Johan Norberg dans son ouvrage Non, ce n’était pas mieux avant. Car la plupart des idées qu’on nous suggère ici ne sont qu’un simple retour au passé. Et ils ne tiennent pas compte des fantastiques progrès que nous avons connus depuis plus de deux siècles maintenant en de très nombreux domaines (et je ne parle pas que d’économie, mais d’espérance de vie, de santé, de maladies, de niveaux de vie, de famines, de pauvreté, de violences et de guerres, de droits humains, etc.).

Alors, faut-il tout jeter ? Faut-il vraiment se lancer dans la construction d’un « monde nouveau » ? (avec le rapprochement que l’on ne peut s’empêcher d’établir avec toutes ces théories qui ont, depuis longtemps, été fondées sur l’idée de créer un homme nouveau). C’est à un véritable choix entre libertés et autoritarisme que nous sommes en réalité ici confrontés.

Car ce que l’on nomme « libéralisme », n’en déplaise à ses nombreux contempteurs n’est autre que ce sur quoi nos sociétés occidentales se sont fondées petit à petit après de nombreux siècles de maturation : accès aux libertés individuelles, à la liberté de conscience, à la liberté de choisir, de créer, de coopérer, au respect de la dignité de chacun et des droits fondamentaux, pas du tout l’anarchie.

Mais aussi au respect profond de l’individu, impliquant néanmoins le sens des responsabilités, le sens du devoir (et non pas l’égoïsme effréné, comme on voudrait le faire croire), la nécessité du régalien mais le refus de l’autoritarisme.

Et contrairement à ce que beaucoup croient, la volonté d’aider les plus fragiles et non de les laisser tomber. Est-ce là ce à quoi nous serions prêts à renoncer ?

Au lieu de cela, ce qui semble se profiler tout d’un coup en beaucoup d’endroits du monde est l’idée, que l’on essaye d’imprimer dans les esprits, qu’il vaut peut-être mieux abandonner un certain nombre de nos libertés et faire confiance à des régimes autoritaires (qui peuvent tout aussi bien exister dans des régimes démocratiques).

Mais n’y a-t-il pas contradiction ? Est-ce à dire, en effet, que nous serions prêts à reporter notre confiance vers des autorités centrales ? Car c’est bien là vers quoi nous mèneraient toutes les « bonnes idées » recueillies dans le sondage évoqué plus haut. Et ce n’est pas ce que, parmi tant d’autres, la philosophe Barbara Stiegler évoquée en début d’article dit vouloir non plus.

La route de la servitude, en quelque sorte, ou la fameuse servitude volontaire qu’évoquait Étienne de La Boétie en son temps…

Alors, est-ce la fin du libéralisme ?

Non, je ne le crois pas. Si nos sociétés sont bâties sur les principes des démocraties libérales, peu de monde serait en réalité prêt, en France, à y renoncer. Quant au libéralisme économique, il n’était déjà pas de rigueur dans notre société gangrénée par l’État-providence, on voit donc mal comment on pourrait le remettre encore plus en question, sauf à passer du socialisme au communisme (ce qui prend du temps).

Alors, peut-on dire qu’« il faut tout changer », comme l’écrit Jack Dion dans l’article de Marianne porté en lien hypertexte plus haut au sujet du sondage ? Tout ? Vraiment ? J’observe que ce doit être vraiment tout, car le journaliste n’en dit pas plus.

Je pense au contraire que le libre-échange est la clef. C’est le signe de la coopération, de l’harmonie, de ce qui mène aux rapprochements et à la paix. La mondialisation, tant décriée, recèle de nombreuses vertus, et n’est pas ce qu’on en dit trop souvent. Elle est d’ailleurs un processus, et non une construction ou une idéologie ou je ne sais quoi d’autre. Il s’agit d’un simple mouvement spontané, et non organisé, d’échanges entre des entités indépendantes.

Je serais bien curieux, d’ailleurs, de savoir si tous ces donneurs de leçons qui passent leur temps à décrier la mondialisation accepteront réellement de renoncer aux beaux voyages que beaucoup d’entre eux sont certainement très heureux d’effectuer à l’étranger. Envisagent-ils de se replier à vie sur leur territoire national ? Sont-ils prêts à renoncer à tous leurs achats de biens achetés à l’étranger (smartphones, vêtements à moindre prix, etc.) ? Je n’en crois rien.

Et, on a beau dire, le commerce adoucit les mœurs. Le monde n’a jamais été autant en paix que lorsque les échanges internationaux sont développés, les interdépendances fortes. Cela n’empêche évidemment pas la guerre économique. Mais cela ne vaut-il pas bien mieux que les guerres physiques ?

La vérité est que rien n’est jamais statique. Et qu’il est tout à fait naturel de vouloir toujours progresser, améliorer les choses, chercher à se remettre en question. Mais « du passé faisons table rase », non merci. Ce n’est pas sur cette base que nous parviendrons à un monde meilleur, pas du tout. Imaginer que ce serait donc la fin du libéralisme n’a aucun sens.

Il convient, au contraire, de veiller à ne pas s’enfermer dans des utopies dangereuses, qui pourraient bien nous mener à des formes d’enfermement et une société de surveillance que nous serions les premiers à regretter.

Gare à ne pas nous laisser déposséder des libertés chèrement acquises (et bien fragiles, comme nous pouvons nous en rendre compte), auxquelles nous tenons tant, en s’en remettant à des formes de collectivisme sans nom régies par des gouvernants dont pourtant les mêmes qui le réclament semblent se méfier.

Un article initialement publié le 25 avril 2020.

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Un article publié initialement le 11 mai 2021

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  • « L’interprétation de cette « intellectuelle »[…]est tellement confuse qu’elle en vient à assimiler le néolibéralisme à « un État très fort, tatillon et bureaucratique […], qui est dans le contrôle de tout » »

    Madame Stiegler a été, à son insu, « formatée » par la doxa ambiante.
    Le mécanisme de ce formatage est intéressant à analyser :
    En fait, le socialisme ambiant a réussi à faire passer aux yeux du public l’ensemble des thèmes qu’il défend (lutte contre les inégalités, lutte contre le changement climatique, prépondérance de l’Etat etc…) dans la catégorie des choses vertueuses à favoriser, et l’ensemble des thèmes qu’il rejette comme le libéralisme, le capitalisme, la mondialisation, etc… dans la catégorie des choses à éliminer. Et il y a réussi.
    Ainsi, lorsque madame Stiegler pense « néolibéralisme », comme elle ne connait manifestement rien au libéralisme, elle l’associe à toutes les choses « mauvaises » qu’elle veut rejeter, comme , par exemple « un État très fort, tatillon et bureaucratique, qui est dans le contrôle de tout ». CQFD.
    Attachons nous à dévoiler la supercherie qui se cache derrière la doxa ambiante.

  • D’accord avec presque tout, à ceci près :  » réduire l’influence des actionnaires et de la finance sur la vie des entreprises « . Les actionnaires financent, mais n’ont pas à gérer l’entreprise.
    C’est le chef d’entreprise qui doit décider de la gestion, en particulier des investissements et de la recherche. Si les actionnaires veulent 15 ou 18 % de rendement, qu’ils jouent au casino.

    • 15 ou 18% ? Qu’ils achètent le casino, pas qu’ils y jouent !

    • La financiarisation des entreprises est passée de l’état de moyen pour l’entreprise à l’état de finalité de l’entreprise.
      Le problème est bien là.

    • Le chef d’entreprise doit être libre dans sa tête et dans ses mouvements. Ce qui vaut pour les actionnaires, vaut également pour les salariés. Loi Auroux à jeter

    • Je vous propose d’investir 10 000 euros dans ma société. Mais je ne veux pas que vous regardiez comment je vais les dépenser hein, c’est moi le chef, je fais ce que je veux. Et pour les dividendes, non, je n’en verserai pas, vous investissez pour le plaisir, donc vous n’en avez pas besoin. Ca marche ?

      • Heureusement, que ce ne sont pas les actionnaires d’Airbus qui dessinent les avions ! ;-))

      • Et chez Boeing les actionnaires auraient fait comprendre aux opérationnel que la sous-traitance avait toutes les vertus pour réaliser un 737 max moins cher.

      • Si nous investissons 10 000 euros dans une société, c’est la nôtre à hauteur de ces 10 000 euros. C’est une « société » entre ceux qui auront investi, nous lui choisirons ensemble un chef, et s’il se moque des objectifs dont nous serons convenus ensemble, nous le remplacerons par un autre. En attendant, ça me paraît normal de ne pas lui tenir la main et de le laisser faire. Mais si vous dites « ma » société quand c’est la nôtre, ou que vous décidez à ma place de ce que sont mes besoins et mes plaisirs, vous êtes fait pour être fonctionnaire et pas chef d’entreprise, et j’essaierai de préserver mon argent de finir chez vous.

    • Objection votre honneur. C’est plus subtil que ça : les actionnaires, même non dirigeants, décident des grandes orientations de l’entreprise (ils orientent l’activité de la dite-entreprise et en particulier en nomment le dirigeant) et le dirigeant prend les décisions relatives à la bonne marche quotidienne de l’entreprise. Les rôles décisionnels sont ainsi repartis entre ces deux types d’acteurs. Ceci étant vrai dans les sociétés où il y a distinction (SA par exemple). Si le patron est le seul actionnaire, cette distinction est de fait caduque.

    • gérer certes, mais approuver la gestion..alors…

    • Les actionnaires ne gèrent pas l’entreprise (sauf s’ils sont les fondateurs) ils délèguent cela à des managers professionnels qui leur doivent des comptes via le conseil d’administration. Naturellement, ces dirigeants doivent gérer l’entreprise dans l’intérêt bien compris de leurs actionnaires. Contrairement à ce que l’on croit, il n’est pas vrai que les actionnaires veulent à tout prix un retour sur les fonds propres (ROE) de 15%. Voir à ces sujet un article dans la revue académique Finance-Contrôle-Stratégie à paraître en décembre 2020.

  • Quoi de plus contraire au libéralisme que la planification ?
    Bien d’accord avec cela, mais justement: le monde est l’objet d’une planification idéologique dont certaines instances supranationales sont le vecteur. Le tout habillé avec les mots de « liberté » et de « démocratie ».

  • Le concept de néolibéralisme est la plus grande pollution intellectuelle de tout les temps. On le constate chaque jour.

    C’est une nébuleuse sémantique, une grosse poubelle idéologique, dans laquelle les gens jettent tout ce qui leur semble être à l’origine des problèmes du monde.
    Et de façon unanime, tous les maux de l’univers sont attribués à cette « doctrine » que pourtant personne ne professe.

    Le problème pour nous, libéraux, c’est la confusion et le brouillage cognitif que ça provoque sur le libéralisme tel que nous le concevons.

    On le voit encore une fois avec les élucubrations de Barbara Stiegler. Aucun libéral ne reconnaît sa pensée dans sa description, nous sommes dans une mélasse conceptuelle absolue.

    Je pense que le grand coupable de ce détournement de sens est Walter Lippmann. C’est à lui que se réfère Stiegler quand elle parle de néolibéralisme.

    https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Walter_Lippmann

    Il invente le « néolibéralisme » en 1938 lors d’un colloque en France. Et 80 années plus tard ce concept fumeux vient servir d’alibi à toute la paresse intellectuelle dont notre époque est capable. Lippmann prônait un gouvernement des experts (sic) et rejetait l’idée d’ordre spontané chère à Hayek et à tous les libéraux.

    Voir le colloque Walter Lippmann (1938) :

    https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Colloque_Walter_Lippmann

    On constate que parmi les participants figuraient Mises et Hayek…. Deux piliers de l’école autrichienne dont Lippmann était pourtant l’exacte antithèse.

    Comment se sortir de ce merdier ?

    • « Le concept de néolibéralisme est la plus grande pollution intellectuelle de tout les temps. On le constate chaque jour. »
      Un peu comme « collectivisme » ou « socialisme » que d’aucuns mettent à toutes les sauces… ?

    • Je ne saurais dire si Lippmann est coupable de quoi que ce soit.
      Je déplore trop souvent en tant que libéral que les discussions sur le sujet se ramènent presque toujours à la sphère économique.
      Le colloque de Lippmann n’a pas échappé, si j’ai bien lu, à ce travers (quelle y était d’ailleurs la proportion d’économistes ? ).
      De fait, aujourd’hui en France (et ailleurs sans doute), le libéralisme se réduit au libéralisme économique et ses partisans se comptent quasi-exclusivement parmi la droite.
      L’équation est simple (et fausse) : libéralisme = libéralisme économique = droite.
      Il est difficile de ne pas voir dans ce biais intellectuel une responsabilité partagée, dans un genre de jeu de miroir, entre une gauche un peu manichéenne et trop heureuse de cracher sur le grand méchant Kapital (pour qui libéralisme = capitalisme) et une droite passablement archaïque pas libérale politiquement pour 2 sous (pour qui gauche = désordre voire antichambre de la dictature du prolétariat).
      Or le libéralisme, c’est aussi (surtout ? ) le droit de disposer de son corps… Grosso modo, parmi les sujets à la mode : la dépénalisation cdu cannabis, l’autorisation de la GPA, l’arrêt des « tracasseries » faites aux prostitué(e)s, etc. Tous combats rarement portés par la droite.
      Tant qu’on ne réconciliera pas ces deux aspects du libéralisme – ce qui suppose qu’un courant politique puisse transcender durablement le pénible clivage politique gauche-droite – on ne sortira pas de ce m.rdier.
      Avec le recul, je me demande si le gars qui avait proposé de changer le nom « libéralisme » pour « individualisme » n’avait pas raison… On échappait de fait à sa seule lecture économique.

      • @lapurée

        Bonjour,
        Effectivement le colloque Lippmann était très axé sur la sphère économique. Car initialement, son objet était de redéfinir le libéralisme dans le but de faire face aux totalitarismes de l’époque.
        Mais le débat s’est vite cristallisé autour de deux visions incompatibles : libéralisme classique (Mises, Hayek, Aron…) contre « néolibéralisme » (Lippmann et d’autres…).

        Ce qui est intéressant, c’est que le néolibéralisme a été défini par Lippmann comme un libéralisme amputé de sa dimension « laissez-faire, laissez passer » et encadré par des « experts », un libéralisme sous contrôle de l’état en somme. Avec une forte implication étatique dans le domaine social. Autrement dit, un détournement du sens initial pour arriver à une sorte de chimère qui ressemble étrangement à nos social-democraties actuelles.

        Ironiquement donc, le néolibéralisme décrié par Stiegler est plus proche du socialisme que du libéralisme. Voilà pourquoi on ne s’y retrouve pas.

        Je vous rejoins globalement sur la partie des droits individuels.

        • Ravi d’échanger avec vous.
          En effet, telles que vous décrivez les choses, et telles que je les ai aussi comprises, le neo-libéralisme à la Lippmann ressemble à nos social-démocraties ou démocraties libérales : une dose de libéralisme économique (quoiqu’en pensent certains), un respect des libertés individuelles plutôt correct et une implication sociale et redistributive de l’Etat via l’impôt plus ou moins prononcé…
          Mais il me semble que dans l’esprit des gens, de nos jours, « néo-libéralisme » traduise plutôt au contraire une volonté de dérégulation et d’une diminution drastique du poids de l’Etat, et soit connoté négativement (la preuve en est que je n’ai jamais vu quelqu’un s’en réclamer)…
          J’avoue être resté assez ahuri devant la définition qu’en a donné Stiegler, tant le mot me semble éloigné aujourd’hui de la définition d’hier, et qui ne cadre pas non plus avec ce que pensait Lippmann, qui ne s’imaginait certainement pas faire la promotion d’un Etat bureaucratique et autoritaire qui était justement ce contre quoi le colloque semblait s’élever (fascisme et communisme)…

  • Beau billet. Judicieux rappels. Même si, en de rares moments, sans doute emporté par son élan, l’auteur fait preuve de « stieglerisme »…

    « des régimes autoritaires (qui peuvent tout aussi bien exister dans des régimes démocratiques) »
    Ben non, par définition, c’est l’un ou l’autre. Ou ni l’un ni l’autre. En effet, on trouvera dans le monde des régimes dit « hybrides », qui ne sont ni un régime démocratique ni un régime autoritaire ; ces deux termes représentent en réalité les extrémités de l’échelle des régimes politiques.
    C’est comme les couleurs… On peut avoir du noir ou du blanc, mais s’il y a du noir dans du blanc ou du blanc dans du noir, ce n’est plus du blanc ou du noir, c’est du gris ! … ?

    « Quant au libéralisme économique, il n’était déjà pas de rigueur dans notre société gangrénée par l’État-providence »
    N’exagérons rien. Nous n’avons pas, comme dans certains pays, de magasins d’Etat pour nos courses quotidiennes. Et la plupart des entreprises nationalisées après la 2eme guerre mondiale ou après 1981 sont devenues des sociétés anonymes… J’ai connu voire vécu dans des pays où le libéralisme économique était voisin de zéro, et je peux vous certifier que ça n’avait rien à voir avec la France actuelle.

    • la taille de l’enclos ne change rien au fait que les poulets ne sont pas libre. l’enclos est un petit peu plus grand en France qu’en URSS mais par certain coté la tyrannie y est beaucoup plus pesante. En URSS il y avait milles moyen de contourner le système, en France c’est devenu presque impossible sauf pour les puissant (mais c’était aussi comme cela en URSS)

      • Pour rester dans la métaphore fermière, et en se plaçant à la place du poulet, je suis certain qu’on voit plus qu’une simple différence de degré entre un élevage 100 % en cage et une vie en plein air. Il y a une vraie différence de nature !
        Et le mieux pour s’en persuader, c’est d’avoir connu in vivo les deux types de situation…

    •  » J’ai connu voire vécu dans des pays où le libéralisme économique était réel, et je peux vous certifier que ça n’avait rien à voir avec la France actuelle… « 

  • A l’origine de toutes les pensées humaines il y a de l’illusion, c’est le fléau de tous les fléaux même le libéralisme n’y échappe pas complètement (utopie d’un monde sans collectivistes).
    En voici une de plus sur la mort de la liberté, mais non le libéralisme continuera bon an mal an, c’est juste une histoire pour faire peur aux enfants.

  • « (…) qu’il vaut peut-être mieux abandonner un certain nombre de nos libertés et faire confiance à des régimes autoritaires ». Ce que je vois encore plus depuis le Covid, c’est que certaines personnes sont rassurées quand elles doivent abandonner des libertés. Elles éprouvent un sentiment diffus de protection. Et plus encore quand ces restrictions ne touchent pas leur propre mode de vie. « Finalement c’est très bien d’être obligé d’être chez soi à 20 h, on peut très bien sortir la journée »… Oui j’ai bien lu ce genre de commentaires à la suite d’articles de journaux. Ca n’est pas l’efficacité éventuelle du couvre-feu contre le Covid qui plaît à ces personnes. C’est, soit la peur que les autres vivent différemment. Soit la douce sensation d’être materné comme un enfant à qui on dit : « tu peux jouer dehors mais ne franchis pas telle rangée d’arbres ». Et qui ressent de la fierté en obéissant.
    Personnellement, même quand une restriction de liberté ne m’atteint pas (je n’irai jamais faire un jogging à 5 h du mat), ça m’angoisse. Car une restriction sans raison d’être (on ne contamine personne en courant dehors à 5 h du mat) et acceptée, prépare le chemin à d’autres. Je les sens comme des termites silencieuses qui envahissent une maison et qu’on remarque une fois qu’il est trop tard.

  • Merci pour cet excellent article !

  • Le libéralisme est d’abord un comportement spontané, ce qui ne signifie pas qu’il soit en toutes circonstances la garantie du succès. Mais, loin d’être une vision de l’esprit, il est, au point de départ, la réaction naturelle de l’homme en société devant les problèmes matériels qui se présentent à lui. A partir de là, on peut réfléchir à toutes les modalités d’intervention destinées à optimiser cette conduite. Elles l’améliorent parfois, elles la gêneront le plus souvent: elles ne la remplaceront jamais. Les faits nous le montrent: contrairement aux poncifs ressassés à ce sujet sans examen, la liberté d’entreprendre est peut-être avant tout le moyen de défense des petits contre les gros et des faibles contre les forts. Et à l’inverse, l’Etat qui se prétend correcteur des injustices, finit la plupart du temps par peser de tout son poids contre les petits et les faibles pour protéger les plus forts: classe politique, classe bureaucratique, grandes entreprises, armée pléthorique, syndicats puissants. Pour contourner ces remparts, il ne reste plus aux démunis qu’à se lancer dans l’économie parallèle, c-à-d réelle.

    JF Revel – Fin du siècle des ombres – Le libéralisme des pauvres.

  • Globalement très juste et pertinent a une nuance près.

    Le commentaire sur « le libéralisme ce n’est pas du tout l’anarchie » vous trouve coupable du même défaut a ce sujet que Barbara Stiegler sur le libéralisme. Ce que vous nommez « anarchie » c’est le désordre, pas l’anarchie, qui est une société organisé complètement autour des principes de libre marché et de liberté/autonomie individuelle. Deux intellectuels se réclamant de l’anarchisme et dont on pense facilement qu’ils sont juste libéraux : Hoppe et Rothbard….

  • Excellent article.
    Malheureusement, il faut croire qu’il existe dans l’être humain une tendance « naturelle » à s’en remettre à l’autorité (quelle qu’elle soit) pour être « protégé » (de quoi on se le demande …) et que cette tendance est souvent plus forte que celle tout aussi « naturelle » d’être libre de diriger sa vie comme on l’entend. Mais liberté veut aussi dire responsabilité, et c’est probablement ça qui fait fuir la majorité des gens devant un vrai libéralisme (témoin les réponses au sondage de Libération : faukon, nyaka …).

  • Les commentaires sont fermés.

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