La vie économique dans laquelle nous agissons tous sous nos diverses casquettes de consommateurs, investisseurs, entrepreneurs, salariés, retraités ou législateurs n’est pas sans son lot d’incompréhension et de confusion, y compris pour ses acteurs a priori les plus impliqués. Même l’ancien ministre de l’Économie Bruno Le Maire avait ses petites lacunes. C’est tout dire !
Aussi, sous le titre (un peu moqueur, je l’admets) d’Économie 101, en référence aux cours d’introduction à l’économie dispensés par les établissements d’enseignement supérieur aux étudiants de première année, je vous propose une brève revue de trois malentendus économiques typiques, piochés récemment dans la presse et les réseaux sociaux.
Au menu : le blues des tatoueurs, le mystère des cotisations de retraite et l’audacieux concept “d’impôts privés“ imaginé par La France Insoumise.
1. Le blues des tatoueurs ou la question de la concurrence et du risque de l’entrepreneur
— RMC (@RMCInfo) June 13, 2025
L’information vous aura peut-être échappé, mais sachez-le, les tatoueurs, les vrais, sont en colère !
Tout avait pourtant bien commencé. Le marché du tatouage, véritable phénomène de mode, a en effet atteint une ampleur aussi appréciable qu’inattendue, à tel point qu’aujourd’hui, quelque 13 millions de Français (soit un sur cinq) portent au moins un tatouage sur leur corps. Le problème, c’est que face à une demande clairement exponentielle, les services de tatouage se sont mis à fleurir partout. Très inquiétant à un moment où l’engouement du public semble commencer à faiblir au profit d’une nouvelle tendance, le détatouage.
Mais ce n’est pas tout. Peu sensibles à l’état d’esprit contestataire des tatoueurs du début et sans ambition artistique personnelle, les nouveaux entrants profitent de toutes les avancées technologiques permises par le numérique dans ce métier : ils se forment grâce à des tutoriels trouvés sur internet, ils font leur promo sur TikTok, ils travaillent souvent à domicile, et ils disposent d’outils de pointe faciles à utiliser pour réaliser des dessins conçus par intelligence artificielle. De ce fait, ils ont moins de charges et ils sont en mesure de pratiquer des prestations plus variées, plus rapides, à des prix beaucoup plus attractifs que leurs aînés.
En d’autres termes, selon le Syndicat national des artistes tatoueurs, le marché est à la fois saturé et soumis à la “concurrence déloyale” des nouvelles pratiques. Cette complainte n’est pas sans rappeler les récriminations des taxis officiels vis-à-vis des entreprises de type Uber ou celles des libraires vis-à-vis des plateformes de vente en ligne. L’éternelle solution ? Se tourner vers l’État afin qu’il dresse des barrières légales (sur les tarifs, les pratiques, les formations, les conditions d’installation, les nombres de professionnels autorisés) pour protéger les premiers, les seuls vrais acteurs du métier.
Pas sûr que les tatoueurs obtiennent gain de cause, l’État a d’autres chats à fouetter. Mais c’est bien ce à quoi ils aspirent, oubliant complètement qu’en devenant entrepreneurs, ils ont pris un risque sur l’avenir et qu’il est de leur responsabilité de faire acte de créativité pour piloter au mieux leur activité en fonction des évolutions du marché et des technologies. Oubliant complètement que la concurrence est une bénédiction pour les consommateurs qui sont ainsi assurés de pouvoir choisir les prestations qui leur conviennent le mieux, en qualité comme en service et en prix.
2. Le mystère des cotisations retraite ou la question de la répartition étatique
Contexte : les comptes publics de la France sont devenus hors de contrôle. Parmi eux, les comptes sociaux sont si gravement concernés que, dans son récent rapport sur les finances de la sécurité sociale, la Cour des comptes va jusqu’à évoquer sans détours l’éventualité d’une “crise de liquidité“ qui pourrait faire courir un “risque sur le financement des prestations“.
Alors que chacun s’ingénie à trouver des idées pour rétablir l’équilibre des comptes publics, il est vite apparu que les pensions de retraite représentaient selon les années entre 14 et 15 % du PIB, soit à peu près 25 % des dépenses publiques et environ 46 % des dépenses sociales :
D’où l’émergence d’une vive polémique qui oppose aujourd’hui les retraités et les actifs. Ces derniers accusent les premiers de vivre à leurs crochets car ce sont eux qui paient les grasses cotisations qui deviennent les grasses pensions des retraités, alors que ceux-ci ont moins cotisé quand ils étaient actifs. Les retraités répliquent qu’ils ont travaillé et cotisé toute leur vie ; ils ont droit à leur retraite, elle leur est due, point.
Dialogue de sourds. En théorie, la retraite, cela pourrait être simple. Celui qui travaille a la “prévoyance” de mettre de côté un peu de son salaire chaque mois pour assurer sa subsistance dans ses vieux jours. S’il place les sommes ainsi mises de côté – et personne ne dit qu’il doive les placer en junk bonds ou en actions à très haut risque – il se retrouvera le moment voulu (choisi) avec un capital qu’il aura lui-même constitué.
Sauf que, dans notre système par répartition, les sommes versées en cotisations retraite par les actifs ne sont pas vraiment “mises de côté” ; elles sont payées immédiatement aux retraités. L’actif qui cotise n’a encore rien assuré pour sa retraite. Les sommes qui lui reviendront n’existent pas encore et il n’a d’autre choix que de faire confiance à l’administration pour qu’elle maintienne le système en état de marche jusqu’à sa mort.
Or ce qui fonctionnait quand l’âge de départ en retraite était de 65 ans et l’espérance de vie de 70 ans ne fonctionne plus aujourd’hui. Entre transition démographique, déficits chroniques et décisions arbitraires des pouvoirs publics pour favoriser telle catégorie de citoyens aux dépens des autres (cas des régimes spéciaux de la SNCF ou la RATP) dans le contexte de comptes publics à la dérive, une telle confiance n’est pas raisonnable.
C’est pourquoi, je pense qu’il est temps de rendre aux Français la maîtrise de leur retraite en cassant le monopole de l’État providence et en permettant à chacun d’inclure de la retraite par capitalisation dans son plan de retraite. Un projet certes complexe, qui ne pourrait se réaliser que dans la durée et qui demanderait une prise en charge spécifique de la période de transition.
Mais selon moi, les solutions qui passeraient par la conservation intégrale de la répartition et la baisse étatique des pensions de telle ou telle catégorie de retraités déboucheraient inéluctablement sur une usine à gaz administrative, sans garantie d’équité pour les retraités et sans garantie qu’il devienne possible de baisser les cotisations des actifs compte tenu de l’ampleur des déficits à résorber et de la fâcheuse tendance de l’État protecteur au “quoi qu’il en coûte”.
3. L’audacieux concept LFI “d’impôts privés” ou la question du choix du consommateur
Dans un précédent article, je soulignais que, dans les débats sur les efforts à faire pour rééquilibrer nos finances publiques, on oubliait souvent de dire que les prélèvements obligatoires français étaient déjà les plus élevés du monde. Coïncidence, il y a seulement quelques jours, l’Institut La Boétie, qui sert de fondation intellectuelle et d’outil d’éducation populaire à La France Insoumise, a publié un long fil X (ex-Twitter) visant à faire comprendre que la France n’était pas la championne du monde des prélèvements obligatoires car on oubliait de prendre en compte… les “impôts privés” !
🏆 La 🇫🇷 est-elle « championne du monde des prélèvements obligatoires » ?
C’est l’argument favori du monde libéral : la 🇫🇷 étoufferait sous la pression fiscale.
Sauf que… ces comparaisons internationales sont malhonnêtes !
Un fil à partir de notre point de conjoncture 🧶 pic.twitter.com/5O7bfQTdBS
— Institut La Boétie (@i_laboetie) June 27, 2025
Voici le raisonnement. Dans les autres pays, les prélèvements obligatoires sont moins élevés parce que les services publics sont moins développés. Les citoyens sont obligés de recourir au secteur privé pour couvrir l’ensemble de leurs besoins de santé, éducation, retraite. Secteur privé qui n’agit pas gratuitement : il faut lui payer des “impôts privés” pour accéder à ses services.
Je continue le raisonnement. Toute la question consiste à savoir si le citoyen est mieux loti en s’adressant à un service public universel ou en s’adressant au secteur marchand. Pour LFI, la réponse est évidente : nous, Français, bénéficions d’un service public que le monde entier nous envie, une santé et une éducation gratuites, et un système de retraite merveilleusement solidaire, tandis que les “impôts privés” sont beaucoup trop élevés pour le service rendu. Normal : comme les « entreprises lucratives » évoluent dans un système de concurrence, elles doivent faire de la pub, embaucher pléthore de commerciaux et forcément, tout cela coûte cher.
À ce point-là, normalement, vous devriez être morts de rire. J’ajoute que cet échafaudage visant à vanter les mérites du tout-État s’appuie sur une belle série d’erreurs et de non-dits. Notamment, les frais de gestion de la sécu annoncés à 7,8 milliards d’euros dans le tweet se montent en fait à 13,5 milliards. De plus, la question de la Taxe de solidarité additionnelle (TSA) de 13,7 % prélevée sur les cotisations perçues par les complémentaires santé est consciencieusement évitée (6 milliards d’euros en 2022). Quant aux déficits et au risque de crise de liquidité, silence radio.
Faute du moindre sérieux, ce tweet nous confirme une fois de plus que LFI déteste la concurrence, déteste la liberté, déteste la possibilité de choisir et déteste plus généralement tout ce qui voudrait se développer en dehors du contrôle intégral de l’État. La notion d’échange librement consenti entre des personnes lui est tellement répugnante qu’elle va jusqu’à désigner le concept de prix sous le vocable ô combien autoritaire “d’impôt privé“ !
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