La culture en péril ? (épisode 3)

Pourquoi lire ?

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

La culture en péril ? (épisode 3)

Publié le 1 juillet 2015
- A +

Et si les livres, la lecture, l’esprit de solitude, étaient des éléments en voie de disparition ou d’anéantissement ? Aujourd’hui, une question toute bête : « Pourquoi lire ? » par Charles Dantzig.

 Par Johan Rivalland.

Pourquoi lire de Charles DantzigAprès les nombreuses questions que nous avons eu l’occasion de nous poser au sujet  de la fragilité du livre, de son devenir, mais aussi de son sort lié à celui de la liberté, à travers les idées qu’il permet de véhiculer et son caractère de mode d’expression à part entière comme parfois de mémoire, face notamment à tous les ennemis de la liberté, puis ceux qui veulent le détruire, réprimer, voire effacer toute trace du passé, poursuivons notre itinéraire avec une question en apparence plus légère, presque innocente, mais non moins fondamentale : pourquoi lire ?

Petite visite guidée, à travers l’ouvrage passionnant de Charles Dantzig, véritable ode à la lecture, susceptible d’engager la réflexion, mais pouvant être aussi un excellent support pour susciter le débat.

Lire, une activité exigeante

C’est une belle réflexion, tout à la fois enthousiasmante et exaltante, que cet hommage rendu par Charles Dantzig à la lecture, une évocation non dénuée d’humour et de légèreté, par-delà la diversité des situations, des lieux ou des causes.

Avec aussi quelques travers.

Car si l’auteur entend dresser l’éloge de la lecture et distinguer plusieurs degrés de lecture ou dans les lectures, tout en déplorant l’ignorance, il n’en sombre pas moins par moments dans le mépris, voire la condescendance, lorsqu’il observe par exemple ne jamais voir de gens, ni sur une plage, ni au bord d’une piscine, dans un avion, un train ou un jardin de campagne, lire ce qu’il appelle un grand livre. Ou pire, dans ses jugements à l’égard de ceux qui ne lisent pas ou peu, qu’il rassemble, au mieux, dans ce qu’il nomme le grand public, c’est-à-dire ceux qui lisent moins de cinq livres par an.

Quelques tentations, malheureusement aussi, à effectuer (même si très peu) de petites allusions à des questions bassement politiciennes, ce qui nuit à l’intemporalité de son écrit.

Ainsi, on alterne les moments où l’on peut adhérer agréablement aux idées de l’auteur ou apprécier la présentation originale et évocatrice qu’il fait des livres et de la lecture et les moments où, à l’inverse, on peut le trouver injuste ou excessif.

Pour ce dernier cas, je citerai le passage suivant (qui est cependant loin d’être le plus dur, mais qui me paraît assez représentatif de ces quelques excès, encore qu’il y ait des éléments pas inintéressants dans cet extrait, mais dont la forme mériterait d’être atténuée et le fond discuté) :

Il y a des moments où cela arrange le lecteur de se croire passif. C’est quand il n’aime pas. Seulement, ce n’est pas parce qu’on n’aime pas qu’on a raison. Le lecteur oublie souvent que, quand il reproche quelque chose à un auteur, c’est peut-être lui le responsable. Il peut avoir lu dans de mauvaises conditions. Être de mauvaise humeur. Ne pas réellement lire, mais chercher à conforter des préjugés. Il ne le pense jamais. C’est toujours l’auteur le coupable. Or, parfois, il faut le dire, il se peut que le lecteur soit moins fin que l’auteur.

Tel quel, cet extrait ne vous parlera sans doute pas vraiment. Mais replacé dans le contexte du livre, je trouve qu’il est assez caractéristique d’une forme d’esprit de l’auteur, qui éprouve par moments du mépris tour à tour pour des types de lecteurs, les non-lecteurs, les petits lecteurs, les lecteurs régressifs (par exemple les lecteurs adultes d’Harry Potter, qui pratiquent l’arriération volontaire), les personnes qui défendent une carrière en entreprise ou s’intéressent au CAC 40, les écrivains ratés, les journalistes (ou du moins sans doute la plupart d’entre eux), etc.

C’est s’assimiler lui-même à toutes ces personnes de tout milieu que j’observe considérer leur domaine de prédilection comme une sorte de centre du monde, où tous les autres ne seraient que des incultes ou des gens en dehors des réalités. À l’instar des professionnels en entreprise, qui ont souvent un air amusé à l’égard des autres professions qui ne seraient pas dans la réalité (même s’il y a parfois du vrai), ou des enseignants, qui se prétendent souvent détenteurs du savoir (ce qui n’est pas toujours exact et qui fait bien peu de cas de ce que peuvent vraiment connaître de multiples autres catégories de gens), ou de tant d’autres encore.

Un sentiment d’éternité

Heureusement, il y a aussi, et c’est ce qui l’emporte, les moments de grâce où l’auteur évoque la lecture d’une manière qu’un passionné de lecture ne renierait pas. Comme dans l’extrait suivant :

Lorsqu’on lit, on tue le temps. Pas dans le sens passer le temps, ça c’est quand on lit en bâillant pour vaguement occuper un après-midi à la campagne, non, mais quand on fait une lecture sérieuse, une lecture où on est absorbé par le livre. Elle donne l’impression que le temps n’existe plus. On a même, confusément, une sensation d’éternité. Voilà pourquoi les lecteurs sortant de leur livre ont un air de plongeur sous-marin, l’oeil opaque et le souffle lent. Il leur faut un moment pour revenir au temps pratique. Et voilà pourquoi les grands lecteurs ont le sentiment d’être toujours jeunes. Ils n’ont pas été usés de la même façon par un emploi du temps, c’est-à-dire un temps employé à autre chose qu’à obéir au temps commun. Même à cent ans, ils meurent jeunes. Chaque nouvelle lecture a été une plongée dans un bain frais, un moment où on a, pas tout à fait illusoirement, vaincu le temps.

Un livre qui parlera aux grands lecteurs. Un petit plaisir à s’offrir, qui permet de partager ce que l’on aime, de retrouver ce que l’on ressent, une petite réflexion légère et sérieuse à la fois, plaisante et évocatrice.

Je n’irai pas plus loin, pour cette fois, dans la présentation. Je préfère vous laisser découvrir tout le charme de cette lecture et de ce questionnement. À noter qu’en cliquant sur le lien ci-dessous, vous pourrez aussi découvrir les impressions d’autres lecteurs sur ce livre, parfois tout à fait stimulantes et passionnantes.

Prochains volets : qu’est-ce que l’esprit de solitude ? En quoi est-il lié à notre sujet sur la puissance de la lecture et ce sentiment sublime, précieux et indispensable de liberté ?

D’ici-là, bonnes lectures !

Voir les commentaires (7)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (7)
  • Vous écrivez: Pas dans le sens « passer le temps », ça c’est quand on lit en bâillant pour vaguement occuper un après-midi à la campagne. Il est évident que l’élite parisienne ne lit jamais en baillant pour vaguement occuper un après-midi dans la capitale!

    • Juste remarque, Guy.
      Vous noterez cependant que ce n’est pas moi qui dis, mais l’auteur du livre, Charles Dantzig, dont je crois avoir bien exprimé que je me distinguais de lui et de ce qu’il peut affirmer, parfois avec une certaine condescendance (à supposer que ce soit bien le cas ici).

  • Bonjour.

    Charles Dantzig cultive l’entre-soit, écrivain médiocre, il est néanmoins exigeant avec la littérature, las, son exigence n’est que l’expression d’une radicalité et d’un élitisme délétère car basé sur ses seuls critères.

    Aussi déplaisant que peut être Dantzig, je ne vois pas dans le chapitre ci-dessous (1) de critique sévère ou avis déplacé (?), c’est même justement un de ses rares moments de lucidité.
    Vous n’avez pas manqué de constater qu’ici même, sur Contrepoints, des avis de lecteurs sont souvent limités par l’interprétation qu’ils ont de la (leur) réalité, se privant de lire ce que certains vont même jusqu’à nommer « l’ennemi » (sic).

    ((1) extrait de votre article) : « Il y a des moments où cela arrange le lecteur de se croire passif. C’est quand il n’aime pas. Seulement, ce n’est pas parce qu’on n’aime pas qu’on a raison. Le lecteur oublie souvent que, quand il reproche quelque chose à un auteur, c’est peut-être lui le responsable. Il peut avoir lu dans de mauvaises conditions. Être de mauvaise humeur. Ne pas réellement lire, mais chercher à conforter des préjugés. Il ne le pense jamais. C’est toujours l’auteur le coupable. Or, parfois, il faut le dire, il se peut que le lecteur soit moins fin que l’auteur ».

    La lecture réclame 2 choses : disponibilité et ouverture d’esprit. Auxquelles il faut rajouter, hélas, des moyens financiers. Ce que dénonce à juste titre Emmanuel Todd (qui est Charlie ?) en disant que les livres ne sont accessibles financièrement qu’aux gens disposants de revenus confortables.

    Je rejoins Dantzig sur un point, c’est que la lecture exige de la disponibilité, ce qui implique de laisser ses préjugés et d’être exigeant avec soit même.

    • Tout à fait.
      Je voudrais, par contre, relativiser la question des moyens financiers : n’existe-t-il pas un large accès à la lecture via les bibliothèques municipales, entre autres ?

      • Bah, la culture a été réduite au sponsoring d’élites déconnectés : festivals et autres expositions qui n’existeraient pas sans la manne de l’état.
        Les bibliothèques municipales ont été marginalisées, il existe toutefois quelques initiatives dans des communes de petite taille, notamment les bibliobus.
        Le défaut de lecture constaté trouve sa source dans l’école qui est devenu une véritable fabrique de crétins [Jean Paul Brighelli] http://www.amazon.fr/La-fabrique-cr%C3%A9tin-programm%C3%A9e-l%C3%A9cole/dp/2350130355

        Merci pour vos articles.

      • @ Johan Rivalland Le mépris affiché par l’auteur sur le grand public me rappelle la condescendance de certains de mes professeurs et de personnes  » cultivées » Il est vrai que cette methode n’est pas des meilleures et par réaction je suis pret a lancer a cet auteur puisque cette culture est si precieuse gardez la meprisez le peuple mais ayant la decence de garder vos réactions Quoi qu’il en soit je lis et je m’interesse a l’art mais ce ne sont pas les personnes comme m Dantzig qui m’ont amenés dans ces chemin de traverse. J’habite pres de Lyon les librairies du centre ferment helas.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
culture
0
Sauvegarder cet article

La littérature est un lieu de détente, mais aussi de compréhension et de connaissance des cultures, de l'histoire, du monde. Pour cet été, Contrepoints vous propose une série consacrée à quelques ouvrages de la littérature, connus ou à découvrir.

 

Série d'été réalisée par Johan Rivalland.

1. Grands classiques de la littérature 2. Littérature épistolaire 3. Théâtre classique 4. Théâtre moderne 5. Théâtre moderne très récent 6. L’univers des contes 7. Littérature maritime 9. Littérature sur les mots 10. Littérature à ... Poursuivre la lecture

Dans son ouvrage A conflict of visions, Thomas Sowell explore les fondements idéologiques qui sous-tendent les conflits politiques et sociaux. Il ne s'agit pas simplement de divergences d'opinion, mais de différences profondes dans la perception du monde et des mécanismes causaux qui le régissent. Sowell définit une "vision" non pas comme un rêve ou une prophétie, mais comme un "sens de la causalité", une intuition fondamentale qui guide nos théories et nos interprétations des faits.

 

Les visions sous contrainte et sans contr... Poursuivre la lecture

Une histoire des économistes d’Aix-Marseille (Presses Universitaires d’Aix-Marseille), Jean-Yves Naudet, professeur émérite d’économie de l’Université d’Aix-Marseille, nous offre une peinture historique de l’évolution de l’enseignement et de la recherche de l’économie dans son alma mater et l’académie de la ville d’Aix, et à Marseille sur plus d’un siècle.

 

Le tour de force de Jean-Yves de Naudet consiste à faire un va-et-vient permanent entre le microcosme provençal et ses institutions (université, académie, société) d’un... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles