La culture en péril (13) – Joseph Roth, « L’autodafé de l’esprit »

Joseph Roth, écrivain en exil, capture l’horreur des autodafés nazis, symbole de l’assaut contre la culture européenne. Son message est un appel à la vigilance contre la montée du totalitarisme.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 1

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

La culture en péril (13) – Joseph Roth, « L’autodafé de l’esprit »

Publié le 20 novembre 2023
- A +

Joseph Roth est un écrivain et journaliste austro-hongrois du début du XXe siècle. Témoin de la Première Guerre mondiale, puis de la montée du nazisme, il assiste à la destruction des livres, dont les siens, à l’arrivée des nazis au pouvoir en 1933. Il s’exile alors à Paris, où il meurt prématurément six ans plus tard à 44 ans, malade, alcoolique et sans argent.

Dans ce très court fascicule qui est la reproduction de l’un de ses articles, il se penche sur le péril représenté par les autodafés, une forme extrême de censure qui préfigure des destructions plus vastes et des massacres d’individus.

 

L’origine de « L’autodafé de l’esprit »

Le contexte de cet écrit est présenté à la fin du recueil. Son origine se situe à la suite immédiate de l’autodafé géant du 10 mai 1933 sur la place de l’Opéra de Berlin, réalisé avec l’appui des Sections d’Assaut, sous l’impulsion du ministre de la Propagande et de l’Instruction publique Joseph Goebbels. Vingt mille livres d’écrivains juifs furent brûlés, tandis que la même chose se produisait simultanément dans vingt autres villes allemandes, suivie par d’autres encore le 21 juin.

Depuis son exil parisien, Joseph Roth réagit aussitôt, se lançant sous pseudonyme dans la contre-propagande, en écrivant ce texte en français, afin d’éviter la censure et les menaces sur son intégrité. Il entend défendre la culture allemande mais aussi européenne contre cette purge.

Mais il n’avait pas attendu ce jour pour mettre en garde, dès les années 1920, contre un monde en train de disparaître. Notamment à partir de 1925, où il devient envoyé spécial du journal libéral Frankfurter Zeitung.

 

La destruction de l’esprit

L’écrivain évoque dès le début de son écrit la « capitulation honteuse » dont a fait preuve l’Europe spirituelle de l’époque, « par faiblesse, par paresse, par indifférence, par inconscience… ». Car « peu d’observateurs dans le monde semblent [alors] se rendre compte de ce que signifient l’auto-da-fé des livres, l’expulsion des juifs et toutes les autres tentatives forcenées du Troisième Reich pour détruire l’esprit ». Toujours cet aveuglement et cette peur qui gouverne tout, à différentes époques.

Joseph Roth analyse – en prenant le recul du passé – comment on sentait poindre depuis longtemps déjà, sous le Reich prussien de Bismarck, ce sentiment moral d’exil des écrivains allemands (tout au moins de ceux qui demeuraient « libres et indépendants ») face à la prédominance de l’autorité physique, matérialiste et militaire sur la vie spirituelle.

Qui préfigurait, par son hostilité à l’esprit, à l’humanisme et aux religions juives et chrétiennes, ce qui allait advenir aux livres. Il s’en prend ainsi à ceux qu’il nomme les « Juifs de l’Empereur Guillaume », qui se sont selon lui fourvoyés en se soumettant à Bismarck plutôt que de s’allier « au véritable esprit allemand ». Allant jusqu’à dominer depuis 1900 la vie artistique de l’Allemagne.

 

Le simple commencement de la destruction

Au moment où Joseph Roth écrit, l’Europe n’est pas encore à feu et à sang. Pourtant, par son évocation de l’antisémitisme et de tous ceux – pas seulement juifs – qui représentent l’esprit européen, la littérature allemande et le fleuron du monde intellectuel de l’époque, il montre que c’est non seulement la civilisation européenne qui court vers la destruction avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir, mais au-delà ce sont le droit, la justice, puis l’Europe entière qui menacent d’être ravagés par la barbarie, puis la destruction totale. Jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien du monde d’hier. Il ne se trompait pas… Même s’il n’a pas vu se produire ce qu’il avait prophétisé.

Cet écrit est, en définitive, la mémoire d’une époque révolue, de ce que des écrivains et intellectuels – en particulier juifs allemands – ont apporté à la culture, à la civilisation, à l’esprit européen le plus évolué, avant que l’Europe et le monde ne soient mis à feu et à sang. En remontant aux autodafés, il montre comment la destruction de la culture, bastion de la civilisation, est toujours le point de départ de l’offensive destructrice contre celle-ci, remplacée par les pires totalitarismes.

La culture qui – à l’instar de ce que montrera Milan Kundera plus tard dans un autre contexte – peut aussi constituer un îlot de résistance salvateur

 

Joseph Roth, L’autodafé de l’esprit, Editions Allia, mai 2019, 48 pages.

_________

À lire aussi :

Voir le commentaire (1)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (1)
  • Un livre à mettre entre toutes les mains, celles de M. Macron (le gars qui ne connaît et ne reconnaît pas l’Histoire et la Culture) et de tous les macronistes et pro-macronistes qui le suivent.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Il y a des sujets comme l’immigration pour lesquels le politique prend le peuple à témoin en le sondant, en se justifiant, d’autres sur lesquels on décide en catimini. 

Ainsi il en va de la taxe streaming ajoutée discrètement au projet de loi de finances 2024 par un amendement unanime des groupes politiques au Sénat. Une taxe de 1,75 % sur le chiffre d’affaires des plateformes de streaming qui promettent qu’elle ne sera pas répercutée. Prix ou service, le consommateur sera bien perdant quelque part, et Spotify annonçait fin décembre qu... Poursuivre la lecture

La question devient de plus en plus fondamentale, face aux assauts de violence vécus ces derniers mois, ces dernières années, dans notre pays et ailleurs. Des conflits géopolitiques aux émeutes des banlieues, les incompréhensions semblent aller croissant. Le sentiment domine que tous ne parlons plus le même langage, ne partageons plus les mêmes valeurs, n’avons plus les mêmes aptitudes au dialogue. Constat d’autant plus inquiétant que, comme le remarque Philippe Nemo, de plus en plus de pays non-occidentaux (Russie, Chine, Turquie, parmi d’a... Poursuivre la lecture

Mario Vargas Llosa, dont nous avions récemment présenté l’un des derniers ouvrages, et qui a fait régulièrement l’objet de nombreuses chroniques sur Contrepoints depuis quelques années, est aussi le prix Nobel de littérature de 2010.

Les éditions Gallimard ont édité la conférence qu’il a donnée à cette occasion, véritable éloge de la lecture et de tout ce qu’elle recèle à la fois comme trésors, comme potentiel de résistance au conformisme et comme moyen de défendre les libertés.

 

« Ce qui m’est arrivé de plus important... Poursuivre la lecture
Voir plus d'articles