Aux sources de la radicalité contemporaine

De l’opposition aux vaccins à la contestation du capitalisme, nos contemporains semblent de plus en plus privilégier les principes éthiques aux avantages matériels dans leur jugement des systèmes sociopolitiques établis.

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Aux sources de la radicalité contemporaine

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 17 mai 2023
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Vous avez sûrement découvert avec étonnement que certains de vos amis ou de vos parents, que vous savez sains d’esprit, se sont farouchement opposés à la vaccination contre le Covid-19, et qu’ils vont parfois jusqu’à douter des bienfaits des vaccins en général.

Face à cette attitude, il y a deux façons de réagir. Vous pouvez penser que ce comportement est le résultat d’un manque d’informations et d’une réflexion insuffisante. Vous vous efforcez alors de leur démontrer, chiffres et graphiques à l’appui, que la politique de lutte contre la pandémie a été une relative réussite en Europe, eu égard aux informations et aux moyens dont disposaient en 2020 les États et les systèmes de santé publique ; ou alors, vous pouvez écouter attentivement leur argumentaire, car vous auriez tort de vous croire plus perspicace qu’eux.

En effet, que disent les « antivax » ?

Ils ne contestent pas que les vaccins offrent une protection contre la maladie, mais ils déplorent leurs effets secondaires, qui ont entraîné le décès de plusieurs personnes. Pour eux, que ce nombre soit infime ne change rien à l’affaire. La vie est sacrée, on ne peut pas mettre en balance le bien-être de la collectivité et la mort de quelques-uns. Un mort est un mort de trop. Mais leur opposition à la vaccination devient absolue dès lors qu’elle est obligatoire, ou que s’en abstraire est socialement sanctionné. On pense ici aux soignants non vaccinés. Ainsi, l’opposition au vaccin n’est pas le résultat d’un calcul probabiliste où les avantages sont confrontés aux risques encourus. Non, la vaccination sera récusée au nom de principes absolus, en l’espèce le respect de la vie humaine et l’exercice de la liberté individuelle.

Parmi nos contemporains, les « antivax » ne sont pas les seuls à verser dans cette forme de radicalité.

En Occident, l’économie de marché, la libre entreprise, en un mot le capitalisme, n’ont pas bonne presse. Sa forme achevée, la mondialisation, est encore moins populaire. Les reproches qui lui sont adressés sont multiples. N’avons-nous pas assisté à une montée des inégalités sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale ? à la répétition de graves crises financières qui privent de travail et de revenu des pans entiers de la population ? à l’exploitation et la domination dont sont victimes les plus faibles, chez nous et dans le tiers-monde ?

Vous aurez beau rappeler que la globalisation des échanges a sorti nombre de ces pays de la misère, que le niveau de vie des Européens et des Américains a progressé de façon spectaculaire au cours des dernières décennies, vous restez inaudible. Car le capitalisme tel qu’il fonctionne paraît à certains profondément injuste. Et ce besoin de justice transcende toute autre considération.

 

La démocratie représentative est aussi la cible de sévères critiques.

Le désamour est sérieux, qui voit prospérer les partis extrémistes à gauche et à droite de l’échiquier politique et qui fait des abstentionnistes un troisième parti non moins important. On reproche à nos systèmes de concentrer le pouvoir aux mains d’une caste de politiciens professionnels, beaucoup plus soucieux de leur réélection que de l’intérêt général. Leur duplicité n’a d’égale que leur impuissance à résoudre les problèmes des citoyens ordinaires.

Certes, « la démocratie est le plus mauvais système de gouvernement – à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’histoire. » Ce que Winston Churchill énonçait à la sortie de la guerre est malheureusement redevenu d’une brûlante actualité. Plus de la moitié de l’humanité vit aujourd’hui sous la férule de régimes autoritaires, où la liberté d’expression est bridée et les droits humains souvent bafoués. Ces régimes ont gagné en puissance et défient aujourd’hui frontalement l’Occident. Ces arguments ont peu de prise sur les contempteurs de la démocratie représentative, tant leur désir d’ordre et d’autorité les submerge. D’où la sympathie sournoise dont bénéficie par exemple Vladimir Poutine, dans certains secteurs de l’opinion.

 

Comment dès lors expliquer ces comportements paradoxaux ?

Qu’il s’agisse de questions de santé publique, d’économie ou de politique, force est de constater l’imperfection intrinsèque des solutions institutionnelles que l’expérience accumulée au cours des âges a fait émerger. En même temps qu’elles apportent aux Hommes des bienfaits incontestables, elles comportent des effets secondaires indésirables. Et ce sont ces effets qui ne sont plus tolérés.

Tout se passe comme si, dans l’expression de leurs préférences, en certaines circonstances, nos contemporains n’étaient attentifs qu’aux inconvénients, sans mettre en regard les avantages, ce qu’ils ne font manifestement pas dans la vie courante. Ils prennent le volant de leur voiture en dépit des risques d’accident, ils consomment de l’alcool ou du tabac malgré leurs dangers avérés pour la santé.

Dans les trois situations que nous avons décrites, les systèmes sociopolitiques qu’ils réprouvent portent atteinte, non à leur bien-être personnel, mais à des principes d’un ordre supérieur, touchant à leur éthique : le caractère sacré de la vie humaine ; la liberté de choix, l’égalité devant la loi, la sincérité, l’amour de la vérité, etc. D’autres valeurs moins recommandables guident parfois les Hommes : le nationalisme, voire le racisme, qui affirment la supériorité de leur groupe d’appartenance. Dans toutes ces situations, ils traitent les avantages matériels comme un critère subordonné.

Sans doute en a-t-il été ainsi de toute éternité : chacun se devait de respecter des principes imposés par la religion ou l’idéologie dominante. Ce comportement était dicté de l’extérieur par des forces sociales sur lesquelles les Hommes ordinaires n’avaient guère de prise. Les systèmes sociopolitiques se coulaient dans ce moule.

Aujourd’hui, l’ère des grandes idéologies monolithiques est révolue. Chacun veut se déterminer librement et compose son propre référentiel en puisant dans l’immense bric-à-brac des valeurs et des croyances disponibles. L’éducation de masse, – le baccalauréat pour tous -, a formé des individus rebelles qui pensent par eux-mêmes et qui n’acceptent plus les arguments d’autorité. Dès lors, rien de surprenant que le monde tel qu’il est, la société telle qu’elle fonctionne, par nature imparfaits et inachevés, voient se dresser contre eux une coalition de mécontents venant de tous les horizons.

 

En la matière, les réseaux sociaux jouent un rôle déterminant.

L’anonymat et l’impunité encouragent l’expression, souvent violente, des idées les plus extrêmes. Les algorithmes permettent à ceux qui les partagent de se rencontrer, et la multiplication des likes donne un caractère viral à leur diffusion. Alors, on se « radicalise » tout seul devant son écran, ou à quelques-uns dans un groupe dédié. Cela ne tire pas à conséquence, on vitupère contre le gouvernement ou la mondialisation, mais la vie suit son cours. On continue de payer ses impôts, de traverser dans les clous et d’acheter des smartphones made in China. C’est un simple défoulement, un jeu. On serait bien marri que cela change. La vie dans ce monde parallèle génère des satisfactions psychiques, auxquelles beaucoup sont devenus addicts.

Cependant, des entrepreneurs ayant des visées politiques animent désormais le « marché » des idées et des croyances que sont devenus les réseaux sociaux. La manipulation de l’opinion s’y nourrit de techniques efficaces. Au moment de voter, les contestataires peuvent difficilement se dédire et vont mettre leur suffrage en harmonie avec le credo qu’ils professent sur leur fil Twitter ou Facebook. Ils quittent momentanément le monde virtuel des réseaux sociaux pour le monde réel de la décision politique, sans toujours mesurer la portée de leurs actes. La montée des partis extrémistes se nourrit de ce mécanisme.

Les États-Unis avec Donald Trump, en Europe, le Royaume-Uni, la Hongrie, la Pologne, l’Italie ont fait l’expérience de ce basculement. Avec un succès mitigé, car les leaders qui avaient promis de réformer substantiellement le système sociopolitique pour en corriger les défauts ont doublement échoué. La démocratie illibérale est un régime qui prétend donner la parole au peuple, mais fait peu de cas de la séparation des pouvoirs, vite confisqués par un autocrate ou une oligarchie.

De même, sortir de la mondialisation pour davantage de protectionnisme pénalise les consommateurs sans pour autant relancer la croissance. Dans les cas extrêmes, vouloir en finir avec le « capitalisme financier » consiste à soumettre les marchés aux injonctions de l’État et de ses fonctionnaires, et à opérer une redistribution massive des revenus et des patrimoines. C’est la recette assurée pour une destruction de richesse. Le souverainisme a incité le Royaume-Uni à quitter l’Union européenne en promettant des lendemains qui chantent. Sept ans après le Brexit, c’est plutôt le désenchantement.

 

Il convient cependant de rester optimiste.

En Occident, les Constitutions sont assez solides et le débat politique encore suffisamment ouvert pour que la marche vers les extrêmes reste réversible. Trump n’a pas été réélu, Boris Johnson a été chassé du 10 Downing street, les étoiles de Matteo Salvini et de Beppe Grillo se sont éteintes. La Grèce d’Alexis Tsípras et la Hongrie de Viktor Orban ont appris jusqu’où ne pas aller trop loin.

Le meilleur moyen pour les peuples de demeurer dans le « cercle de la raison » n’est-il pas d’en tester de temps en temps les limites ? Ils quittent alors le monde imaginaire des réseaux sociaux pour revenir dans le monde réel, un monde inévitablement pétri de contradictions et d’imperfections. L’art du politique, l’art du vivre ensemble, est précisément de s’en accommoder. Les Français seront-ils tentés par cette expérience ? Nous le saurons bientôt.

 

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  • Oula . Le vaccins de la grippe saisonnière est il obligatoire ? Non . Les soignants sont ils obligés de se vacciner contre la grippe ? Non. Le vaccin contre le Covid 19 est il un vaccin ? Non, c’est un principe actif qui ne fait qu’atténuer certains aspects de la maladie . Est on antivax lorsque l’on énonce ces faits ? Non , on dit juste des faits . Je me suis faite « vacciner » (terme impropre) contre le Covid néanmoins, j’ai pesé le bénéfice / risque et ai choisi librement de le faire . Mon comportement n’est pas paradoxal. C’est celui d’un individu qui tente de s’éclairer en fonction des informations collectées de diverses sources (dont médicales bien sûr) et qui contrairement à l’auteur , sait que la vérité est complexe et que ce qui est bon pour Paul , ne l’est pas forcément pour Jacques et que ni Paul , ni Jacques ne sont des statistiques et que Paul et Jacques ont tout à fait le droit de faire comme bon leur semble même si cela doit leur être fatal. Prenons l’exemple du vaccin (un vrai celui là) Tetanos , il est bon qu’il soit obligatoire pour les enfants , lesquels sont dépendants des adultes . Mais ce vaccin n’est pas obligatoire pour les adultes (hors soignants) . Alors selon vous il faudrait le rendre obligatoire ? Pourquoi ne l’est il pas ? La famille d’un adulte qui meurt du tétanos serait en droit selon vous d’attaquer l’Etat , car le tétanos , même s il est rare d’être contaminé , est fatal. Les personnes qui ne se vaccinent pas contre le tétanos sont elles antivax et paradoxales ? Non , souvent juste négligentes. L’Etat n’imposant pas cette vaccination est il paradoxal ? Oui si l’on en juge ce qu’il a imposé pour le Covid . Bon j’arrête mais votre article est juste un tissus de sophismes destiné à servir votre thèse.

  • Comme tout est gratuit en France, c’est bien connu, en particulier la médecine pas la peine de se vacciner. De toute façon si on tombe malade, la Sécu payera les soins et arrêts de travail qui coûtent plus de 1000 fois plus que le vaccin. Et refusons les morts dûs aux effets secondaires du vaccin mais acceptons ceux de la maladie.
    Le capitalisme, c’est mauvais. Le socialisme, c’est super. Comme le montrent les exemples historiques : Staline, Mao, Pol Pot, Maduro, Castro, etc. Et c’est la vérité puisque depuis Mitterrand c’est ce qu’on apprend à l’école depuis qu’on est petit et on obtient ainsi son baccalauréat. Attention, on n’est-ce pas dans une dictature, ce n’est pas du bourrage de crâne. La preuve : on respecte les idées des autres pourvu qu’elles soient de gauche.
    Et n’oubliez jamais : il vaut mieux que toute la population soit pauvre et partage sa misère car être riche ne sert à rien. Et si la majorité des habitants étaient riches comme en Suisse, ce serait la fin du petit commerce de la NUPES. Donc faisons tout pour que cela n’arrive jamais en France.

    -1
  • En France 57% des contribuables ne paient pas d’impôts, arrêtez car ils croient en payer.
    Pour votre article vous dépeignez un ensemble d’individus divers qui cherchent à s’exprimer alors qu’avant ils ne le pouvaient pas ou peu. Aujourd’hui ce sont des chocs de pensées de désirs souvent mal étayés car manipulés par des professionnels de la politique et des médias sans grande valeur.
    Il est dommage que ces expressions ne trouvent pas matière à échange et construction, pour l’instant.

  • Euh…comme dit plus haut par quelqu’un d’autre, decreter des confinements de toute une nation pendant plusieurs mois, les commerces qui sont essentiels ou non, obliger les gens à se faire vacciner pour pouvoir travailler ou aller prendre un café ce sont des « effets secondaires » de la démocratie ?

  • Les commentaires sont fermés.

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