Comment le gouvernement cornérise peu à peu les partenaires sociaux

Le gouvernement reçoit les partenaires sociaux pour leur présenter les réformes de l’assurance chômage et de la santé au travail. Cette méthode de rencontres bilatérales permet de « cornériser » progressivement les organisations syndicales.

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Comment le gouvernement cornérise peu à peu les partenaires sociaux

Publié le 31 août 2018
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Par Éric Verhaeghe.

Édouard Philippe a entamé ses rencontres bilatérales avec les organisations syndicales pour leur exposer ses intentions en matière de réforme de l’assurance chômage et de santé au travail. C’est la redite du round qui avait été mené l’an dernier sur les ordonnances réformant le Code du travail. On notera cette étrange façon de consulter, qui consiste à ne pas réunir ensemble les partenaires sociaux, et à les maintenir dans un isolement scrupuleux les uns par rapport aux autres. Ce sens du dialogue à deux répété près d’une dizaine de fois ne manque pas d’étonner.

Quand la CGT dit que le roi est nu

La stratégie syndicale de Philippe Martinez à la tête de la CGT déroute souvent. Mais on peut lui reconnaître le mérite, à l’issue de son entrevue avec Édouard Philippe, d’avoir dit tout haut ce que tout le monde peut légitimement penser tout bas :

On nous convoque pour nous expliquer ce qu’on va faire cette année […] de toute façon, on fera ce qu’on voudra.

Il faut bien reconnaître que le propos n’est pas faux. Le très urbain Édouard Philippe n’est à coup sûr pas l’homme du dialogue social. Il suffisait de lire son interview extrêmement sèche dans Le Journal du Dimanche pour le mesurer. L’homme a tout du haut fonctionnaire : il prend la parole pour annoncer la suite des événements, pas pour les discuter avec le petit peuple.

Une méthode qui peut se comprendre

S’agissant de dispositifs qui devraient remettre en cause des forteresses paritaires, la méthode en elle-même ne paraît pas complètement farfelue. Que peut espérer ce Premier ministre de la part d’organisations auxquelles il annonce une réduction de pouvoir tous azimuts ? Pas grand-chose, sinon de la contestation et de l’opposition.

Il serait probablement plus simple d’expliquer qu’on n’a pas de temps à perdre en vaines concertations, au lieu de jouer cette comédie où des dirigeants sont reçus à la va-vite pour s’entendre dire ce qu’ils ont lu dans la presse, pour l’essentiel. Mieux assumer ce que l’on fait produirait sans doute moins d’agacement chez les partenaires sociaux.

Les partenaires sociaux progressivement mis sur le banc de touche

Officiellement, on ne veut froisser personne et on consulte mieux que l’an dernier. Dans la pratique, comme le dit Martinez, rien ne change. S’il y a eu des consultations, elles se sont faites avant, ou ailleurs, et certainement pas de façon multilatérale. L’opacité a entouré cette phase préalable, et personne ne peut probablement retracer dans sa totalité la préparation des décisions publiques dans le champ social aujourd’hui.

Se dégage de ce fonctionnement un sentiment de malaise dû à l’extrême centralisation des décisions qui se prennent. Personne ne sait exactement comment fonctionne la machine qui produit des textes. Personne ne sait qui est consulté sur quoi. Cette opacité poussée à l’extrême est dangereuse pour le gouvernement, car elle l’expose directement et elle désaisit l’ensemble des acteurs de toute forme de responsabilité dans la conduite des opérations.

Ces derniers mois ont montré que l’hyper-personnalisation du pouvoir pouvait produire des effets boomerang assez cruels. L’exécutif gagnerait à mieux mesurer les risques qu’il prend. C’est particulièrement vrai dans un horizon où il s’apprête à décharger les partenaires sociaux de l’un de leurs trésors de guerre les plus sensibles et les plus symboliques : l’assurance chômage (suivie, probablement de la médecine du travail). Facialement, les partenaires resteront gestionnaires des systèmes, mais, dans la pratique, ils ne seront plus là que pour amuser une galerie parfaitement informée de cette imposture.

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  • Dialoguer et ne retenir rien ,circuler ,je suis sourd ,je décide c’est l’échec d’une négociation garenti. c’est un échange d’un point de vue ,si lors de la signature l’un des deux ce sent humilié ,c’est l’échec garenti !!!
    une négociation, ce n’est pas de la com..c’est dans l’intérêt général. qui est souvent oublié..
    il faut mettre de côté son égo !!!

  • Corneriser les partenaires sociaux, c’est très bien. Le faire au profit d’un seul et unique arbitre de haute chaise en oubliant le jeu et son libre fonctionnement, c’est moins bien…

    • @ MichelO
      C’est bien le principe de la Vième qu’un pouvoir exécutif dominant. Donc le gouvernement (« solidaire »), sous le contrôle du président, gouverne (ce qui n’empêche pas les partenaires sociaux de se concerter) et le premier ministre en est le porte-parole avec le parlement et les partenaires sociaux.
      Quand la concertation sociale inclut le gouvernement, les dés sont pipés et immanquablement, syndicats et patrons se tourneront vers lui pour financer ou compenser les concessions et arrangements, ce qui en période d’économie est clairement à éviter! D’autre part, l’exécutif sera présenté comme le méchant, forcément!

  • Compte tenu du fonctionnement de la plupart des partenaires sociaux en France, les corneriser n’est peut-être pas une mauvaise chose. Ce qui me surprend, c’est que je n’entend jamais de communication indiquant qu’en fait, tous ces machins servent surtout à financer des apparatchik alors qu’il semble que dans les pays alentours, ce sont les cotisations des adhérents qui financent les syndicats. Et comme par hasard, les syndicats dans ces pays représentent plutôt les travailleurs plutôt que des idéologies…

    • 100% en accord avec ça

    • Tout à fait d’accord. On est en droit aussi de se demander ce qu’est véritablement le dialogue social en France. Lorsque l’on s’évertue à parler à des gens qui ne représentent en aucune manière les travailleurs, ou pire comme vous le dites justement qui représentent une idéologie et la pire qui soit, on peut comprendre qu’il est désormais judicieux d’éviter le dialogue.

      • @ Waren
        C’est ce que fait E.Philippe! Les Français préfèrent la grève, la rue et la castagne avec les flics, voire les destructions d’abri-bus et de mobilier urbain, plutôt que la concertation sociale: ça « fait » plus « lutte (finale) du prolétariat contre les patrons », façon XIXième!
        C’est sans doute grotesque mais c’est comme ça!
        Les Allemands n’y comprennent évidemment rien comme tous les pays du nord en Europe!

  • Comme disait le regretté Coluche,
    ‘ Dites nous ce dont vous avez besoin,
    et on vous expliquera comment vous en passer…’

  • Quand un gouvernement non représentatif discute avec des syndicats non représentatifs, que peut dire le peuple?
    Qu’est devenu notre pays avec un pouvoir dictatorial (pour cinq ans… merci Chirac!) et une absence criante de corps intermédiaires qui jouent leur rôle?

  • « Les partenaires sociaux » représentent qui exactement ?…..
    Les ouvriers/employés ou les fonctionnaires qui, eux, ont un statut sans risque de perdre leur emploi . Ne pas vouloir reconnaitre cette situation ne peu que conduire à cette situation
    Sauf si l’état accorde les mêmes avantages au secteur privé.
    Qui veut en assumer le coût ?
    Hypocrisie des syndicats patronaux et de salariés

    • @ dupond

      Ben oui, ça vous étonne? Regardez de temps en temps ce qui fait ailleurs, au-delà de vos frontières: vous en apprendrez des choses!

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