L’hôpital en France : un secteur en mal de concurrence

La situation financière des hôpitaux publics en France devient de plus en plus critique. En comparaison, les hôpitaux privés prospèrent, rappelant l’urgence d’accorder plus d’autonomie aux hôpitaux publics et de réformer le financement pour améliorer la concurrence et la qualité des soins.

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Source : wikimedia.

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L’hôpital en France : un secteur en mal de concurrence

Publié le 18 décembre 2023
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Un article de Romain Delisle

Au début du mois d’octobre, Arnaud Robinet, maire de Reims et président de la Fédération hospitalière de France qui représente les hôpitaux publics, a déclaré un besoin non satisfait par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 de 2 milliards d’euros, et de 1,9 milliard d’euros pour l’année en cours, alors que le total des dépenses allouées aux établissements publics et privés se monte déjà à 98,4 milliards en 2022.

Depuis quinze ans, l’hôpital public est habitué à demeurer sous perfusion de l’État. En 2007 et en 2012, deux plans d’investissement avaient fait tripler sa dette à 29,3 milliards d’euros, qui s’élève toujours à 31,3 milliards d’euros.

C’est cette situation délétère qui a motivé la Cour des comptes à s’intéresser à la question, ainsi qu’à celle de la concurrence privé / public dans le secteur médical, permettant de constater l’incapacité chronique de l’hôpital public à investir dans sa propre modernisation, engendrant un état de vétusté de ses équipements de plus en plus problématique. Cet état des lieux tranche avec celui du secteur privé, bien que la concurrence entre les deux ne puisse, à l’heure actuelle, s’appliquer de manière pure et parfaite.

 

La situation financière des hôpitaux publics leur interdit d’investir pour se moderniser et les place à la remorque de l’État

Depuis 2006, le budget des hôpitaux publics a toujours été plus ou moins déficitaire : à la veille de la crise sanitaire, en 2019, leur déficit annuel se montait à 558 millions d’euros. Un tiers des hôpitaux réussissait à réaliser un bénéfice net, un tiers ne dégageait pas de marges sans tomber dans le déficit, et un tiers possédait des comptes dans le rouge.

Assez logiquement, en 2021, ce même tiers disposait d’une capacité d’autofinancement nette [1] négative (-816 millions) lui interdisant d’investir sans emprunter. Moyennant quoi, peu avant la crise sanitaire, en septembre 2019, l’État avait dû, une nouvelle fois, venir à leur secours via un plan de restauration de leurs capacités financières de 13 milliards d’euros, dont la moitié avait été consacrée au désendettement, et l’autre à des investissements de modernisation.

Opéré de manière désorganisée et parfois farfelue (l’ARS de Corse a alloué tous ses crédits au seul hôpital de Castelluccio), la distribution des subsides publics ne s’est pas réalisée moyennant une amélioration de la performance des établissements de santé, le taux de vétusté de leurs bâtiments (52,9 % en 2021 contre 45,5 % en 2015), et de leurs équipements (80 % en 2021 contre 76 % en 2015) continuant sa lente et inarrêtable ascension.

Lors du Ségur de la santé, l’État avait également mobilisé 15,5 milliards pour soutenir le secteur. Aux dires des magistrats financiers de la rue Cambon, les aides versées pendant la crise sanitaire ont été distribuées sans contrôle par les ARS (Agences régionales de santé) des surcoûts effectifs supportés par les établissements de soins. Par exemple, les sommes engagées liées à la réalisation des tests de dépistage du covid, soit 1,3 milliards au total, ne reposaient que sur des fichiers déclaratifs, et les CHU de Strasbourg estiment avoir reçu 13,9 millions en trop…

À l’inverse des établissements de santé du secteur privé, les hôpitaux publics n’ont toujours pas retrouvé leur niveau de fréquentation d’avant la crise sanitaire (-1,7 % par rapport à 2019) et leurs charges ont augmenté de 16,5 % entre 2018 et 2021, soit 11,9 milliards (dont 8 milliards pour le personnel). Selon l’OCDE, la part de personnel non-soignant y demeure de 33,5 %, un chiffre toujours largement supérieur à celui, de 22,2 %, observé outre-Rhin.

Les hôpitaux privés ne bénéficient pas des mêmes largesses de la part de l’État et pourtant, leur situation financière s’est mieux remise de la crise sanitaire. Selon la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques), leur taux de bénéfice net s’établit à 3,7 % en 2021, en progression de 0,6 point par rapport à l’année précédente, et au plus haut depuis 2006. Les étalissements de santé privé sont donc en situation de consacrer 5,2 % de leurs recettes à leurs investissements.

 

La concurrence entre hôpitaux est imparfaite et entravée par la réglementation

Parmi l’une des sources majeures de financements des établissements de santé, se trouve la tarification à l’acte (T2A) : l’assurance maladie verse une somme fixe [2] pour chaque acte pratiqué, même les hôpitaux privés ne peuvent pas demander une participation financière du patient pour les activités purement médicales. En revanche, les hôpitaux publics perçoivent une dotation de l’Assurance maladie distribuée par les ARS, quand le secteur privé tire ses autres revenus de prestations non-médicales [3] facturées aux patients.

Le secteur public continue de se tailler la part du lion (74,4 %) en ce qui concerne les journées d’hospitalisation complète en court séjour, du fait de la redirection des patients du SAMU et de la prise en charge du transport des patients par le SMUR (Structure mobile d’urgence et de réanimation), publics tous deux.

Comme le note la plus haute juridiction financière hexagonale, du fait de la répartition des autorisations de réanimation (84 % pour les adultes et 94 % pour les enfants), l’hôpital public détient presque le monopole des urgences, ce qui pénalise ses concurrents privés. De fait, ceux-ci se positionnent sur des activités moins urgentes, reprogrammables et plus rémunératrices (53,4 % des séjours en chirurgie par exemple) suscitant, paradoxalement, l’ire des représentants du secteur public.

Deuxième point intéressant : une distorsion de concurrence s’observe sur la question fiscale. L’IGF et l’IGAS (Inspection générale des finances et des affaires sociales) avaient, par exemple, calculé une différence de 5 points s’agissant du taux de versement des cotisations sociales. Les établissements publics sont également exonérés de taxe foncière pour les bâtiments affectés aux soins, ce qui n’est pas le cas de leurs homologues privés pour lesquels la fiscalité locale, si l’on s’en tient au privé non lucratif, pèserait sept fois plus intensément.

 

Une situation naturellement inique qui ne favorise pas l’amélioration de la qualité des soins

En somme, l’hôpital public apparaît victime d’un acharnement thérapeutique de l’État qui freine sa mise en concurrence. Il faut recommander d’une part de laisser davantage d’autonomie aux établissements de santé publique, en leur permettant eux-aussi de facturer des prestations payantes aux patients ; et d’autre part de les responsabiliser en indexant leur dotation sur l’effort entrepris pour réduire les dépenses purement administratives, ce qui aurait le mérite de commencer à libéraliser un modèle économique qui en aurait bien besoin.

 


[1] Correspond à l’addition des bénéfices nets et des charges diverses d’une organisation, comprenant le montant des capitaux des emprunts à rembourser.

[2] Selon deux échelles différentes dans le public et dans le privé, mais selon le même mode de fonctionnement.

[3] Dites prestations pour exigence particulière, typiquement la mise à disposition de la télévision ou d’internet dans la chambre d’un patient ou les activités de chirurgie esthétique.

Sur le web.

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  • A quoi bon insuffler de la concurrence avec du privé si tu lui impose des règles qui le font crever…

  • Des autorisations de réanimation ?
    Ca peut exister, des trucs comme ça, comme des urgences et des anesthésistes en grève ? En France, en 2023 ?

  • L’hôpital public n’a qu’un problème : ses employés sont fonctionnaires. Lorsque l’État veut le réformer, il est obligé de conserver ses employés. Sa principal charge étant celle de son personnel, supprimer des hôpitaux ne fait que des économies de bouts de chandelle.
    Je suis récemment allé dans un hôpital public. À l’entrée, une secrétaire médicale oriente le patient vers les guichets de secrétaires qui enregistrent les cartes vitales et émettent un document à remettre au secrétariat de la spécialité médicale concernée. Dans le service concerné il faut se présenter à son secrétariat qui, à partir du document initial, crée un nouveau papier qui confirme votre présence et à mettre dans la boîte du spécialiste à consulter. Et tous ces secrétariats sont bien pourvus en secrétaires qui discutent.
    On se croirait dans la bande dessinée des Bidochon « assujettis sociaux » de Binet.
    Le problème du public est très simple : à cause de l’emploi à vie, les employés ne font pas le travail pour lequel ils ont été recrutés. Alors, l’État emploie d’autres personnes qui au contact des premières se demandent pourquoi eux devraient travailler et pas les autres, ect, etc. Résultats, une armée de fonctionnaires qui travaillent trop peu, des salaires que l’État ne peut plus augmenter et une dégradation du service. La seule solution, privatiser des pans entiers des activités de l’État et tailler dans le vif des employés.
    Mais 2 raisons s’opposent à cette réforme :
    1) ceux qui vont privatiser le secteur peuvent dire adieu à leur carrière politique car il y a plus de 25% de fonctionnaires dans le pays.
    2) le gouvernement suivant qui sera obligatoirement socialiste va immédiatement renationaliser le secteur pour s’attirer les bonnes grâces des futurs électeurs.
    Donc laissons aux gueux ce que veulent les gueux car toute réforme est inutile.

  • Cet article et ses conclusions sont une masse informe de négation de ce qu’est l’hôpital public et ses missions, mais la haine du fonctionnaire est bien là elle aussi, ce défouloir ne se réduira donc qu’à une pauvre caricature pour moi qui ai été marié à l’hosto public pendant 35 ans…..

    -1
    • Entre le jugement de quelqu’un qui a été marié à l’hôpital public pendant 35 ans et celui de quelqu’un qui y a été hospitalisé 3 semaines, pourquoi tant de différence ?

  • Les commentaires sont fermés.

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