[L’épopée économique de l’humanité] – L’économie européenne au XIe siècle : la reprise (XVI)

Le Haut Moyen Âge marque une période charnière en Europe. Des troubles du Xe siècle émerge une renaissance économique au XIe.

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[L’épopée économique de l’humanité] – L’économie européenne au XIe siècle : la reprise (XVI)

Publié le 22 septembre 2023
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Le Xe siècle a été une sombre période de troubles et d’agitation mais aussi d’incubation. Lui succède au siècle suivant une phase de reprise économique marquée par le réveil de la vie urbaine et l’essor de l’agriculture en Occident.

 

Le réveil de la vie urbaine

Même au plus fort des troubles, la vie urbaine n’a jamais cessé grâce à l’Église.

Mais au XIe siècle se développe un type inédit de ville. La vieille cité héritée de l’Empire romain était militaire et cléricale mais assurait peu de fonctions économiques, à la différence de la cité médiévale qui devient aussi commerçante et artisanale. En son sein, une place de marché, des entrepôts et un quartier de négociants coexistent avec les églises, les demeures des clercs et les lieux de garnison.

Le mouvement commence dès le Xe siècle dans l’Allemagne ottonienne, où, à l’instigation des souverains naissent des villes comme Hambourg ou Magdebourg qui sont à la fois des centres religieux et des agglomérations de marchands. Leur développement accompagne l’essor des routes commerciales en Flandres, dans le Brabant, dans les vallées de la Moselle et du Rhin. Par l’exemple de la Germanie, on a la preuve que dès le Xe siècle, le marché a été une étape décisive de l’urbanisation de l’Europe médiévale et de la transformation économique d’un pays tardivement civilisé.

C’est différent à l’Ouest où les invasions normandes et l’anarchie féodale retardent le processus.

Mais au XIe siècle, sous l’égide des abbés, des évêques ou des comtes, les bourgs se multiplient autour des villes et dans les campagnes, avec toujours l’institution d’un marché et le regroupement d’une population à moitié agricole et à moitié artisanale à la recherche d’une protection.

 

L’émergence des marchands 

Parallèlement se forme une classe de marchands.

Selon Henri Pirenne, elle aurait émergé après l’an 1000 d’« une masse de va-nu-pieds à travers le monde »1, soit de marchands errants à l’image des aventuriers suédois.

Alimentent aussi ses effectifs les agents qui officiaient pour les abbayes ou étaient chargés d’effectuer les achats de la cour, à l’image des Syriens et des Juifs nombreux dans l’entourage d’Otton 1er et de Louis le Pieux.

Les négociants les plus actifs et les plus innovants sont ceux de Venise qui, dès le Xe siècle, parviennent à capter et à alimenter un courant commercial reliant l’Europe au Proche et au Moyen-Orient. Alors que le prêt de capitaux est inconnu dans le reste de l’Europe, c’est à Venise qu’apparaît le capitalisme sous la forme du contrat de commande2. Il associe un « capitaliste » qui apporte les fonds et un marchand navigateur qui part en expédition, avec à la clef un partage des risques et des profits. Le schéma habituel est d’aller à Alexandrie vendre des esclaves, slaves le plus souvent, ainsi que des bois et des armes d’Occident. En contrepartie on y achète des épices, des tissus de laine et de l’or qui, à Constantinople, servira à se procurer des étoffes de soie, de la pourpre et des articles de luxe rapportés en Lombardie.

À la fin du XIe siècle, la pratique des pèlerinages lointains et les départs en croisades feront naître ailleurs en Europe des besoins de financement et un embryon de commerce de l’argent.

 

L’essor de l’agriculture

La fin des pillages et le retour à la paix succédant à un siècle d’anarchie provoquent un excédent de natalité et une reprise de l’agriculture.

Elle s’effectue dans un cadre nouveau, car les invasions ont ruiné les grands domaines de l’époque carolingienne et précipité l’extinction de l’esclavage qu’on y pratiquait encore. Les bénéfices de l’organisation traditionnelle n’en couvrant plus les frais, les propriétaires du sol renoncent à son faire-valoir direct. On lui substitue un régime de revenus réguliers fondé sur la perception de sommes en argent et de redevances en nature.

Cela se traduit par la multiplication de petites exploitations concédées à des tenanciers qui doivent s’acquitter d’un cens et/ou d’une part de la récolte.

Cette évolution s’accompagne d’une modification de l’organisation du travail suscitée par la pénurie d’esclaves, et par voie de conséquence de force motrice d’origine humaine. Le rouleau de pierre et la meule tournante mus par des hommes sont remplacés par le moulin à eau. Bien que son invention remonte au Ier siècle avant J.-C., ce n’est qu’alors qu’il devient d’usage courant. À cette mobilisation de la force motrice de l’eau s’ajoute un meilleur usage de la force de traction des chevaux et des bœufs grâce à trois innovations : le collier d’épaule, la ferrure et l’attelage en file3

Cet emploi renforcé du moteur animal est la principale découverte technologique du Moyen Âge.

Elle permet de tirer un meilleur parti des tenures disponibles dont l’exploitation devient plus serrée. Elle facilite aussi l’accroissement des superficies cultivables, alors que sous la pression d’une population croissante, « aux environs de 1050 s’ouvre l’ère des grands défrichements »4.

Des terres nouvelles sont gagnées sur la mer et s’engage contre l’arbre une lutte longue et opiniâtre. Les principaux artisans de cette dure conquête sont les « hôtes », des cultivateurs auxquels ces friches ont été concédées pour qu’ils les mettent en valeur. Au terme de l’opération ils peuvent devenir propriétaires de la moitié de la surface cultivable5ou s’acquitter périodiquement d’une redevance proportionnelle à la surface cultivable.

Cela contribue à la généralisation de la petite exploitation familiale.

Dans le même temps, les seigneurs créent des foyers d’activité agricole et des centres commerciaux en établissant des bourgs ruraux et en les dotant de marchés, d’installations techniques comme des fours et des moulins ainsi que de bois communaux.

Dans ce cadre nouveau, ce sont toujours des céréales qui sont cultivées en priorité, mais la production de vin prend également une grande extension, alors que le rôle de l’élevage reste subalterne.

 

La contribution de l’Église 

Rompant avec la Méditerranée, l’Europe occidentale a assimilé la Germanie, intégré le monde scandinave, et aimanté de nouveaux États chrétiens comme la Hongrie, la Pologne, le Danemark, la Suède ou la Norvège.

La façade de cette Europe nouvelle est sur l’Atlantique et la mer du Nord. Ce processus de refoulement vers le Nord a fait advenir une civilisation atlantique au cœur de laquelle le christianisme s’est implanté solidement sous la forme du catholicisme romain. En triomphant de l’arianisme et de toutes les autres hérésies, l’Église y a obtenu « le monopole de la gestion des biens de salut » pour reprendre les termes de Max Weber.

Son influence sur l’économie est difficile à apprécier, du fait de l’ambiguïté de sa doctrine sociale.

D’un côté, au nom de la charité, elle a multiplié les institutions de bienfaisance et sans cesse rappelé aux riches leurs devoirs envers les pauvres ; mais de l’autre, elle a incité les défavorisés à se résigner à leur sort.

Ces paradoxes éclairent l’échec des efforts menés du temps de Charlemagne pour instituer une économie à base chrétienne. L’Église n’en a pas moins contribué de façon décisive au recul, puis à la disparition de l’esclavage dans le monde chrétien en faisant de tout être humain une personne dotée d’une âme. Elle a aussi assuré la survie des villes en y établissant ses évêques et en favorisant à leur périphérie l’installation de monastères.

Autour d’eux se constitueront des foyers de population qui par la suite attireront les activités commerciales et artisanales. Se mettent alors en place les conditions du mouvement par lequel, à partir du XIIe siècle, les communes évolueront vers la liberté en obtenant des franchises.

 

L’état des lieux à la fin du haut Moyen Âge

Pour ce qui est de l’agriculture, on assiste aux progrès constant de la petite exploitation.

Elle est encore grevée de toutes sortes de servitudes, mais la marche obstinée vers la petite propriété intégrale est désormais lancée. Sur le sol de l’Europe, dans le cadre d’une économie à dominante agraire, une classe paysanne se fixe solidement. Avec la lente formation d’États en compétition les uns contre les autres, c’est un phénomène décisif dans l’histoire de la civilisation occidentale.

À la fin du XIe siècle, par l’intermédiaire surtout de Venise où sont déjà apparues les premières manifestations du capitalisme, la Méditerranée se rouvrira à l’économie occidentale. Mais son axe s’est alors définitivement déplacé :

« L’avenir de l’Occident appartenait à ces hommes et à ces femmes qui depuis plus d’un demi-millénaire s’étaient installés en Gaule, Grande-Bretagne, Frise, Germanie et dans les pays scandinaves ainsi qu’en Lombardie et Catalogne » [5 Robert Latouche, opus cité page 356]

L’économie de l’Occident chrétien n’en est pas moins encore très rudimentaire. Régulièrement frappés par les famines et les épidémies, les Européens n’ont le plus souvent pour perspective qu’une vie courte et parfois misérable. Le moine bourguignon Rodolfus Graber en a laissé un saisissant témoignage. Dans ses Historiae, il évoque l’an 1033, millénaire de la passion du Christ, et décrit la terrible famine qui le précéda, une famine si épouvantable qu’elle semblait annoncer la fin du monde.

À la fin du haut Moyen Âge, l’Europe nouvelle souffre donc d’un retard économique et culturel considérable sur le reste du monde, qu’il soit byzantin, chinois ou musulman.

Rien ne laisse présager qu’elle sera l’agent le plus actif du processus d’industrialisation qui, un jour, révolutionnera les conditions de vie d’homo faber.

 

  1. Henri Pirenne, Les villes et les institutions urbaines, Paris-Bruxelles, 1939 cité par Robert Latouche, op. cité, p. 252
  2. Yves Renouard, Les hommes d’affaires italiens du Moyen Âge, Paris, 1949
  3. Lefebvre de Noëttes, L’attelage, le cheval de selle à travers les âges, p. 183
  4. Marc Bloch, Les caractères originaux de l’histoire rurale française, Paris, 1952
  5. Bail de complant pratiqué par exemple dans la vallée du Rhône

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