[L’épopée économique de l’humanité] – Les premiers bouleversements du néolithique (III)

Comment sommes-nous passés de petits groupes fragmentés à des sociétés organisées et interconnectées ? Pierre Robert revient sur la révolution agricole, explore les premières innovations techniques, l’émergence des villes et la création des premiers États, culminant avec l’invention de l’écriture.

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[L’épopée économique de l’humanité] – Les premiers bouleversements du néolithique (III)

Publié le 30 juin 2023
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Première partie de cette série ici.
Seconde partie de cette série ici.

 

Avant la révolution agricole, le monde est fragmenté en une multitude de petits groupes qui s’ignorent ou se combattent.

Une fois qu’elle s’est enclenchée, leur nombre commence à se réduire à travers un lent processus de rapprochement des cultures. Toujours en mouvement, par les mythes et les fictions dont elles se nourrissent, elle permet à un nombre toujours plus élevé d’individus qui ne se connaissent pas de coopérer efficacement au sein de réseaux toujours plus étendus.

 

Les premières innovations techniques

À la domestication des plantes et des animaux s’ajoute la mise au point de procédés performants d’irrigation ainsi que le perfectionnement de l’outillage agricole.

Aux débuts de l’agriculture, on manie des meules de pierre pour broyer les grains, la houe pour préparer les sols et un simple bâton pointu pour les ensemencer. Leur succède l’araire. Tracté par un bœuf domestiqué, il est mentionné pour la première fois au milieu du quatrième millénaire dans la région de Sumer située à l’extrême sud de la Mésopotamie antique où il a probablement été inventé.

À la même époque, un pas décisif pour les transports est franchi avec l’apparition des premières roues. Le plus souvent constituées de l’assemblage de trois ou quatre pièces de bois, elles sont pleines et montées sur un axe. Elles rendent possible la fabrication de charriots et de charrues. Leur usage se diffuse rapidement en Europe et au Proche-Orient. Au trosième millénaire l’utilisation de véhicules à roues y est devenue courante, ce qui facilite le déplacement de charges lourdes et donc la production et les échanges.

Les arts du feu évoluent également. Apparue au Paléolithique, bien avant la métallurgie et le travail du verre, la céramique est le premier d’entre eux. Sa production connaît d’importants progrès au quatrième millénaire avec la mise au point du tour rapide (100 révolutions par minute) par des potiers d’Uruk1 et de Suse.

Mille ans auparavant, c’est également à des artisans mésopotamiens qu’on doit la mise au point des premiers procédés de fabrication de matériaux vitreux. Il s’agit de glaçures dont on enduisait les céramiques pour en assurer l’étanchéité. Ces premiers verres qu’on trouve aussi en Égypte et en Syrie ne sont pas encore transparents ou translucides mais opaques, de couleur verte ou bleue.

Quant à la métallurgie, son premier essor remonte aussi au cinquième millénaire lorsque furent maitrisées les opérations permettant la fabrication de cuivre métallique à partir du minerai. Sont alors produits des objets de taille modeste comme des poignards à soie2, des haches plates, des herminettes, des ciseaux ou des poinçons servant à percer le cuir. Les outils courants et l’armement restent toutefois faits de pierre et d’os, le cuivre étant trop mou pour de tels usages.

L’âge du cuivre ou Chalcolithique3 est donc marqué par une série de ruptures qui ouvrent à homo faber de nouvelles possibilités.

 

Les premières villes

Dans le Croissant fertile, de grands fleuves favorisent l’irrigation des champs.

Ces fleuves sont le Nil, qui traverse l’Égypte, le Tigre et l’Euphrate dont le bassin forme la Mésopotamie. Les paysans qui cultivent leurs vallées font appel à des artisans pour la fourniture des outils, des poteries et des vêtements dont ils ont besoin.

C’est dans ce cadre que les premiers villages se forment, tel celui de Jéricho qui vers 8500 avant J.-C. ne compte que quelques centaines d’individus. Mais avec l’accroissement de la production de vivres à leur périphérie et des capacités de transport, leur population grandit. Ils deviennent de vraies villes regroupant des milliers d’habitants.

Les premières apparaissent dans la région de Sumer bordée, au sud-est, par le golfe Persique. Elles ont pour nom Uruk, Lagash, Nippour, Eridu ou encore Ur, dont selon la Genèse Abraham serait originaire. Au troisième millénaire, c’est toute la Mésopotamie qui, plus au nord, se couvre de nombreuses cités-États telles que Kish, Babylone, Assour, Ninive, Mari ou encore Suse en pays d’Élam sur les contreforts du plateau iranien. Indépendantes, elles sont dirigées par des prêtre-rois héréditaires.

Peuplées d’employés à leur service ainsi que d’artisans et de commerçants, ces villes vivent aux dépens des villages. Leur organisation nécessite une autorité centrale capable de s’imposer, beaucoup plus forte que celle d’un simple chef de village. Elles apparaissent donc en même temps que la constitution des premiers royaumes et leurs sont intrinsèquement liées.

 

Les premiers États

Dans la vallée du Nil, dès le septième millénaire, s’installent des populations chassées du Sahara qui se transforme en désert.

Grâce aux crues du fleuve qui chaque année en septembre dépose sur ses berges un limon très fertile, les occupants obtiennent d’abondantes récoltes de céréales. Mais cela nécessite de creuser et d’entretenir un vaste réseau de canaux d’irrigation et de drainage. En résulte un ordre social qui finit par s’imposer à tous. Vers l’an 3100 avant J.-C. la vallée est de fait unifiée sous l’autorité d’un roi unique auquel la légende a attribué le nom de Ménès. Ainsi naît le premier État de l’Histoire. On estime qu’il est alors peuplé de 1,5 à 5 millions d’habitants. D’une longévité exceptionnelle, il perdurera pendant plus de trois millénaires.

Plus tard, en Mésopotamie apparaitront d’autres constructions impériales nettement moins durables comme celle que fondera Sargon vers 2250 avant J.-C. ou celle que constituera Hammourabi, roi de Babylone de -1792 à sa mort en -1750.

Des entités politiques aussi élaborées ne peuvent émerger sans que soient réunies un faisceau de conditions impératives. Il faut que se soit généralisée l’écriture sans laquelle il n’y a pas d’administration efficace, la métallurgie du bronze qui fournit les armes de la conquête et la monnaie qui est indispensable au développement des échanges comme à la collecte des impôts.

 

L’invention de l’écriture

L’administration d’un État centralisé de grande dimension et notamment celle des activités économiques qui conditionnent sa survie nécessite de manier et de stocker d’énormes masses d’informations.

Or, le cerveau humain n’est pas un bon moyen de stockage pour les bases de données à la mesure d’un empire. Pour s’affranchir de ses limites, un premier pas fut franchi lorsqu’au milieu du quatrième millénaire avant l’ère présente, les sumériens d’Uruk conçurent un premier système d’enregistrement des chiffres et des objets. Il a pour support des tablettes d’argile incisées de signes à l’aide d’une tige de roseau4. Les plus anciennes sont des reçus et des factures servant de support à la comptabilisation d’opérations commerciales qui, grâce à leur usage, peuvent changer d’échelle. Les premiers textes écrits sont donc de banals documents économiques enregistrant le paiement des taxes, l’accumulation des dettes et le dénombrement des biens, autant d’éléments indispensables à l’essor des activités d’homo faber.

Cette écriture encore partielle s’est progressivement enrichie de signes nouveaux.

Elle ne devient complète qu’au début du troisième millénaire avant J.-C. lorsqu’apparait l’écriture cunéiforme proprement dite. Simultanément et de manière probablement indépendante naît en Égypte l’écriture hiéroglyphique.

Le développement de l’écriture a donc pris des centaines d’années :

« Pour cela il fallait que fussent réunis divers traits sociaux décidant de l’utilité de l’écriture pour une société, mais aussi de la capacité d’une société à entretenir ses scribes »5.

Pour que ces systèmes d’écriture deviennent opérationnels, il fallut aussi les compléter par des techniques d’archivage, de catalogage et de récupération des textes. Entre écriture et bureaucratie, dès l’origine s’établit un lien indéfectible.

Grâce à elle, les souverains qui gouvernent les premières villes transmettent plus facilement leurs ordres à leurs administrés. Leur autorité s’accroît, ce qui ouvre la voie à l’apparition des royaumes et des empires avec une administration efficace et des sujets obéissants. L’écriture est d’emblée un vecteur d’organisation de l’économie et de la société, mais aussi de contrainte et de domination.

Son invention marque la fin de la Préhistoire et le début de l’histoire qui commence à Sumer selon la formule devenue classique de l’historien Samuel Noah Kramer6.

D’autres parties du monde suivront ultérieurement le même chemin puisque des écritures complètes d’un autre type voient aussi le jour en Chine vers -1200 et en Amérique centrale dans la première moitié du millénaire qui précède notre ère.

  1. Uruk ou Ourouk est une ville de l’ancienne Mésopotamie, située sur les rives de l’Euphrate dans le Sud de l’Irak actuel. La cité de Suse se trouvait au sud-ouest de l’Iran actuel, à environ 140 km à l’est du fleuve Tigre
  2. La soie est le prolongement de la lame dans le manche.
  3. Littéralement « de pierre et de cuivre »
  4. Seules nous sont parvenues les tablettes d’argile cuite, car l’argile crue se dégrade au fil du temps
  5. Jared Diamond, De l’inégalité parmi les sociétés, Gallimard, 2000 pour l’édition française, p. 230
  6. Samuel Noah Kramer : L’Histoire commence à Sumer, Arthaud, 1975, Champs Histoire, Flammarion, 2017 pour l’édition de poche

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