[L’épopée économique de l’humanité] – L’Orient ancien, premier foyer d’homo faber (IV)

Comment la métallurgie du bronze a-t-elle influencé l’essor des civilisations ? Comment l’invention de la monnaie a-t-elle catalysé l’économie ? Dans ce quatrième numéro, Pierre Robert offre un regard approfondi sur ces transitions fondamentales qui ont modelé l’évolution des sociétés humaines.

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[L’épopée économique de l’humanité] – L’Orient ancien, premier foyer d’homo faber (IV)

Publié le 4 juillet 2023
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Troisième partie de cette série ici

 

L’âge du bronze

En raison des limites que ses caractéristiques imposent à son usage, la métallurgie du cuivre n’a eu qu’un faible impact social. Un saut qualitatif est franchi lorsqu’homo faber parvient au troisième millénaire à allier le cuivre et l’étain. S’ouvre alors l’âge du bronze, une innovation dont la mise au point a eu des effets structurants puissants sur l’économie et la société.

Sur le plan technique, la caractéristique première de cette période est le perfectionnement d’un ensemble de procédés permettant l’extraction des métaux à partir de leurs minerais. Cela nécessite un savoir-faire très poussé de l’art du feu fondé sur la maîtrise de fours à haute température.

Sur le plan des échanges, l’âge du bronze qui s’épanouit d’abord en Mésopotamie, dans des régions dépourvues de minerais de cuivre ou d’étain marque aussi une rupture avec le passé. Façonner des outils de pierre, tisser ou fabriquer des poteries, nécessitent des produits et des compétences ne relevant que d’une économie locale. Il en va différemment avec la métallurgie car les centres d’extraction des minerais peuvent être très éloignés des centres de production, eux-mêmes éloignés des centres d’échange. En résultent des transactions à grande distance et la création de flux commerciaux plus intenses.

Au sein de cette économie qui devient plus complexe, les activités de production se spécialisent davantage. Elles nécessitent dorénavant des artisans, des mineurs, des forgerons et des marchands œuvrant à plein temps. Il faut donc que d’autres personnes assurent en échange leur subsistance. Dans ce contexte, les compétences nécessaires à la production et la relative rareté des produits génèrent des occasions de profits et font naître une nouvelle organisation sociale. Tombes et mobilier funéraire témoignent d’une hiérarchisation sociale plus marquée liée à la concentration des richesses par une élite.

Dans le même temps, les gisements de minerais et les dépôts de métaux entraînent la convoitise, ce qui favorise les conflits alors que le bronze permet de fabriquer des armes plus meurtrières. Il en résulte davantage d’insécurité et un besoin plus fort de protection. Comme pour répondre aux nécessités de l’époque, vers – 2000 apparaissent au sud de l’Oural les roues à rayons et à jantes qui sont bien plus légères et plus stables que les roues pleines. Leur invention suit de peu la deuxième domestication du cheval dans le nord du Caucase et au sud-ouest des steppes de l’actuelle Russie. Au deuxième millénaire elles équipent des chars de combat tirés par des chevaux qui se répandent rapidement dans toute l’Eurasie. C’est avec leur arrivée que la roue semble faire son apparition pour la première fois en Égypte et en Chine.

 

L’invention de la monnaie

Jusqu’alors on pratique le troc, ce qui suppose de calculer en permanence le prix relatif des biens les uns par rapport aux autres, le prix d’une poterie en termes de blé, le prix d’une mesure de blé en termes de sandales, le prix d’une paire de sandales en termes de semences etc. Dès lors qu’on est en présence de 50 biens échangeables, ce qui est très peu, il faut calculer 50 x 49 /2 = 1225 prix relatifs, ce qui est déjà considérable. Avec un grand nombre de biens on arrive donc très vite à saturation.

Pour dépasser ces contraintes, il faut choisir un équivalent général permettant d’exprimer le prix de tous les autres biens.

L’Égypte ancienne franchit un premier pas dans cette direction en adoptant une unité de compte, le shât, équivalant à 7,5 grammes d’or. En mettant en rapport avec le shât des objets de nature différente on facilite leur échange : « J’ai acquis cette maison à titre onéreux auprès du scribe Tchenti. J’ai donné pour elle dix shâts, à savoir une étoffe d’une valeur de trois shâts ; un lit d’une valeur de quatre shâts ; une étoffe d’une valeur de trois shâts » précise un texte de l’ancien Empire datant d’environ 2600 avant J.-C. Mais du fait de l’énorme importance symbolique attachée à l’or, « chair des dieux » servant à les représenter sous forme d’idoles, et à l’argent, supposé être la matière de leurs os, les Égyptiens de l’Antiquité n’ont pas pu dépasser le stade de ce troc monétaire. Une véritable monnaie basée sur les métaux précieux n’a pu y voir le jour pour des raisons religieuses. Il était inconcevable de les associer à quelque chose d’aussi vulgaire que pouvait l’être une monnaie-marchandise manipulable par le commun des mortels.

C’est à Sumer au Troisième millénaire avant notre ère qu’apparaît la première forme connue de monnaie-marchandise. L’unité choisie est le silà qui correspond à peu près à un litre d’orge. Le silà a une valeur intrinsèque qui rassure son détenteur car il pourra toujours le consommer à défaut de s’en servir comme moyen de paiement. Mais il est périssable et n’a qu’une faible valeur au regard de son volume. Ce n’est donc pas une bonne monnaie. Une étape importante est franchie lorsque l’argent, un métal mou qui ne peut guère servir à autre chose qu’à fabriquer des ornements s’impose comme base monétaire en Mésopotamie. D’un poids de 8,33 g le sicle y devient d’usage courant dans la première moitié du deuxième millénaire1. Unité de compte, intermédiaire des échanges et réserve de valeur il remplit déjà les trois fonctions de la monnaie telles que les définira Aristote.

 

L’apparition des pièces de monnaie.

Les premières furent vraisemblablement frappées autour de -640 par le roi Alyatte de Lydie.

Elles substituent aux lingots d’or des morceaux d’alliage d’or et d’argent, ou électrum, de poids invariable, de forme identique et marqués d’un signe d’authentification. Ce signe identifie l’autorité qui en garantit le bon aloi. La Lydie dispose à l’époque d’importantes ressources en métaux précieux grâce au fleuve Pactole. Située sur le territoire de l’actuelle Turquie, elle fut l’eldorado de la Grèce avec qui elle entretenait de nombreux échanges commerciaux par l’intermédiaire des cités grecques du littoral anatolien.

Cette innovation monétaire, déjà mentionnée par Hérodote, donne à l’économie antique une impulsion décisive. Le nom de Crésus, roi de Lydie entre – 560 et – 546 est toujours associé à l’image de la richesse.

 

L’invention de l’alphabet

L’alphabet est un système d’écriture très performant car il permet d’associer précision et simplicité. Dans l’idéal il relie un signe unique (une lettre) à chaque son élémentaire de la langue (un phonème). Par comparaison, chaque signe écrit de l’écriture sumérienne, ou logogramme, représentait un mot entier.

Il semble que le système alphabétique soit apparu vers 1800 avant J.-C. parmi des locuteurs de langues sémitiques dans une région comprise entre la Syrie moderne et le Sinaï. Tous les alphabets existants dérivent de cette commune origine après avoir suivi différentes lignées.

La plus connue en Occident passe par l’écriture ougaritique2 en usage aux XIVe et XIIIe siècles avant J.-C. puis par les Phéniciens dont la plus ancienne inscription connue date d’environ 1200 avant J.-C. Au VIIIe siècle, elle conduit aux Grecs et aux Étrusques, puis aux Romains lors du siècle suivant. La diffusion de l’alphabet favorise l’essor de la pensée abstraite et donne naissance à tout une série de mutations dans l’ordre des symboles et des représentations.

 

L’âge du fer

Les traits apparus sous l’âge du bronze se retrouvent amplifiés lorsque la métallurgie du fer se diffuse et supplante celle du bronze.

C’est au Proche-Orient et en Europe balkanique que la transition vers l’âge du fer est la plus ancienne. Elle s’y produit entre 1200 et 1000 avant J.-C. Elle a nécessité une évolution technologique des fours permettant d’atteindre des températures nettement plus élevées. Plus percutantes, les armes de fer renforcent la domination des chefs de guerre qui profitent également de chars et d’équipements de cavalerie de plus en plus performants.

Mais l’emploi du fer dans l’outillage agricole permet aussi d’augmenter les rendements des terres en facilitant leur culture et leurs défrichements. L’essor démographique qui en résulte accroît la main-d’œuvre disponible pour les activités artisanales et commerciales, ce qui permet de sortir d’un mode de production autarcique et d’un monde clos sur lui-même.

En parallèle, les arts du feu, ceux du verre et de la céramique, se perfectionnent grâce aux progrès des fours et des techniques de cuisson.

 

Des économies fondées sur la capture

L’Orient ancien est donc le creuset d’une série de mutations aussi bien matérielles qu’immatérielles.

Leur conjonction y favorise la construction d’entités politiques plus vastes capables d’opérer la prédation à grande échelle. Leurs économies sont des économies de la capture. Elles ont pour ressort une pulsion impérialiste visant à l’obtention d’un butin croissant. Elles mettent en œuvre des procédés qui permettent d’en accroître l’importance et d’en assurer la récurrence.

Leur domination a aussi pour effet de fusionner maintes petites cultures en un petit nombre de grandes. Mais elle peut toujours être contestée par un empire rival. En quelques siècles s’affrontent et se succèdent l’empire assyrien, l’empire néo-babylonien et l’empire perse achéménide. Vaste ensemble de territoires qui s’étend de l’Indus à la mer Méditerranée, ce dernier est le premier empire à vocation universelle. Cyrus le Grand, son fondateur, soumet presque tous les peuples du Moyen-Orient à son autorité en respectant leurs dieux et leurs coutumes. Son idéologie se veut inclusive, elle conçoit l’humanité comme une seule et grande famille placée sous la protection des Perses. Cela lui vaut d’être souvent accueilli en libérateur. Darius 1er poursuit sa politique mais éprouve des déboires inattendus avec un petit groupe de cités des bords de la mer Égée. De celles-ci l’Histoire se souviendra bien plus que de la grande Perse…

  1. Soit pendant la période paléo-babylonienne qui va de 2004 à 1595 avant notre ère
  2. La cité commerçante d’Ougarit, redécouverte en 1929 occupait un site situé à 15 km au nord de Lattaquié (Syrie)

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