La culture scientifique existe-t-elle ?

Améliorer la culture scientifique de base des Français leur permettrait de déceler plus aisément les carabistouilles.

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Deux cerveaux by Bernard Lamailloux(CC BY 2.0)

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La culture scientifique existe-t-elle ?

Publié le 13 mars 2023
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Par Bernard Durand et Michel Gay.

Au ministère de la Culture, il n’existe pas de direction générale de la « Culture scientifique » alors qu’il en existe une pour la création artistique, une autre pour les médias et les industries culturelles, et une troisième pour la transmission culturelle, les territoires et la démocratie culturelle. Même le mot science n’apparaît pas dans ces intitulés.

 

Culture scientifique ?

La terminologie même de culture scientifique a évolué. Elle est passé de « culture scientifique », déjà difficile à appréhender, à « culture scientifique, technique et industrielle ».

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) en 1993 :

« La culture scientifique est un ensemble de capacités, de connaissances et de savoir-faire spécifiques s’accompagnant d’un regard critique sur la science et ses rapports avec d’autres champs de l’activité humaine, y compris la technologie. Cette forme de culture est indispensable dans toute société si l’on veut vraiment aider les individus à savoir maitriser le cours des choses, améliorer la qualité de vie et leur proposer un avenir viable. »

Selon la Société Française de Physique :

« La culture scientifique est une part importante de la culture générale. Mais elle apparaît comme une grande oubliée des programmes des candidats à l’élection présidentielle. Et pourtant la culture scientifique est nécessaire à la formation des citoyens français, vu le rôle majeur joué par les sciences et techniques dans le monde moderne ».

Jusqu’à présent, nos gouvernants n’ont, semble-t-il, jamais compris la culture autrement que littéraire, philosophique ou artistique. Un timide changement semble avoir eu lieu en 2012 avec la création du Conseil national de la culture scientifique et industrielle (CNCSTI), confirmé en 2014.

Mais ce n’est là qu’un des nombreux conseils et comités gravitant autour du ministère de la Culture et dont il est difficile de savoir en quoi il a contribué à un quelconque progrès de la culture scientifique dans la population.

La même indigence règne toujours sur ce sujet en France et le concept même de « culture scientifique » reste absent de nos médias et dans les discours politiques et donc dans l’opinion.

Associer les mots « culture » et « scientifique » serait-il devenu un oxymore, au même titre que l’expression « silence assourdissant » ?

Le développement de la culture scientifique générale est pourtant un enjeu majeur, même… parmi les scientifiques.

Beaucoup de scientifiques prétendent en effet tout évaluer à l’aune de leur discipline, la seule qu’ils connaissent bien. Mais une vision large et des recoupements avec d’autres disciplines sont souvent nécessaires pour bien comprendre un vaste sujet comme celui de la production d’énergie pour une nation par exemple.

 

Une coopération

Une coopération entre les disciplines scientifiques se révèle d’autant plus nécessaire que la réflexion porte sur des sujets complexes, tels que le climat, l’énergie ou encore la disponibilité des ressources naturelles.

Buffon disait déjà en 1753 dans son Discours sur le style :

« Pour peu que le sujet soit vaste ou compliqué, il est bien rare qu’on puisse l’embrasser d’un coup d’œil, ou le pénétrer en entier d’un seul et premier effort de génie ; et il est rare encore qu’après bien des réflexions on en saisisse tous les rapports ».

Le phénomène est plus marqué encore dans le monde académique où chacun creuse son sillon dans sa discipline, que dans le monde industriel qui fonctionne plutôt par projets associant des disciplines.

Le mathématicien Cédric Villani par exemple (qui a reçu la Médaille Fields de mathématiques équivalent au prix Nobel dans cette discipline) a paru peu à l’aise à la tête de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), alors qu’il est certainement très brillant en mathématiques.

Cette absence quasi générale de culture scientifique des politiques et journalistes, et même paradoxalement maintenant de plus en plus chez nos scientifiques, est sans doute une des difficultés dans l’enseignement des sciences en France, et une des causes de son déclin.

Une intervention groupée de scientifiques auprès du ministère de la Culture et à la télévision pourrait faire bouger les lignes face au mur des habitudes et des administrations. Cette action mettrait peut-être fin à cette anomalie culturelle par la mise en place de moyens enfin efficaces de diffusion et de valorisation de la culture scientifique dans notre pays, en particulier vers les plus jeunes.

 

Les ministres ne peuvent pas être omniscients

Les ministres ne maîtrisent généralement pas les sujets techniques complexes dont ils sont responsables, tels que l’énergie et l’électricité. Et cela a pratiquement toujours été le cas.

Mais la grande différence entre aujourd’hui et il y a 50 ans, c’est qu’alors, les ministres s’appuyaient alors sur des services et des cabinets compétents.

Le général de Gaulle et le ministre Pierre Messmer n’étaient pas des professionnels de l’électricité ni du nucléaire mais ils étaient conseillés par des carrures scientifiques compétentes comme Robert Galley.

A contrario, l’audition à l’Assemblée nationale le 13 décembre 2022 de Laurent Michel, le patron de la Direction de l’énergie et du climat (DGEC) depuis 12 ans qui a vu passer 10 ministres en charge de l’énergie, a eu de quoi inquiéter. Ce haut responsable semblait témoigner d’un manque de clarté d’esprit et de détermination. Son côté louvoyant aurait-il un lien avec sa longévité inhabituelle à la tête d’une direction d’administration centrale (12 ans…) ?

Il est pourtant ingénieur général des Mines et possède donc a priori les compétences nécessaires pour comprendre la situation et les rapports explicites que lui transmettait l’ancien Haut-Commissaire à l’Énergie Atomique Yves Bréchet.

Ce dernier a été remplacé en janvier 2019 par Patrick Landais, un homme « parfait ». Il n’a fait aucune note pour le gouvernement, persuadé, a-t-il dit, que cela ne servirait à rien et n’a jamais été consulté selon ses propres déclarations lors de son audition le 15 décembre 2022 devant la Commission d’enquête sur la souveraineté et l’indépendance énergétique, juste avant de partir en retraite.

La situation énergétique déplorable de la France résulte donc aussi de l’inaction des hauts responsables de l’administration choisis par le pouvoir politique. Ils ne sont pas incompétents, toutefois, on peut se demander s’ils ont été choisis pour leur compétence ou pour appliquer sans discussion les décisions de ce pouvoir, aussi absurdes qu’elles leur paraissent.

« Le monde est dangereux à vivre ! Non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire » aurait dit Einstein.

 

Science et politique…

Madame Élisabeth Borne est incontestablement une scientifique, même si elle n’a jamais pratiqué de métier nécessitant de bonnes connaissances dans ce domaine.

Mais, elle possède les « qualités » pour raconter des balivernes et développer ses « convictions » à géométrie variable. Est-ce l’apanage d’un bon politicien, même scientifique ? « Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent » disait Edgar Faure.

Fermer une centrale nucléaire qui permettait à EDF de gagner de l’argent en supprimant 2200 emplois non délocalisables sans avoir au préalable réfléchi par quoi les remplacer pour éviter d’appauvrir un territoire et la France, voilà à quoi ses « compétences » scientifiques ont hélas servi !

Elle a signé le décret de fermeture de la centrale de Fessenheim (en s’en félicitant publiquement) au cri de « il ne faut pas mettre ses œufs dans le même panier ». Or, ce mantra est faux dans le domaine de la production d’électricité, car il ne sert à rien et coûte très cher aux Français d’ajouter des œufs pourris « intermittents » dans les autres paniers.

Son audition du 2 mars 2023 devant la commission d’enquête sur la souveraineté et l’indépendance énergétique est un festival de langue de bois, magnifiquement mené de bout en bout, avec un art consommé pour inverser la cause et l’effet.

Nos politiques semblent en effet incapables de raisonner rationnellement en matière d’énergie. Ils sont souvent crédules face à des charlatans ou des manipulateurs…, tout autant que l’opinion publique. Certains par manque de culture scientifique mais pour d’autres (Mme Merkel est physicienne, Mme Borne est polytechnicienne), la politique l’emporte sur la raison et l’intérêt général à long terme selon Arnaud Montebourg.

 

Des services défaillants aux ordres ?

Il semble aussi que RTE n’ait pas fait correctement son travail. Peut-être parce que ses ingénieurs n’avaient pas politiquement le droit de le faire sous la houlette du président de RTE François Brottes, auparavant député et rapporteur de la loi sur la croissance verte aux côtés de Ségolène Royal ?

Or, c’est sur ses scénarios que des décisions stratégiques de politiques énergétiques ont été prises.

Cela ne retire pas la responsabilité ni de l’agence d’État ADEME, supposée être au service du pays et non d’une idéologie, ni du ministère de l’Écologie et (hélas) de l’Énergie. Ces deux entités ont largement contribué à désinformer nos dirigeants, même si manifestement certains se sont aisément laissés faire parce que c’était « idéologiquement correct… ou politiquement plus facile »…

Lorsque la culture scientifique, qui n’est certes pas une panacée, entrera dans les mœurs, alors les politiques, espérons que les journalistes et les citoyens seront capables de faire la différence entre une puissance, qui s’exprime en kilowatt (kW) et une quantité qui s’exprime en kilowattheure (kWh)…

Ainsi, une moyenne sur une année de productions intermittentes d’électricité éoliennes et photovoltaïques n’a aucun sens s’il s’agit de répondre en permanence au besoin en puissance d’une nation. Un TGV ou un ascenseur n’avance pas par à-coups…

Aujourd’hui, beaucoup trop de hauts responsables politiques et de Français mélangent ces deux notions. C’est une source d’incompréhension et d’erreurs grossières dans les décisions stratégiques pour la politique énergétique de la France.

Améliorer la culture scientifique de base des Français leur permettrait de déceler plus aisément les carabistouilles. Il deviendrait ainsi plus difficile de les prendre pour des idiots et de leur tondre la laine sur le dos. Est-ce pour éviter cela qu’il y a depuis tant d’années dans notre pays si peu de moyens accordés à la promotion de cette culture scientifique ?

 

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  • Vous avez raison et tort à la fois. Oui, la culture scientifique est ce qui nous manque. Mais non, des Borne, Merkel, Villani n’en ont pas la moindre bribe. Pour atteindre leurs postes « scientifiques », il ont fait étalage de leurs facultés à apprendre des tours de chiens savants. Ils n’étaient pas poussés par la soif de comprendre et d’expliquer le monde, mais par celle de s’y faire une place de puissant en usant au mieux des dons dont la nature les avait pourvus.
    C’est triste à dire, mais même en promouvant la culture scientifique, elle ne reviendra pas de si tôt. Les enfants (et les autres) aujourd’hui reçoivent des réponses toutes prêtes, avec des illustrations en couleur, du niveau du CP à chaque occasion. Ca ne sert à rien qu’à leur faire croire que leurs maîtres savent tout et que toute présentation en couleurs du niveau de CP, telle qu’ils pourraient en rédiger et poster sur internet eux-mêmes, est une réponse indiscutable à une question fondamentale pour l’humanité. La culture scientifique, c’est de ruminer entre copains déjantés aux questions complexes qui mêlent physique, mathématiques, philosophie et ingénierie, de les comparer aux livres que certains ont lu, et de passer des heures le lendemain à faire des calculs de coin de table pour valider ou invalider les idées qui en sont ressorties. Et pour ceux qui sont moins à l’aise avec la science, c’est de savoir formuler les bonnes questions, et trouver dans wikipedia ou dans ses relations, des pistes vers la réponse. Polytechnique devait son succès formateur au logement en « caserts » de 4 sur la Montagne Ste Geneviève. Mme Borne n’a pas fait la même école…

    • Seriez-vous nonagénaire ?
      Avant son déménagement à Palaiseau, Polytechnique logeait ses trop nombreux élèves-officiers en caserts de huit. Et les discussions n’y étaient que rarement scientifiques.

      • Vous confondez certainement. Un casert fait 8 points au Scrabble, mais ne logeait que 4 élèves à la veille du déménagement. Quant à prétendre qu’il n’y a guère de conversation scientifique parce la plupart tournent autour des petites amies, c’est un raccourci un peu osé…

        • Amusant, cette discussion sur le nombre d’habitants des caserts !
          Moi-même, qui suis passé par la Montagne Sainte-Geneviève dans les années 60, a le souvenir de caserts de 6 élèves, moyenne entre vos deux estimations. Mais ma mémoire est peut-être défaillante et il va falloir que je retrouve des photos de l’époque en espérant que l’une d’entre elle montre le nombre de lits…

          • Dans tous les cas, c’est 6 ou 8 ! 4 semble hors de propos…

            • Le casert 608 comprenait 4 lits, celui en face également, et tous ceux du 1er étage du bâtiment Foch idem. Il se peut qu’il y en ait eu à 6 dans le Joffre, mais certainement pas à 8 à cette époque. Il aurait d’ailleurs fallu des lits superposés. Mais cela ne change rien au fait que les discussions naissent du fait de se retrouver désoeuvrés à plusieurs dans un espace de vie restreint, et qu’elles portent assez souvent sur ce qu’on peut appeler la culture scientifique.

              • Euh, les lits étaient bien superposés. Il en aurait fallu à deux ou 3 étages, voulais-je dire.

              • Je n’ai connu que l’Ecole à Palaiseau, mais une recherche dans les anciennes « jaune et rouge » donne ceci :
                JR n°726, p48 : le casert 171 de Gérard Araud (73) logeait 9 élèves dans 2 chambrées communicantes, on semble considérer que 2 chambrées communicantes correspondent à un seul casert.
                JR n°232, p60 : où il est indiqué que les caserts regroupent « 6 à 8 élèves »
                Source http://www.lajauneetlarouge.com

                • La 73 était dans le Joffre.

                • Promo 72, casert C608 : Christian Huitema (déjà évoqué sur ce site pour son « Et Dieu créa l’Internet »), Didier Guy, Jean-Patrick Lebacque, Marc Sigelle. Ca fait 4.
                  Mais il existait effectivement un casert S608, de l’autre côté du couloir, avec 4 autres, ce qui peut expliquer la confusion.

      • Vu le nombre de réponses de personnes ayant apparemment fréquenté l’école, je me dis que le lectorat de contrepoint n’est peut être pas représentatif de la culture scientifique du français moyen. Pour rappel, les ministres ne sont en général pas capables d’une règle de trois.
        Mais bon, cela répond un peu à ma question du est ce que c’était mieux avant. Car Palaiseau, avec soit les marches de Lozère, soit le bus de Massy (toujours blindé), les batiments objectivement laids, je me suis toujours demandé si c’était mieux avant…

  • Dans la mesure où une culture scientifique effective est au croisement de la patience et du scepticisme, tout porte à croire que son émergence n’est pas pour demain.
    Un état policier ne tolère pas les instruments de résistance et de contestation.

  • Je ne savais pas qu’on avait un DIRECTEUR du Climat! Bah, on a bien eu un ministre du temps libre…

  • Les commentaires sont fermés.

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