L’État français peut-il ne plus s’endetter ?

Le premier point sur lequel l’État doit porter les efforts est relatif aux fraudes gigantesques en matière de prestations sociales.

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L’État français peut-il ne plus s’endetter ?

Publié le 13 avril 2021
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Par Claude Sicard.

La dette extérieure de la France ne cesse de croître. À présent, les discussions vont bon train à propos de la nécessité de son remboursement.

Les avis sont partagés. Les taux d’emprunt sont quasiment nuls, et s’endetter ne coûte rien. Pourquoi donc se priver de cette facilité ?

Dans une tribune du quotidien Le Monde du 5 février, une centaine d’économistes européens, dont Thomas Piketty, a pris position pour l’annulation d’une partie de cette dette, celle de la BCE, contre un plan d’investissement. Certains hommes  politiques proposent une annulation pure et simple de la dette.

Mais les pouvoirs publics sont formels : la France tiendra ses engagements.

Christine Lagarde, la directrice de la BCE campe sur ses positions :

Une annulation est inenvisageable, car elle serait une violation des traités européens.

Le budget de la nation ne cesse d’être déficitaire depuis plus de quarante années. L’État s’endette donc chaque année pour boucler ses comptes. Le recours à l’endettement pour faire fonctionner notre économie est devenu une pratique courante. La dette du pays en pourcentage du PIB ne cesse donc de croître :

  • 1980 :  20,0 %
  • 1990  : 38,0 %
  • 2000 : 60,0 %
  • 2010  : 81,6 %
  • 2019  : 100,1 %

La crise du coronavirus n’a rien arrangé, nous en sommes maintenant à un peu plus de 120 % du PIB.

En ramenant la dette du pays au nombre d’habitants, nous obtenons le graphique suivant :

Ce graphique est inquiétant. Comment cette courbe pourrait-elle s’infléchir ? La croissance inexorable de la dette va-t-elle pouvoir se poursuivre ainsi indéfiniment ? Sans doute pas.

Pour qu’il y ait un changement de pente, c’est-à-dire une rupture de cette croissance régulière de la dette, il faudrait un bouleversement profond dans la conduite des opérations car ce recours annuel à la dette pour boucler les budgets est devenu structurel.

Beaucoup s’alarment donc de la situation. À droite notamment est dénoncé en permanence un État obèse incapable de maitriser ses dépenses. Agnès Verdier- Molinié, la directrice de l’iFRAP, énonce dans La France peut-elle tenir encore longtemps ? :

Cela ne peut plus durer : ne soyons pas naïfs, les taux d’intérêt vont remonter à un moment ou un autre.

L’accroissement régulier de la dette est dû aux dépenses publiques qui ne cessent d’augmenter. Elles sont passées de 46,4 % du PIB, en 1980, à 55,6 % en 2019. La  France est ainsi le pays où elles sont les plus élevées au monde. La moyenne des pays de l’OCDE se situe à seulement 40,9% du PIB.

Dépenses publiques en pourcentage du PIB :

  • Suisse                    32,7 %
  • États-Unis            37,8 %
  • Royaume Uni      41,0 %
  • Allemagne            45,2 %
  • Suède                    49,3 %
  • France                   55,6 %

Pourquoi les dépenses publiques françaises sont-elles aussi élevées ?

Dans un article récent les excédents de dépenses publiques sont chiffrées à 249 milliards d’euros, soit 192 milliards en dépenses sociales et 57 milliards en dépenses de fonctionnement et investissements.

Le problème se situe au niveau des dépenses sociales qui sont considérables : elles représentent prés de 60 % des dépenses publiques.En 2019,il s’est agi de 34,1 % du PIB, alors que les Pays Bas en sont à 16,7 % seulement, et les Etats-Unis à 18,7 %.

Pourquoi autant de dépenses sociales en France ?

Cette question n’est jamais débattue dans les médias. La désindustrialisation du pays en est à l’origine. La France s’est très fortement désindustrialisée, ce qui a beaucoup appauvri la population. Aujourd’hui en Europe, elle est le pays où la contribution du secteur industriel à la formation du PIB est la plus faible : 10,0 % seulement, alors qu’elle devrait se situer entre 18 et 20 %. C’est le pays européen le plus désindustrialisé, la Grèce mise à part.

Les pouvoirs publics ont été contraints d’accroître de plus en plus les dépenses sociales pour pallier l’appauvrissement de la population résultant de cette désindustrialisation. Cet appauvrissement relatif a été masqué par des prélèvements obligatoires de plus en plus importants et un recours systématique à l’endettement.

La crise du coronavirus a permis une prise de conscience des dégâts causés par cette désindustrialisation. Les pouvoirs publics ont été gravement fautifs en laissant le pays se désindustrialiser, en pensant qu’une société moderne se satisfaisait des activités de service, ce que depuis Colin Clark, les économistes nomment le secteur tertiaire. On a mythifié une « société du savoir et de l’intelligence ».

Conscients de cette erreur, les pouvoirs publics lancent une politique de réindustrialisation du pays, avec un volet relocalisation portant sur les industries essentielles. La pente sera extrêmement dure à remonter car la Chine est là, qui a très vite rattrapé son retard au plan technologique et est devenue l’usine du monde.

Les dépenses sociales constituent le poste principal des dépenses publiques en France. Elles ont eu pour effet d’opérer une forte réduction des inégalités de revenus, s’inscrivant bien dans le cadre de la sociologie des Français.

La France est ainsi aujourd’hui, parmi les pays européens un pays dont l’indice de Gini fait partie des plus faibles, à peine au-dessus du niveau des pays nordiques bien connus pour leur politique de réduction des inégalités.

Le graphique ci- dessous montre la corrélation existant entre les dépenses publiques, calculées per capita, dans différents pays, et leur indice de Gini :

On y observe que la France est exactement sur la droite de corrélation : son indice de Gini correspond bien à ses dépenses publiques.

On rappellera que plus l’indice de Gini est faible, moins sont fortes les inégalités de revenu dans un pays (source BIRD) :

  • Brésil             53,4
  • Mexique        45,4
  • Espagne        34,7
  • Allemagne    31,9
  • France           32,4
  • Suède            30,0
  • Danemark    28,2
  • Norvège        27,6

Pour la France, le chiffre le plus récent soit 29,9, pour l’année 2019 (source INSEE ).

En France, il s’est opéré la jonction de deux éléments :

La révolte des Gilets jaunes a été l’illustration des revendications formulées par des populations dites périphériques qui se sont plaint de l’insuffisance de leurs revenus, de la désertification du territoire et de leur marginalisation.

Les très importantes dépenses publiques en France n’ont rien de surprenant compte tenu des dégâts causés par la désindustrialisation du pays et de la sociologie des Français. Plaider pour les réduire c’est porter atteinte à leur niveau de vie et opter pour davantage d’inégalités dans notre pays. Comme vu plus haut, les dépenses publiques ont un impact très fort sur le coefficient de Gini.

Le premier point sur lequel faire porter les efforts est relatif aux fraudes gigantesques en matière de prestations sociales. Certains avancent le chiffre de 50 milliards d’euros par an.

Le second point concerne l’attribution de prestations sociales à ceux qui ne contribuent pas au fonctionnement de notre économie, comme par exemple les étrangers venant s’installer en France, et en particulier les très nombreux migrants en situation irrégulière.

La réduction des dépenses publiques est étroitement liée aux dépenses sociales.   C’est un sujet clivant et difficile au plan politique, la perspective de leur diminution est donc extrêmement faible. Le gouvernement va soumettre très prochainement son programme de stabilité à Bruxelles.

Il table, non pas sur une réduction des dépenses publiques, mais sur une augmentation à un rythme moindre que précédemment :  0,7 % par an accompagné d’une croissance du PIB de 1,4% par an, en moyenne. Ainsi les dépenses publiques se trouveraient ramenées à 53 % du PIB en 1927. La dette ne représenterait plus que 117,7 % du PIB cette année-là.

Anne de Guigné, dans Le Figaro économie du 9 avril, à propos de ces projections nouvelles :

Au-delà de ces grands marqueurs, le programme reste assez lacunaire sur les moyens de limiter les dépenses.

L’approche de la prochaine campagne électorale n’est certes pas favorable à un programme de réduction des dépenses sociales. Leur progression va donc se poursuivre, comme par le passé et il en résultera un endettement croissant.

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  • Une bonne partie des dépenses sociales françaises, par exemple les dépenses de retraite ou santé, seraient volontaires et privées si elles n’étaient pas publiques. C’est d’ailleurs ce qui se passe chez nombre de nos voisins , ce qui signifie en réalité que le fort taux de dépenses publiques français résulte surtout du choix politique de confier à la gestion d’Etat obligatoire ce qui ailleurs est laissé à la volonté et la liberté de chaque individu.
    Claude Sicard ajoute qu’il existe une forte corrélation entre les dépenses publiques par tête et l’indice de Gini qui qualifie le niveau d’inégalité entre les individus.
    Puisque bon nombre de dépenses sociales sont gérées par le secteur privé à l’étranger alors qu’elles sont gérées par l’Etat en France, on pourrait en déduire que la gestion par l’Etat français est fortement réductrice d’inégalités selon Claude Sicard, et que donc vive le système socialiste français !!
    Tout cela est naturellement faux car qui dit corrélation ne dit pas causalité et l’on sait que la baisse de l’indice de Gini en France résulte en réalité des effets de la fiscalité et de la redistribution à la fois des prestations sociales et des services publics comme l’enseignement, les transports etc dont bénéficient davantage les moins favorisés (voir étude INSEE https://blog.insee.fr/impots-prestations-sociales-services-publics-qui-paie-quoi-et-qui-beneficie-de-combien/).
    Il serait intéressant par ailleurs de comparer l’efficacité de la gestion française par l’Etat des dépenses de santé et retraite avec celle de nos voisins par le secteur privé. Personne ne peut imaginer (cf crise Covid et Hopital…) que l’Etat français soit plus efficace en la matière, ce qui in fine accroit le montant de ces dépenses pour la collectivité… privant d’autant les plus faibles de cette différence.

    • Excellente analyse qui me fait dire que nombre « d’experts » comme piketty nous enfument depuis des décennies avec la complicité des politiques et de leurs affidés, les médias.

  • Ah la retraite en France,le Graal payé par les autres!Hier encore je demandais à un homme de 60 ans en parfaite santé quelle était sa profession?réponse « je fais le plus beau métier du monde,je suis à la retraite! »,tout est dit CPEF.

    • C’est marrant cette nouvelle mode, qui consiste à critiquer les dépenses sociales en s’attaquant uniquement aux retraites.
      Faut-il rappeler au passage que ce salaud de retraité à cotiser toute sa vie.
      Faut-il rappeler également qu’il n’a pas le choix, car nous sommes dans un système par répartition. Vous savez, ce système que vous défendez en défilant dans la rue.
      Bien sûr pas un mot sur les allocations familiales, les APL, la CMU complémentaire, l’AME, le RSA etc…. versés au monde entier, sans contrepartie de la part du bénéficiaire.
      Et je ne parle même pas des 50 à 60 milliards de fraudes annuelles aux prestations sociales, également générées par le monde entier. (Rapport du magistrat Ch. Prats).
      Alors oui, comment expliquer cette haine qui se déverse uniquement sur le retraité ?
      Je ne vois qu’une seule explication, la lâcheté.

  • Il y a peu une de mes amies me disait « la dette, la dette, ça fait 50 qu’on s’endette, pourquoi voudrais-tu que ça s’arrête ? » un autre « la dette il n’y a qu’à ne pas la rembourser » et tous sont csp++ dans le privé , ça lit le Monde et ça se croit intelligent. Le gros problème de notre pays est l’endoctrinement de sa population, par l’ed nat d’abord et les médias ensuite. Mais le mal est largement répandu en occident, sinon comment expliquer le Nobel de Piketty ?

    • « sinon comment expliquer le Nobel de Piketty ? »
      ?? Piketty n’a jamais eu le prix Nobel.
      Et il n’est pas prêt de l’avoir au vu du nombre d’erreurs de son ouvrage majeur qui ont été démontrées par de nombreux économistes.

    • en même temps, l’endoctrinement marche dans tous les sens. Certains pensent encore que le trickle down economic de Reagan marche alors que c’est un échec.

  • l’état Français ne plus s’endetter ? réduire ses dépenses sociales ?? vous plaisantez ! l’état n’en n’a ni l ‘ envie , ni le courage ?…seul les gens qui travaillent seraient gagnants , et quand on veut se faire élire ou réélire , on ne parle pas de ce qui fâche ;

  • Les fraudeurs étant souvent des bons électeurs, pourquoi se tirer une balle dans le pied ?

  • Le gouvernement actuel n’en fera rien, puisqu’il est complice volontaire de la fraude!

  • 2 remarques :

    (1) ceux qui croient qu’il suffit « d’annuler » une dette, autrement dit de ne pas la rembourser, en croyant améliorer la situation du débiteur, font preuve d’une imbécillité ou d’une inconscience sans pareilles. En effet, aujourd’hui l’Etat français survit en « roulant » sa dette, pour l’instant à moindre coût vu la faiblesse des taux d’intérêt. Imagine-t-on ce qui se passerait s’il faisait défaut ? Du jour au lendemain il ne trouverait plus de créancier qui lui feraient confiance, adieu le roulement de la dette, bonjour une paupérisation sans précédent (voyez la Grèce ou l’Argentine).

    (2) attention aux réflexions superficielles dans l’analyse des inégalités. Certes, le coefficient de Gini est un moyen bienvenu de quantifier l’inégalité d’une distribution statistique (https://www.belgiumforsuccess.be/index.php/fr/men-mesure-inegalites), mais attention aux interprétations. La courbe de Gini qui sert à calculer le coefficient du même nom montre la distribution cumulée du revenu suivant une série de « classes » (déciles ou quintiles), ce qui permet par ex de parler des 20% les plus riches et des 20% les plus pauvres.
    Mais comme le dit très bien le grand économiste américain Thomas Sowell (une autre envergure que le pitoyable Piketty) dans « The vision of the anointed » (Basic Books, 1995) :
    « … One common source of needless alarm about statistics is a failure to understand that a given series of numbers may represent a changing assortment of people … The implicit assumption of unchanging constituents underlies many discussions of « the rich » and the « poor »… studies that follow particular individuals over time have shown that most Americans do not remain in one income bracket for life, or even for as long as a decade. Both the top 20 % who are often called « the rich » and the bottom 20 % who are called « the poor » represent a constantly changing set of individuals….If most americans do not stay in the same broad income bracket for even a decade, their repeatedly changing « class » makes class itself a nebulous concept. Yet the intelligentsia are habituated, if not addicted, to seeing the world in class terms …The simple fact that everyone is getting older all the time means that many statistics necessarily reflect an everchanging aggregation of people. Nowhere is this more true than in statistics on « income distribution » and the « concentration » of wealth….Such facts have had remarkably little effect on the media’s desire to believe that the rich are getting richer, while the poor are getting poorer … »

  • Pour qu’il y ait de l’industrie, il faut du capital privé en grande quantité, ce qui n’est pas près d’arriver en France, vu la haine contre la propriété privée et le taux d’imposition.

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