Retraites : en Suisse comme en France, la répartition à l’épreuve du papy-boom

Ce jeudi, la France devrait donc connaître la double peine : un pays bloqué et une réforme des retraites abandonnée sinon inexistante.

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Retraites : en Suisse comme en France, la répartition à l’épreuve du papy-boom

Publié le 5 décembre 2019
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Par Jonathan Frickert.

Crainte par le gouvernement, la mobilisation du 5 décembre est d’ores et déjà comparée aux grandes grèves de 1995. Une comparaison d’autant plus intrigante qu’Édouard Philippe semble marcher dans les pas d’Alain Juppé.

Une énième mobilisation pour une énième tentative de pichenette contre le sacro-saint modèle social français, alors que les calculs politiques, à six mois des élections municipales, risquent de mettre à la poubelle le peu de progrès que promettait le chef de l’État.

Une évolution qui fait dire à l’économiste Jean-Marc Daniel que la réforme des retraites n’est plus une usine à gaz mais une véritable « zone industrielle » et qui risque de mêler recul de l’entrée en vigueur et spoliation des caisses excédentaires au profit des régimes déficitaires.

Jeudi, la France devrait donc connaître la double peine : un pays bloqué et une réforme abandonnée sinon inexistante.

Dans ce tumulte général, il est bon de prendre un peu de recul. L’occasion de se pencher sur ce qui se passe de l’autre côté du Jura où une autre réforme est sur le point de voir le jour, puisque la Suisse s’apprête en effet à connaître également une réforme de son système de retraite. Un système pourtant loué dans toute l’Europe mais qui connaît, comme en France, un problème de financement.

Cette réforme semble avoir trouvé son fil d’Ariane avec le projet présenté par Conseil fédéral intitulé AVS 21, destiné à garantir le système d’assurance vieillesse helvète pour le siècle à venir.

Une coexistence de deux systèmes

Le système suisse de retraites repose sur les fameux trois piliers : un pilier étatique, un pilier professionnel et un pilier individuel.

L’assurance-vieillesse et survivants (AVS) et l’assurance-invalidité (AI) constituent le premier pilier permettant de garantir à tous un minimum vital de retraite comme d’invalidité. Il est financé de manière quadripartite par les employés, les employeurs, les cantons et la Confédération. C’est la partie la plus proche du système français puisque ce pilier repose sur la répartition : les cotisations des actifs financent les pensions des retraités actuels.

Le deuxième pilier est la prévoyance professionnelle, financée de manière paritaire par les salariés et les employeurs. Ce premier pilier de capitalisation est obligatoire à compter de 21 330 francs de revenus annuels. Au-delà d’un certain niveau – autour de 84 000 francs – le taux de couverture baisse, obligeant les salariés les plus aisés à souscrire à un troisième pilier, facultatif et comblant les lacunes du deuxième pilier par un capital supplémentaire. Ce pilier se distingue en deux versions, ayant les mêmes différences qu’entre un PEA et un compte-titres : le premier type est plus rigide et ne peut être retiré qu’à certaines conditions tout en permettant de bénéficier d’avantages fiscaux, tandis que le second est plus souple, mais moins avantageux fiscalement.

Si ce système est particulièrement attractif d’un point de vue philosophique, il connaît toutefois des lacunes qui concernent essentiellement le premier pilier : le pilier le plus proche du système français…

Papy-boom et explosion des dépenses

Malgré la clarté et l’efficience de ce système, la Suisse connaît les mêmes difficultés que les autres systèmes européens, et ce en particulier s’agissant du pilier fonctionnant sur la répartition.

En effet, l’Europe connaît depuis plusieurs années un papy-boom.

Les baby-boomer, partis en retraite, laissent derrière eux un nombre d’actifs moindre que ce que le système de retraites par répartition nécessite pour fonctionner.

Une situation qui devrait durer jusqu’en 2030 voire s’accentuer jusqu’en 2070 selon la Banque centrale européenne.

La Suisse ne fait pas exception à ce phénomène, entraînant un déséquilibre évalué à un milliard de francs selon une étude d’UBS dont les conclusions ont été partagées par la Tribune de Genève, et ce en grande partie en raison d’un déséquilibre, démographique celui-ci, entre le nombre de rentiers et le nombre d’actifs financeurs.

Le pays connaît actuellement 3,4 actifs par retraité et devrait voir progressivement ce chiffre diminuer jusqu’à atteinte 2,2 actifs par retraités en 2040.

À ce déséquilibre de cotisants s’ajoute un déséquilibre du temps de cotisations : toujours selon la même source, chaque retraité aura travaillé 1,8 an par année de perception de rente AVS. Un chiffre extrêmement faible.

Cette augmentation du nombre de retraités s’ajoute à une augmentation de la durée de la vie et donc du coût du système de retraites, puisque toujours selon la même source, la durée moyenne de perception des pensions de retraite a quasiment doublé depuis la fin de la guerre, passant de 13 à 24 ans aujourd’hui.

De la même manière, la Confédération doit aujourd’hui trouver 53 milliards de francs d’ici 2030 pour assurer la pérennité du premier pilier et ce alors même qu’un retraité suisse sur cinq n’arriverait pas à joindre les deux bouts, là où les retraités français font office de privilégiés, passant cinq années de plus en retraite que leurs homologues de l’OCDE et dont les revenus moyens sont supérieurs au reste de la population alors même que le chômage des seniors est devenu un véritable fléau.

Une réforme paramétrique

La Suisse connaît une autre particularité, quasi unique en Europe : l’âge de départ est différencié selon le sexe.

Les femmes partent ainsi en retraite un an avant les hommes, soit respectivement à 64 et 65 ans.

Une particularité que le pays partage avec la Roumanie, où l’écart est quintuplé : les femmes partent à 60 ans, cinq ans avant leurs homologues masculins.

Une des propositions du Conseil fédéral est ainsi d’harmoniser l’âge de départ à 65 ans, ce qui a entraîné une levée de boucliers des partis de gauche et des syndicats considérant que l’inégalité salariale justifie de conserver un départ plus tôt.

Le site d’actualité suisse va jusqu’à accuser l’exécutif helvète de « cynisme » dans sa justification égalitariste de l’harmonisation de l’âge de départ.

Cette harmonisation fût une des causes de l’échec d’un premier projet de sauvetage du système, intitulé Prévoyance vieillesse 2020, rejeté par votation le 24 septembre 2017 par 52,7 % des votants.

Le projet prévoyait un relèvement de la TVA, l’harmonisation de l’âge de départ pour les femmes ainsi que l’instauration d’un âge de départ flexible entre 62 et 70 ans.

Une question de l’âge de la retraite qui touche tous les pays européens, mais qui a amené les jeunes du Parti Libéral-Radical à proposer une hausse progressive de l’âge de départ en fonction de l’espérance de vie, à la manière de ce que font déjà les Pays-Bas, pays où la capitalisation a également un poids très élevé et où le taux de remplacement brut est un des plus élevés d’Europe à hauteur de 88 % contre 53 en France.

Suivant les leçons de l’échec du projet Prévoyance vieillesse 2020, le Conseil fédéral a proposé une réforme plus souple.

Le projet AVS 21 conserve la mesure d’harmonisation d’âge, mais inclut une retraite anticipée dès l’âge de 62 ans.

Il vise également à encourager les assurés à travailler plus longtemps afin de compléter leur pension en augmentant le revenu déterminant le calcul de la rente.

Enfin, la TVA est une nouvelle fois objet des discussions, proposant de relever la taxe sur la valeur ajoutée de 0,7 %.

Une nouvelle réforme qui ne satisfait, semble-t-il, personne, puisque la gauche dénonce toujours la hausse de l’âge de départ en retraite des femmes et que la droite, après avoir dénoncé le manque d’équité de la réforme pour les retraités actuels et la hausse de cotisations des jeunes actifs, dénonce désormais la hausse de la TVA.

Un équilibre à repenser

Au début du mois de septembre, dans Le Temps, le journaliste et économiste Pierre Bessard, directeur de l’Institut Libéral, a rappelé que 26,6 % du PIB suisse partait dans des mécanismes de redistribution tels que l’assurance maladie ou l’AVS.

Un pourcentage honorable compte tenu de la moyenne européenne (28,2 %) et de la France, championne d’Europe, dépassant les 32 % du PIB consacré à ces mêmes mécanismes.

Des chiffres qui font dire au cofondateur de l’Institut Constant de Rebecque que l’État-providence est « l’art de rendre les gens dépendants de leur propre argent ».

Alors que près de 46 % de la redistribution vise l’assurance vieillesse, contre 37 % pour le risque maladie, les autres branches se répartissant équitablement le reste du gâteau, la réforme AVS 21 rappelle la difficulté que pose le financement d’un système de retraite par répartition, sept mois après que le peuple suisse ait accepté le versement de deux milliards de francs dans les caisses de l’AVS le 19 mai dernier.

L’équilibre vertueux sur lequel repose le système helvète, entre couverture des besoins vitaux et forte capitalisation est aujourd’hui mis à mal par une problématique qui touche tous les pays développés.

Le cas suisse nous montre une nouvelle fois qu’il est plus que temps de repenser une répartition totalement inadaptée à une société minée par l’explosion démographique, l’allongement de leur espérance de vie et le chômage de masse.

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  • Si même les suisses ont des problemes de retraites ,il va falloir avoir une tres grande idée sur le sujet….comme supprimer cette notion de prendre sa retraite et bosser jusqu’à ne plus pouvoir bosser……et vivra qui aura anticipé sa fin .

    • en suisse, il n’est pas rare de voir les gens travailler jusqu’à 70 ans. avec des horaires aménagés, des tâches allégées…
      mon ancien patron a pris sa retraite à 65 ans, mais a continué à travailler à 80 % le temps de vendre son bureau d’ingénieur, ce qui a duré 2 ans. il continue encore maintenant à 60 % avec un statut d’associé avec la personne à qui il a vendu.

  • ah le « problème de financement »…
    peut être manque t il quelques gardes fous dans la definition des montants de pension.

  •  » un pilier étatique, un pilier professionnel et un pilier individuel. »
    çà c’est la solution

  • En France qui dit étatique dit faillite car pourri confit par les syndicats et l’idéologie lénino-marxiste.

  • L’article est très discret sur le fait que le problème démographique menace la capitalisation comme la répartition : https://www.yvesmontenay.fr/2019/08/06/la-retraite-par-capitalisation-peut-elle-vraiment-saffranchir-de-la-demographie/

    • Ce qui menace la capitalisation, c’est la politique des taux négatifs appliquée aux fonds de pension.

    • L’article est également très discret sur la crise de la pêche à Boulogne-sur-Mer, pour la simple raison que ce n’est pas le sujet.
      L’article porte sur la reforme de l’AVS, qui est une reforme d’un système par repartition.
      Aucun intérêt donc à évoquer la capitalisation ici.

      Je lirais toutefois votre papier – dont je sais qu’il est également disponible dans les presentes colonnes – avec un intérêt certain et sincère ?.

  • Pour rappel, en France aussi, l’âge de départ a été longtemps différent pour les femmes, ce qui était une manière de prendré en compte les aléas de carrière pour maternité.
    Il faut souligner aussi que les reforles précédentes (Fillon, Touraine) sont encore en cours et n’ont pas encore porté tous leurs effets. En réalité, le seul problème urgent est la réforle des regimes spéciaux et de fonctionnaires. Une réforme que Macron n’a pas le courage de faire, ce qui le conduit à la noyer dans une grande réforme qui mécontente tout le monde et lui permettra d’exploiter les divisions. D’autre part, à cause dnune promesse électorale stupide, il s’est privé du recul progressif de l’âge de départ.
    Electoralisme et lâcheté… mais obstination. Tout ça va mal finir.

  • Je trouve très bien que les femmes puissent partir en retraite avant les hommes surtout si elles sont mariées! Cela leur procure quelques années de loisir bien méritées. Cinq ans, c’est le pied, surtout si on fixe l’âge de la retraite à 70 ans! Evidemment, celles qui ont cinq ans ou plus que leur époux, celles qui ont dix ans de moins ou plus, ne bénéficieront pas de ce bonheur, mais elles ont fait leur choix en toute connaissance de cause! Je mets un bémol quand même: si on exerce un métier très contraignant, on doit pouvoir partir avant 70 ans. Finalement, l’idéal est de partir quand on en a envie., la retraite étant évidemment calculée au pro rata des années travaillées, chacun étant libre de se constituer sa propre ration de survie ou de plaisir.

    • Il faut une dose de capitalisation pour pouvoir véritablement assouplir la date du départ. Car en fait, la retraite par répartition ne devrait pas être calculée au pro-rata des années travaillées avec des bonus pour ceci ou cela, années de chômage ou de congé de maternité, mais au pro-rata de l’espérance de vie au moment où on la prend. La collectivité vous octroie un droit qui devrait être identique pour chaque individu. Si vous voulez plus que ce minimum, vous devriez vous le constituer vous-même, dans un cadre défiscalisé, et donc a priori par capitalisation. En gros, la survie doit être offerte par la collectivité, le plaisir doit correspondre à un remerciement pour ce que vous avez contribué.

  • Toutes ces difficultés semblent plaider en faveur de… rien du tout !
    On ne prélève aucune cotisation retraite, on ne rend obligatoire aucun système de capitalisation, on laisse le salaire entier aux individus, à charge pour eux de gérer leurs économies comme ils l’entendent afin de se constituer (ou pas) un pécule suffisant pour financer leur « retraite ».
    S’ils veulent tout investir en immobilier ou en AVie ou en actions ou encore en véhicules de collection, ça les regarde.
    Ils devront juste apprendre à ressembler à la fourmi de la fable plutôt qu’à la cigale pour ne pas finir leurs jours dans le dénuement le plus total ! Ils ont la vie pour ça…

  • Si on réfléchit d’un point de vue purement biologique les hommes devraient partir a la retraite plus tot que les femmes. Etant donné que ces dernieres vivent en moyenne sept ans de plus.

    • Vous n’avez pas tort. La retraite au même âge pour tous est inégalitaire de fait. Elle l’est pour les hommes. Elle l’est pour les ouvriers qui ont commencé tôt. On pourrait dire la même chose sur le principe qui préside à la retraite par points (1 euro cotisé = 1 point pour tous) qui ne tient pas compte de la pénibilité, qui induit des disparités dans l’espérance de vie.
      Et puisque le gouvernement pousse et affiche autant l’égalitarisme dans cette affaire, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout de la logique en exigeant que chacun perçoive, quel que soit son métier, le même salaire ?!

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