Taxation des GAFA : une solution inadéquate

Taxer différemment et spécifiquement les entreprises numériques, c’est succomber à la discrimination en violation de l’égalité devant l’impôt. Les GAFA ne sont pas au dessus des lois.

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Taxation des GAFA : une solution inadéquate

Publié le 30 janvier 2019
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Par Jean-Philippe Delsol.
Un article de l’Iref-Europe

Le ministre Bruno Le Maire va donc créer une taxe de production supplémentaire à un taux variable, jusqu’à 5 %, sur les entreprises qui assurent des services numériques avec un CA de 750 millions d’euros et un CA en France de 25 millions d’euros. Monsieur Le Maire veut punir ces entreprises qui payeraient moins d’impôt en France que d’autres, soit 9 % en moyenne, dit-il, contre 23 % pour les entreprises comparables fonctionnant selon un modèle économique classique. Cette solution n’est pas la bonne. Elle méconnaît la diversité des entreprises du numérique.

Au niveau mondial, Amazon a réalisé en 2017 un bénéfice de 2,9 milliards de dollars, soit environ 2,42 milliards d’euros et employait environ 600 000 salariés. En France, le géant de Seattle avait environ 5 500 salariés en 2017 et a payé 8 millions d’euros d’impôt, soit un bénéfice fiscal de l’ordre de 26 millions d’euros. Donc en France, Amazon a fait 1,1 % du résultat global avec 0,92 % des salariés du groupe. Un bon score qui n’est guère critiquable ! En même temps Amazon offre aux producteurs français une filière de distribution inégalée.

L’ubérisation utile

En 2017, la filiale française d’Uber a déclaré un chiffre d’affaires de 52 millions d’euros et une charge d’impôt de 1,4 million. Au niveau mondial, la même année Uber a subi une perte nette de 4,5 milliards de dollars (3,6 milliards d’euros), C’est donc une chance que la plateforme ait payé un impôt en France ! Et par ailleurs, Uber joue un rôle d’insertion sociale de milliers de jeunes des banlieues en leur donnant envie de s’habiller en costume/cravate, de conduire diligemment et d’être aimable avec le client, ce qui économise sans doute d’importantes charges d’assistance sociale à l’État !

Mais alors que Amazon ou Uber délivrent un service physique sur le territoire français, le cas des sociétés comme Twitter, Facebook, Google est différent car ces entreprises font l’essentiel de leur chiffre d’affaires en vendant un service purement numérique, à distance.

Ce qu’elles offrent peut être obtenu par le consommateur de la même manière où qu’il soit sur la planète. Ainsi Google par exemple a réalisé dans le monde un chiffre d’affaires de 117 milliards de dollars en 2017 avec 80 000 salariés (au 31/12) et un bénéfice global de 26 milliards de dollars. La charge d’IS provisionnée par le groupe s’est élevée à 27,7 % de son résultat dont une partie, minoritaire, passée en provision selon le système américain qui n’impose qu’au jour du rapatriement aux États-Unis.

Un tel taux est comparable, voire supérieur au taux moyen payé en France par les grandes entreprises. Mais évidemment le montant du chiffre d’affaires et du résultat réalisés en France ne correspond qu’au service commercial de distribution. En 2017, la filiale française (639 salariés) a déclaré au fisc français un chiffre d’affaires de 325 millions d’euros et un impôt sur les bénéfices de 14 millions d’euros.

Esquiver n’est pas frauder

Le cas d’Apple est encore différent puisqu’elle vend des produits, mais elle ne possède en France qu’une filiale qui s’occupe de marketing (Apple France SARL, 181 salariés, chiffre d’affaires de 89 millions d’euros et 14,5 millions d’impôts en 2017) et une autre, Apple Retail France EURL (2 122 salariés) qui vend ses produits dans ses propres boutiques (chiffre d’affaires de 711 millions d’euros et impôt de 4,6 millions d’euros en 2017).

Bien entendu les produits Apple sont également vendus en France par d’autres revendeurs. La seule question est de savoir si Apple vend ses produits aux mêmes conditions à ses boutiques et à celles des autres. Gageons que le fisc français le vérifie scrupuleusement.

Il existe déjà en France, et plus largement en Europe, tout un arsenal pour lutter contre la fraude qui pourrait être utilisé, voire amélioré, si l’on considère que les bénéfices réalisés en France par les entreprises numériques sont sous-imposés : remise en cause des prix de transfert, surimposition des dividendes vers des pays localisés dans des paradis fiscaux.

Le cas échéant, il peut être envisagé d’élargir la notion d’établissement stable d’une entreprise étrangère en France… Il est vrai qu’il va devenir très difficile de saisir un résultat qui se fait de plus en plus, notamment pour Google et Amazon, dans les nuages. Mais des solutions existent.

Les États-Unis de Trump ont voté fin 2017 une loi qui taxe les multinationales sur leurs résultats à l’étranger au taux de 8 à 15,5 % en permettant en échange que ces bénéfices soient rapatriés sur le sol américain. C’est ce qui a permis d’augmenter sensiblement l’impôt payé par Google ou Apple (38 milliards de dollars/31 milliards d’euros) par exemple cette dernière année. Soyons aussi inventifs plutôt que de multiplier les taxes de production qui sont déjà en France, au niveau de 72 milliards d’euros, multiples et plus élevées que dans les pays comparables.

Il est normal que chaque entreprise contribue équitablement à l’environnement public qui lui est offert. Mais taxer différemment et spécifiquement les entreprises numériques, c’est succomber à la discrimination en violation de l’égalité devant l’impôt.

La plus élémentaire justice veut que tous les contribuables placés dans des situations semblables soient imposés selon les mêmes méthodes et les mêmes principes. Toute politique du cas par cas aboutit à un dispositif inextricable, incompréhensible et injuste. C’est aussi attenter sans doute à la croissance d’entreprises françaises pour vouloir faire mal à quelques grandes entreprises étrangères.

Il vaudrait mieux faciliter la vie des entreprises et alléger leur fardeau pour que d’autres géants français et européens du numérique puissent se développer.
Méfions-nous toujours de vouloir substituer la morale à la justice pour régler les affaires de l’État.

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  • Quelle serait la solution adéquate ?
    Supprimer l’IS pour le remplacer par quelques points de TVA ?

  • De toute façon il n’y a pas à chercher d’explications logiques. L’Etat manque de pognon et déformera la réalité pour l’adapter à ses besoins. Sinon il commencerait à supprimer les avantages pour les fonctionnaires et offrirait un droit unique aussi bien fiscal que législatif. L’on pourrait citer les retraites privées pour les fonctionnaires comme exemple. Donc l’Etat condamne le méchant capitalisme des autres mais se l’applique à lui même quand c’est nécessaire. J’ai de plus en plus de mal à supporter ces technocrates qui nous font la morale et nous obligent à payer des taxes aussi stupides les unes que les autres. Qu’ils se regardent avant de nous « modifier » dans un sens ou un autre. Le problème est que la défiance vis à vis du pouvoir devient légitime. Il s’agit d’eux ou de nous. Les gilets jaunes n’expriment pas autre chose. Mais ils sont sourds et aveugles. Ça va dégénérer !!!

  • quand on voit un Bruno Le Maire ministre du budget incompétent et les inepties qu’il préconise on est sur de s’en sortir .

  • Toutes les taxations sont inadéquates quand elles sont faites par des incapables. Tant que nous sommes dirigés par des irresponsables qui dépensent plus qu’ils ne disposent, il ne sert a rien de chercher de nouvelles ressources.
    Quand on sait gérer un pays avec un budget en équilibre, par réduction des dépenses, inclus, une diminution programmée de la dette, alors seulement, on peut envisager de bâtir d’autres projets.

  • Bah c’est la politique du doigt mouillé (ou dans le cul). Ce qui me tue c’est qu’ils n’arrivent pas à comprendre qu’ils détruisent la France. C’est vrai que si l’on compte sur bfm et les médias pour ouvrir le débat on est pas sorti d’affaire. De plus l’INSEE passe son temps à faire du faux pendant que la bce camoufle la poussière sous le tapis. En gros l’Etat est notre ennemi et toutes les actions contre lui ne peuvent qu’être légitimes.

  • Le résultat est prévisible : une taxe mal gaulée, qui permettra de faire le matamore devant les caméras au moment de son adoption, d’expliquer à quel point elle est importante pour assurer plus de justice / de services publics dans notre beau pays au moment où elle sera encaissée pour la première fois, puis qui nécessitera de la créativité pour boucher le trou dans les budgets que causera son annulation. Que celle-ci soit le fait du Conseil d’Etat, du Conseil Constitutionnel ou de la CJE, elle arrivera fatalement.

  • Il est normal et sain que les sociétés privées contribuent à certains coût de fonctionnement normaux de l’Etat comme celui d’une Justice efficace et non politisée.

    Il est normal et sain que les utilisateurs des réseaux entretenus par les différentes collectivités contribuent raisonnablement à l’entretien nécessaire de ces réseaux.

    Au delà, si les électeurs ont envie de se sentir généreux en finançant l’accueil de la misère du monde, c’est en impôts sur des personnes ayant le droit de vote que cela doit s’assumer, pas en taxes routières que payent des étrangers, ni en impôts sur les personnes morales.

  • Ce qu’il va se passer est prévisible: les GAFA, avec leurs armées de fiscalistes vont trouver un moyen de contourner cette nouvelle loi, alors que les fleurons français du numériques qui ont encore leur siège en France vont la subir de plein fouet.
    Le résultat sera terrible pour ces groupes français, la marge brute dans le domaine n’étant pas toujours aussi élevée qu’on peut le penser et nos concurrents, même européens seront mécaniquement moins cher.
    Or, à service et produit équivalent, on sait très bien que la majorité des consommateurs vont au moins cher.

    Enfin, je tiens à rappeler à Bruno le Maire que la loi « anti amazon » de 2014 était tout juste sortie des cartons qu’amazon avait la parade avec ses frais de livraison à 0.01€ !
    https://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/loi-anti-amazon-le-site-a-trouve-la-parade_1558679.html

  • Concernant Uber et son « rôle d’insertion sociale de milliers de jeune de banlieue », il est nécessaire de corriger un tout petit peu cette supposition caricaturale : selon le site Sharknews, citant Uber France : « on a donc le profil type du chauffeur Uber, il est âgé de 39 ans, titulaire d’un bac+2 et il roule dans une Peugeot 508. Son choix, de devenir chauffeur Uber, a été motivé pour 89 % d’entre eux, pour « l’indépendance” offerte, 81 % pour être leur “propre patron”.
    Pas vraiment jeune de banlieue… mais y en a certes, mais (encore un mais), fallait le préciser.
    MHG

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