Steak ou pas steak : le casse-tête de la réglementation sur les protéines végétales

Les consommateurs sont-ils réellement trompés par des termes comme ‘steak végétal’ ? Le gouvernement doit-il réellement intervenir sur la sémantique ?

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Steak ou pas steak : le casse-tête de la réglementation sur les protéines végétales

Publié le 19 septembre 2023
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Au pays de Gribouille législateur, il sera interdit de servir un « steak végétal »… sauf si, peut-être, c’est un produit d’importation !

 

Musardons avant d’entrer dans le vif du sujet

Le 7 septembre 2023, M. Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique (mais pas alimentaire) annonçait la fin de la détaxe du GNR (gazole non routier) dont bénéficient notamment les agriculteurs et, indirectement, la compétitivité de l’agriculture française et les consommateurs.

Les transporteurs routiers ne roulent pas au GNR (gazole « non routier »)…

Le 10 septembre 2023, M. Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, déclarait aux Terres de Jim, que l’aide fiscale au GNR – lire : la détaxe – ne disparaîtra pas.

Cacophonie gouvernementale ou, encore une fois, exercice d’acrobatie qui se traduira par des vases communicants (avec le risque que l’« aide fiscale » ne finisse pas au bon endroit) ?

 

Musardons encore, quoique…

Le 17 mai 2023, M. Bruno Le Maire s’est fait le VRP de HappyVore (ex Les Nouveaux Fermiers), que mon moteur de recherche présente comme « La viande végétale & gourmande made in France ».

 

Dans le même temps – refrain connu de la Macronie – le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire travaillait sur un projet de décret « relatif à l’utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales ».

L’un ambitionnait de développer une activité économique et « protéger la planète » – merveilleux slogan… – les autres œuvraient pour protéger une activité économique traditionnelle – qui, elle aussi, protège la planète, mais d’une manière mal connue et surtout mal expliquée.

 

Une loi, un décret, le Conseil d’État…

Tout part d’une loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l’information sur les produits agricoles et alimentaires, qui a créé l’article L412-10 du Code de la consommation :

« Les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d’origine animale ne peuvent être utilisées pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires comportant des protéines végétales. Un décret fixe la part de protéines végétales au-delà de laquelle cette dénomination n’est pas possible. Ce décret définit également les modalités d’application du présent article et les sanctions encourues en cas de manquement. »

Le gouvernement a pris son temps pour mettre cette disposition en application, par le décret n° 2022-947 du 29 juin 2022 relatif à l’utilisation de certaines dénominations employées pour désigner des denrées comportant des protéines végétales. Ce faisant, il avait aussi donné du temps aux industriels des substituts de viande affectés par les nouvelles règles.

Mais, le 27 juillet 2022, le Conseil d’État a fait droit à la requête en référé d’une association, Protéines France, qui demandait sa suspension.

Selon le communiqué de Protéines France :

« Dans son ordonnance du 27 juillet 2022, le juge des référés du Conseil d’État a reconnu l’impossibilité pour les opérateurs de se conformer au décret à la date d’entrée en vigueur du texte, soit le 1er octobre 2022. En conséquence, le Conseil d’État a suspendu la mise en œuvre du décret. »

Le communiqué poursuit :

« … de nombreuses étapes sont nécessaires pour changer le nom d’un produit, telles que l’élaboration de nouveaux noms et l’élaboration de nouveaux noms et univers de marque, la réalisation d’enquêtes auprès des consommateurs, le dépôt de marques en vue de leur protection et la production de nouveaux emballages. Beaucoup de travail en temps normal…. »

Le nouveau décret est censé entrer en vigueur « le premier jour du troisième mois suivant sa publication », sous réserve de dispositions transitoires pour, par exemple, l’écoulement des stocks.

Nos têtes pensantes gouvernementales n’ont apparemment pas compris les enjeux pour l’industrie…

Le Conseil d’État ne s’est pas encore prononcé sur le fond. Le 13 juillet 2023, il a saisi la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) sur des questions d’interprétation de la réglementation européenne en matière d’étiquetage…

…Et, un mois après, le 23 août, le gouvernement notifiait son projet de décret à la Commission européenne…

 

Ubu législateur

La loi est (presque) claire :

« Les dénominations utilisées pour désigner des denrées alimentaires d’origine animale ne peuvent être utilisées pour décrire, commercialiser ou promouvoir des denrées alimentaires comportant des protéines végétales. »

Elle ne prévoit un décret que pour fixer le taux de protéines végétales (en fait très bas) susceptibles d’entrer dans un produit d’origine très majoritairement animale. Le décret de 2022 répondait précisément à cette disposition.

Le projet de nouveau décret comporte une deuxième liste (l’annexe 1), de « termes dont l’utilisation est interdite pour la désignation de denrées alimentaires comportant des protéines végétale ». Le mot « comportant » signifie aussi – à notre sens – « constitué exclusivement ».

Exit donc les steaks, les escalopes, les jambons végétaux, mais aussi – parce qu’ils font l’objet d’une limite pour la présence de protéines végétales, les saucisses, les merguez, les nuggets de substituts de viande.

Mais ce nouveau dispositif ne couvre pas les termes qui ne figurent ni dans l’une, ni dans l’autre annexe. Sera-t-il bien compris qu’en application de la loi, on ne pourra pas parler d’une darne, d’un carpaccio ou d’un tartare de substitut de poisson ou de viande ?

On peut chercher d’autres poux dans cet édifice législatif branlant. Qu’en est-il des flammekueche, des tartiflettes et des cassoulets végétariens ?

Le projet de décret autorise 3 % de protéines végétales dans la knack (2 % dans la knack de volaille). HappyVore commercialise des « knax »… Qu’en pensez-vous ?

 

Pour quel bénéfice ?

Marc Fesneau s’est fait lyrique dans un communiqué de son ministère :

« Ce nouveau projet de décret traduit notre volonté de mettre fin aux allégations trompeuses comme prévu par la loi, en utilisant des dénominations se rapportant à des produits carnés pour des denrées alimentaires n’en contenant pas. C’est un enjeu de transparence et de loyauté qui répond à une attente légitime des consommateurs et des producteurs. […] »

Difficile de faire plus clientéliste en direction du monde de l’élevage !

Parmi les « producteurs », il y a… les producteurs de substituts de viande – dont certains relèvent essentiellement des filières animales ! Ils sont évidemment vent debout. On comprend sans peine. Au-delà des défis importants évoqués ci-dessus, à qui reviendra par exemple la tâche, l’honneur ou le privilège de forger un nom commun se substituant à « saucisse », « steak », etc. ?

Les consommateurs sont-ils vraiment trompés par des dénominations comme « steaks végétaux et gourmands » sur un emballage montrant pour moitié un pavé de simili-viande hachée et pour moitié de graines de légumineuses ?

Les associations de consommateurs semblent prudentes. Elles doivent arbitrer entre l’apparente protection du consommateur et une promotion de la réduction de la consommation de viande – pour des motifs de santé publique, et aussi « pour sauver la Planète » – qui serait péjorée par des changements de dénomination. L’UFC/Que choisir n’a ainsi produit qu’un article d’information.

Sur X (anciennement Twitter), certains de leurs employés sont très critiques.

Sur X également, Mme Brigitte Gothière, co-fondatrice de l’association L214, s’est indignée : « Manipulation exemplaire du ministère de la viande »… L’élevage, ce n’est pas bien, mais refuser aux végétariens et végétaliens (végans) la possibilité d’utiliser des termes de l’élevage et de la boucherie, ce n’est pas bien non plus…

Les milieux de l’élevage et de la boucherie-charcuterie sont sans doute ravis, mais sans triomphalisme. Sans études pratiques comme celles que réalise M. Jayson Lusk aux États-Unis d’Amérique (voir par exemple ici), il est impossible de dire que cette réglementation sera favorable aux productions animales.

La réglementation adoptée dans le cadre de la loi et proposée dans le projet de décret d’application constitue de toute manière une entrave à la concurrence entre filières. Et pour la concurrence entre produits similaires, des règles législatives ou jurisprudentielles imposant une identification claire de la nature des produits serait largement suffisante.

Mais voilà, le clientélisme a sévi à l’Assemblée nationale et au gouvernement. Quelle surprise !

 

Se tirer une balle dans le pied

Le dernier chapitre n’est pas encore écrit. La Commission européenne devrait répondre au gouvernement français comme elle l’a fait pour le décret de 2022. Elle se serait alors inquiétée que la réglementation puisse « rendre plus difficile la commercialisation des denrées alimentaires à base de protéines végétales ». Elle aurait aussi manifesté sa désapprobation.

Le décret sera publié… contesté… et sans doute suspendu par le Conseil d’État, peut-être pour la même raison que précédemment ou, certainement, parce que la CJUE a été saisie et doit donner un avis sur la portée du droit européen de l’étiquetage. En bref, la question principale est de savoir si la réglementation européenne exclut la promulgation de réglementations nationales.

Mais une chose est (presque) sûre, si ce décret survit :

« Les produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre de l’Union européenne ou dans un pays tiers, ne sont pas soumis aux exigences du présent décret. »

Cette disposition pose des problèmes d’interprétation par rapport à l’article L412-10 du Code de la consommation, qui ne prévoit pas de dérogation, et au droit communautaire, qui pourrait préempter le droit national les producteurs étrangers pourront continuer à commercialiser des saucisses et steaks végétaux, en concurrence avec des producteurs contraints d’utiliser des dénominations moins « parlantes ».

Il paraît que le gouvernement s’est engagé à ne plus faire de surtranspositions (un terme qui n’est peut-être pas totalement approprié ici mais décrit bien le problème)…

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  • l’alimentation c’est important stratégique DONC l’etat doit gérer ça;..

    et l’énergie bien sûr aussi..l’éducation la santé…

    les élus ne sont compétents que pour être élus!!!!

    et non les élus ne sont pas tenus d’écouer les « techniciens »..encore moins de leur obéir..

    fascinant comme l’etatiste jeancovici qui dénonce à longueur de vidéo et conférences les conneries faites par l’état..

    le politique fait de la rhétorique il convainc il ne prouve pas..

  • La question est : Pourquoi ils utilisent les mêmes mots, les mêmes formes si ce n’est pour tromper le public ?
    Pourquoi pas un gratin Dauphinois de bœuf, du mouton en robe des champs, une ratatouille de thon, de la semoule d’escargots ?

    • À quand le poireau carné ou la tomate carnée ?
      Laissons les végétariens à la malbouffe des steaks végétariens ayant une liste d’ingrédients longue comme le bras. Et n’oublions jamais que si les végétariens existent, c’est parce que leurs ancêtres se gavaient de viandes en hivers lorsqu’il n’y avait que des racines pour subsister.

    • Ils utilisent les mêmes mots et les mêmes formes pour encourager les gens à consommer leurs produits, car le nom leur rappelle des choses qu’ils aiment bien.
      Tant qu’il est bien mentionné que ce n’est pas un produit animal, du genre que steak doit être immédiatement suivi de végétal, et écrit de même taille même couleur, je ne vois pas comment le consommateur pourrait être floué.
      Enfin,y a t il besoin d’une loi pour ça? Une simple jurisprudence devrait suffire: attendons qu’un consommateur se plaigne!

  • C’est d’autant plus bête qu’en anglais, « steak » est juste une bonne tranche, de viande, mais aussi de poisson ou de légume genre chou-fleur ou champignon.

  • Ces « steaks » ont-ils les mêmes qualités nutritionnelles, présentent-ils la même variété de goût, peuvent-ils recevoir les mêmes préparations, et j’en passe, que la vraie viande ?

  • Une idée pour ces protéines végétales? appeler un steak, une tranche végétale, une saucisse ou tout ce qui a cette forme , un rondin végétal, les dés de jambon, des carrés végétaux, etc… Cela vous tente?

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