Autarcie ou libre-échange : l’Europe face au dilemme alimentaire

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Autarcie ou libre-échange : l’Europe face au dilemme alimentaire

Publié le 30 octobre 2024
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L’hiver dernier, l’Europe a été secouée par une crise agricole et des manifestations massives d’agriculteurs. Le concept de “souveraineté alimentaire” a soudainement connu un regain de popularité. Alors que l’hiver 2024-2025 approche, l’histoire semble prête à se répéter et des actions paysannes ont déjà eu lieu un peu partout en France, de Toulouse à Nancy.

Mais peut-on vraiment prétendre à la « souveraineté alimentaire » dans un monde globalisé, où chaque perturbation, du climat à la géopolitique, vient briser ces illusions d’indépendance ?

La « souveraineté alimentaire » vraiment ?

La Commission européenne semble pourtant déterminée à poursuivre dans cette voie. Dans une lettre de mission, sa Présidente Ursula von der Leyen confie à Christophe Hansen, nouveau commissaire européen à l’Agriculture, la lourde tâche de “diversifier et réduire les importations”. L’idée ? Renforcer cette fameuse “souveraineté alimentaire” européenne. Un concept qui, sur le papier, séduit de plus en plus, mais qui, dans les faits, risque de créer plus de dépendance et de fragilité et de priver nos citoyens d’un accès libre et bon marché à certains aliments.

Dans un monde toujours plus interconnecté, l’Union européenne incarne en effet un paradoxe : bien qu’elle soit un exportatrice nette de denrées alimentaires, elle s’inquiète constamment de sa souveraineté alimentaire. Entre 2013 et 2023, les échanges agricoles au sein de l’UE ont bondi de 56,2 %, passant de 263,1 milliards à 410,9 milliards d’euros, soit une croissance annuelle moyenne de 4,6 %. Rien qu’en 2023, l’UE a exporté pour 228,6 milliards d’euros de produits agricoles, tout en important pour 182,3 milliards d’euros, générant ainsi un excédent commercial de 46,3 milliards d’euros.

Cependant, cet excédent commercial dissimule une dépendance aux marchés extérieurs pour plusieurs denrées alimentaires clés, révélant ainsi les vulnérabilités inhérentes à la stratégie européenne en matière de sécurité alimentaire.

Les fragilités du modèle communautaire

Cette fragilité est particulièrement manifeste pour certains produits. Traditionnellement, l’UE reste importatrice nette de fruits et légumes frais, tels que les bananes, les agrumes ou encore les avocats. Chaque année, elle importe également près de 8,2 millions de tonnes d’huile végétale. Une telle dépendance vis-à-vis des importations ne fait qu’accentuer l’exposition de l’Union aux ruptures des chaînes d’approvisionnement mondiales et exacerbe la volatilité des prix – des dynamiques que les récentes turbulences géopolitiques ont crûment mises en lumière.

Les répercussions de l’invasion russe en Ukraine ont brusquement révélé ces vulnérabilités. L’un des plus grands exportateurs mondiaux de blé et de maïs, l’Ukraine a vu sa production et ses capacités d’exportation sévèrement compromises, provoquant une flambée des prix du blé à l’échelle mondiale. Mais les effets de la guerre ne se sont pas limités aux céréales : l’UE a dû affronter une hausse spectaculaire des prix de l’huile végétale, avec une augmentation de plus de 50 % pour l’huile de tournesol, dont l’Ukraine est un fournisseur clé.

Face à cette volatilité, les industriels européens de l’agroalimentaire se sont tournés vers l’huile de palme comme solution stabilisatrice, démontrant ainsi l’importance capitale de maintenir une diversité d’options d’approvisionnement pour amortir les chocs des prix et assurer la résilience du marché.

Cependant, le chemin vers la sécurité alimentaire est semé d’embûches. Ainsi, le règlement de l’UE sur la déforestation (EUDR) vise à lutter contre la déforestation illégale associée à certains produits importés. Bien que ce règlement soit défendu comme étant nécessaire à la protection de l’environnement, il peut conduire à limiter l’accès à des produits clés et faire grimper les prix. Ce règlement a été retardé, de nombreux importateurs faisant valoir qu’il perturberait la production alimentaire, l’huile de palme, par exemple, étant un ingrédient essentiel pour de nombreux fabricants européens de produits alimentaires. L’interruption de l’approvisionnement à partir de sources essentielles menace d’accroître la vulnérabilité de l’Europe aux futurs chocs de prix, une réalité de plus en plus alarmante compte tenu de la volatilité des marchés alimentaires mondiaux.

L’importance du libre-échange

On ne saurait trop insister sur la nécessité d’un approvisionnement alimentaire diversifié. L’expérience de l’UE pendant la crise ukrainienne illustre les risques d’une dépendance excessive à l’égard d’une seule denrée ou d’une seule région.

Les accords de libre-échange, des droits de douane réduits et l’atténuation des mesures non tarifaires, comme celles encadrant les importations européennes, constituent des leviers essentiels pour garantir aux consommateurs un accès à des denrées alimentaires à des prix abordables. Ils permettent à l’UE de diversifier ses fournisseurs et d’assurer une stabilité des prix, en particulier en période de crise. Qu’il s’agisse de fruits tropicaux ou d’huiles végétales, la diversité de l’offre est cruciale pour préserver le choix des consommateurs et contenir les fluctuations de prix. S’il peut être vu comme louable de promouvoir des pratiques durables et de réduire la dépendance à l’égard de certaines importations, il est tout aussi impératif de reconnaître le rôle du libre-échange dans la garantie de la résilience alimentaire. Alors que des accords commerciaux avec des acteurs majeurs comme le Brésil (pour le soja) et l’Indonésie (pour l’huile végétale) sont sur le point d’aboutir, les critiques de ces traités se concentrent souvent sur la protection des agriculteurs locaux, omettant d’évoquer les bénéfices en termes d’accès à une alimentation plus abordable.

Souveraineté ou sécurité alimentaire ?

 Le concept de souveraineté alimentaire, désormais omniprésent dans les débats politiques, séduit aussi bien la droite que la gauche, grâce à son ambiguïté et son adaptabilité. Cependant, l’ironie réside dans le fait que ce terme, que certains estiment forgé par La Vía Campesina en 1993 pour protéger les droits des peuples indigènes d’Amérique latine face à l’exploitation de leurs terres, a été détourné de sa vocation initiale. Aujourd’hui, nous pourrions dire, à rebours de certaines analyses, qu’il sert avant tout les intérêts des structures de pouvoir bien établies de l’industrie alimentaire européenne, contre ceux de leurs concurrents étrangers, au dépens des consommateurs européens et bien loin des luttes pour la justice des peuples des pays en développement.

La véritable question ici, celle que l’on refuse d’aborder franchement, est celle du libre-échange. Il est bien plus confortable, électoralement, et bien plus utile à certains intérêts particuliers, de promettre aux citoyens européens un contrôle absolu sur leur assiette.

De quoi parlons-nous donc quand est convoquée l’idée de souveraineté alimentaire ? Trop souvent, on confond souveraineté et sécurité alimentaires, deux concepts pourtant diamétralement opposés. La quête de la première peut mener à des pénuries, voire à des crises humanitaires, alors que la seconde repose sur des chaînes d’approvisionnement étendues et des accords de libre-échange solides.

Peut-être qu’en abordant plutôt la question sous l’angle de l’accès alimentaire, on ciblerait mieux ce que devrait être le véritable objectif politique de l’Europe. Un tel débat permettrait d’intégrer le rôle de partenaires commerciaux comme le Brésil et l’Indonésie dans cet accès alimentaire, et d’engager une discussion pragmatique sur la balance entre cet accès, primordial, et les objectifs écologiques, sans céder au réflexe de rejeter en bloc les produits importés. L’accès alimentaire, lui, repose sur la fluidité des échanges, l’ouverture des marchés et la libre circulation des biens. C’est cette diversité qui garantit à chacun l’accès à une nourriture variée, à des prix abordables.

En définitive, ce que révèle cette quête désespérée de souveraineté est un paradoxe : plus l’Europe produit, plus elle cherche à se protéger du monde, comme si l’abondance la rendait frileuse. Mais en cherchant à se barricader, elle risque de perdre le lien vital qui l’unit au reste du globe. C’est un choix entre l’ouverture au monde ou le repli sur soi. Et l’avenir de l’alimentation européenne, autant que celle de ses citoyens, dépendra de la voie que l’on choisira.

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  • Les âneries idéologiques caractérisent l’UE. Qu’est ce que le règlement de l’UE sur la déforestation? C’est d’un grotesque incroyable!

    -1
  • La souveraineté comme la sécurité alimentaire sont des soucis de pays occidentaux riches qui se font des nœuds au cerveau après un bon repas bien arrosé…..🤣🤣🤣🤣🤣
    La mode est a la souveraineté tout azimut ce qui finit par ne plus rien signifier
    Le seul domaine où la souveraineté est plus que légitime est la défense….qui est assurée par l OTAN grâce au parapluie nucléaire américain…..😂😂😂😂😂

  • La souveraineté alimentaire est la garantie, que si les importations stoppaient net, on ne mourrait pas de faim. C’est important stratégiquement, notamment en temps de guerre. Cela n’a donc rien à voir avec les indigènes, mais plus avec le protectionnisme et la défense.
    Si cela est considéré comme stratégiquement important, la solution est toute trouvée: il faut que la production alimentaire en Europe augmente, ainsi en cas de guerre, les surplus compenseront l’absence d’importation (évidemment des “substitutions” seraient nécessaires…).
    Sauf que l’UE fait tout le contraire. On veut restreindre la production. On veut réduire les surfaces cultivées. On veut réduire l’efficacité de la production alimentaire. On veut limiter l’industrie chimique qui fabrique tous les produits permettant une production élevée.
    L’UE fait tout pour diminuer la production, mais aussi limiter les importations. Que reste t il à faire pour les européens? Perdre du poids.

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