Olivier de Kersauson est connu pour son franc-parler et sa liberté de parole, et aussi son côté pince-sans-rire. Pour autant, si cette personnalité m’intéresse, j’ai très peu vu l’homme dans les médias, malgré les fréquentes apparitions qu’il a dû y faire, même si cela m’aurait intéressé.
Le lire est ainsi une excellente occasion de le découvrir et d’apprécier l’esprit qui guide une personnalité libre et authentique.
Le rejet de la superficialité et de la pensée molle
Fidèle à sa liberté de parole et à son sens de l’ironie (du peu que je le connaisse), Olivier de Kersauson se pose ici en observateur de la société.
Un observateur qui dispose de tout le recul et l’indépendance de parole de celui qui a la chance de pouvoir se mettre régulièrement en retrait, et de prendre ses distances avec l’agitation humaine quotidienne, mais aussi avec le grand cirque médiatique. Et c’est ce recul qui, justement, est intéressant, nous permettant de nous enrichir de la vision d’un être indépendant, qui observe notre société de loin, tout en ne s’en excluant nullement, et en conservant le caractère humble qui le définit (ce qui est une qualité hélas pas toujours la plus partagée) et ne le range aucunement parmi les donneurs de leçons.
Ce qu’il exècre – tout en faisant preuve d’une certaine indulgence envers la faiblesse humaine – est la superficialité, les apparences, l’agitation permanente pour faire parler de soi (le buzz), la flagornerie, la pensée molle (qui passe souvent par le langage convenu), et les impostures de toutes sortes.
Aussi se livre-t-il ici à un certain nombre de confidences sur sa manière de voir le monde, son évolution, ses failles, ses vertus dévoyées, et les illusions qui trop souvent nous entretiennent.
Où est passé le bon sens ?
Car, comme il le constate, c’est trop souvent le nivellement par le bas et le manque de réflexion qui caractérisent notre époque.
Les bons sentiments prédominent au mépris du bon sens. Comme en matière d’écologie, apparentée par certains à « une nouvelle religion d’où sortent des messies qui font dans l’incantatoire et se posent en modèles de vertu, alors qu’en réalité ils uniformisent la pensée ».
À cette aune, les médias ne sont pas en reste, puisque :
Les médias sont devenus comme le monde qui nous entoure. Jadis, dans les journaux, il y avait les signatures de ceux qui avaient réfléchi, s’étaient cultivés. Aujourd’hui, la plupart des journalistes font au plus court, ils n’ont plus le temps de la réflexion, ils sont des arbitres, ils nous affirment ce qui est de bon ton ou ne l’est pas. Le camp du bien et celui du mal. Chacun vend une manière de penser. Et je n’accorde pas obligatoirement aux stars du petit écran une qualité. Leurs jugements m’intéressent assez peu. Car, bien souvent, ils sont assez peu intéressants. Le bavardage a pris le pas sur tout. Un événement ? Vingt-cinq experts décryptent. C’est miraculeux. Au vrai, ils expliquent à tout le monde ce qu’ils n’ont compris qu’en partie.
La bêtise humaine le dispute avec le règne de la victimisation, qui lui inspire cette formule : « Malheur à ceux qui n’en ont pas ». Celle-ci n’étant que l’un des symptômes classiques de notre époque, qui se caractérise aussi par des tendances dangereuses et opposées à ce que nous connaissions auparavant, à l’image de ce phénomène très contemporain qu’il résume ainsi : « Le communautarisme, quel qu’il soit, c’est le rejet de l’autre ».
Comment, alors que nous avons accès à de nombreuses connaissances, pouvons-nous sombrer le plus souvent dans l’irrationnel, les croyances, les artifices du langage et le manque de profondeur ? Au lieu de nous fonder sur nos peurs, interroge Olivier de Kersauson, ne devrions-nous pas réapprendre à réfléchir par nous-mêmes, et moins nous fier au règne des réseaux sociaux, et ce qu’ils véhiculent comme vacuité, qui confine trop souvent à la tyrannie du divertissement ?
C’est d’une vraie crise de l’éducation et de la transmission que, de fait, nous souffrons. Une éducation qui était basée sur le bon sens, la réflexion, une transmission de valeurs fondée sur le respect, le rapport au temps, et non fleurtant avec le culte de l’immédiat et le règne de l’ignorance.
Superficialité vs capacité à s’enchanter
En voyageur aguerri, Olivier de Kersauson observe avec regret le changement d’état d’esprit qui caractérise notre époque.
Là où le voyage appelait le rêve, la curiosité, la découverte, l’imprévu et le voyage intérieur, il constate que la plupart des gens ne font en réalité que « se déplacer », sans chercher à comprendre où ils vont, ne faisant que parcourir sans sensibilité particulière, cherchant essentiellement à se distraire en se mouvant dans l’univers de la norme et du surfait, loin des particularismes, au contraire de ce que l’on connaît, qui rassure, qui colle à ses habitudes. Dans un monde mû par la vitesse.
La religion, le temps, la vie, la souffrance, la mort, le sens du dérisoire, les bonheurs simples, la bonne humeur, la capacité à s’enchanter, mais aussi à s’adapter, Olivier de Kersauson nous expose sa vision de l’existence, que je qualifierais d’assez stoïcienne, caractérisée par le refus de sombrer dans le pessimisme et la lamentation, mais plutôt de profiter de chaque instant, de voir ce qu’il y a de beau en lui, de savoir se contenter de ce que l’on a, de considérer la vie comme un privilège. Sans pour autant, naturellement, faire preuve de naïveté.
Olivier de Kersauson, Veritas tantam potentiam habet ut non subverti possit, Le cherche midi, novembre 2022, 208 pages.
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