La gauche social-démocrate de retour ?

Avec La Convention, l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve tente de donner un second souffle à la social-démocratie. Républicain, laïque et universaliste, le nouveau mouvement se présente comme une alternative responsable à la NUPES, jugée trop radicale et clivante. Mais en politique, est-ce dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes ?

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La gauche social-démocrate de retour ?

Publié le 16 juin 2023
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La gauche française va-t-elle enfin vivre son Bad Godesberg ? Le fameux congrès de 1959 avait signé, pour le Parti social-démocrate allemand (SPD), une rupture claire et officielle entre les tenants du socialisme réformiste et les tenants du marxisme révolutionnaire. En France, l’union de la gauche semble avoir gardé son pouvoir de séduction. Les déboires autour de la candidature de Fabien Roussel à l’élection présidentielle de 2022, vécue par la France Insoumise comme une division inutile responsable de la défaite de la gauche, témoignent bien de la persistance de cette idée.

Car c’est un vieux débat que relancent Bernard Cazeneuve et son mouvement La Convention. Ce samedi 10 juin 2023 à Créteil, l’ancien Premier ministre a, dans un discours d’un peu plus d’une heure, appelé de ses vœux le retour d’une gauche responsable et réformiste, dont on comprend qu’elle se construit en totale opposition à la gauche représentée par la NUPES.

À quoi pourrait ressembler ce « renouveau » de la gauche ? Serait-ce un simple renouvellement de la marque PS qui tairait son nom, ou La Convention présente-t-elle une véritable innovation de la social-démocratie à la française ? Va-t-on assister à la naissance de deux gauches bien identifiées, une à tendance réformiste, dont l’objectif serait de gouverner de manière responsable, l’autre à tendance révolutionnaire, dont les discours subversifs appelleraient à changer radicalement de modèle ?

 

Une gauche réformiste… et nostalgique ?

François Hollande, Jack Lang, Pierre Bérégovoy, François Mitterrand, Charles De Gaulle, Hippolyte Carnot, Jules Ferry, Édouard Herriot… Autant de figures invoquées par Bernard Cazeneuve qui dessinent les contours de l’héritage social-démocrate et républicain dans lequel veut s’inscrire en continuité le nouveau mouvement.

Le socialisme de La Convention est d’abord universaliste, républicain et laïque. Il voit dans les Lumières et les débuts de la IIIe République une forme d’idéal-type indépassable et, s’il se veut résolument progressiste, l’observateur averti ne manquera pas de remarquer que, comme tout réformisme, c’est un socialisme légèrement conservateur, parfois même nostalgique qui est défendu ici.

La Convention, c’est aussi une gauche qui assume aimer son pays. C’est une certaine idée de la France et de l’esprit français. Il y a d’abord une langue, nous dit l’ancien Premier ministre, reflet d’une culture riche, brillante : celle des grands écrivains des XVIIIe et XIXe siècles, qui font du patrimoine culturel français un modèle indépassable et reconnu. Évidemment, la politique n’est jamais loin : c’est à travers ces grands textes que le génie français, caractérisé par les valeurs universalistes et républicaines, prend corps.

Pour monsieur Cazeneuve, la France doit être un phare de la liberté et des droits de l’Homme contre toutes les oppressions. Partout où elles imposent leurs chaînes aux corps et aux âmes, la France doit se tenir au côté des opprimés. Cette mission civilisatrice de l’universalisme français dans le monde n’échappera pas aux critiques de néocolonialisme et d’impérialisme soft qui ne dirait pas son nom, notamment de la part de la gauche identitaire et décoloniale.

 

Une gauche anti-nupes

Si le poncif qui consiste à afficher sa volonté de lutter contre l’extrême droite est posé comme préalable, c’est bien contre la gauche de la NUPES que se construit le mouvement.

En effet, ce qui fonde La Convention et revient comme un véritable fil directeur de son programme, c’est la volonté d’en finir avec les fractures inutiles afin de réaliser enfin l’union de la nation : on sent ici toute l’influence du républicanisme français qui pose l’indivisibilité comme principe fondamental. Cette volonté d’union est une attaque ouverte à l’égard de la radicalité de la NUPES, accusée par son irresponsabilité d’être une véritable machine à division.

Paradoxalement, cette volonté d’union s’accompagne d’une intention assumée de couper tout lien avec la « nouvelle gauche » incarnée par LFI et Europe Ecologie les Verts, que l’on appellera, pour plus de pédagogie, la gauche révolutionnaire. Sur chaque point abordé par Bernard Cazeneuve dans son discours, la divergence avec les positions de la gauche révolutionnaire saute aux yeux. Ainsi, si La Convention souhaite recréer du lien au sein de la République, ils souhaitent surtout rompre définitivement avec toute une partie de la gauche.

La ligne de fracture apparaît clairement : face à l’extrême gauche utopique, révolutionnaire et violente, La Convention incarne une gauche de gouvernement responsable et réformatrice. Le temps d’une journée, Créteil s’est métamorphosée en Bad Godesberg.

Mais à quoi ressemble ce fameux « programme de Créteil » présenté par Bernard Cazeneuve et son mouvement ?

Si elle s’accorde sur l’ensemble des valeurs à défendre – rejet de la haine, de l’injustice, des inégalités, du racisme, du réchauffement climatique etc. – elle se distingue clairement sur les solutions à apporter. À travers, par exemple, sa vision de l’école laïque, sa défense des valeurs républicaines s’oppose fondamentalement à la critique de la laïcité et de l’idéal républicain de la NUPES. Sa défense de la valeur-travail comme élément central de toute possibilité de mobilité sociale tranche franchement avec le constructivisme prôné par LFI et EELV, qui récusent totalement le concept de méritocratie, considérée comme un instrument au service des dominants.

Sur l’écologie, même topo.

Si elle s’accorde sur la finitude du monde et la nécessité de protéger ce qu’elle nomme les « biens communs », La Convention condamne violemment l’écologie radicale, culpabilisante et décroissante. Elle appelle plutôt à l’émergence d’une écologie innovante et technophile, qui ferait confiance aux entreprises afin de créer les conditions de la croissance verte, seule capable de s’accorder avec le besoin de justice sociale. Cette position réaliste et responsable se matérialise dans son soutien sans ambiguïté à l’énergie nucléaire, qu’elle juge indispensable en vue d’une réindustrialisation décarbonée.

Toutes ces critiques s’articulent autour d’une idée relativement simple : la gauche NUPES, par son communautarisme, son ambiguïté dans le combat contre le totalitarisme islamiste, son néo-féminisme qui s’apparente à une « guerre des genres », sa culture de la confrontation et sa surenchère de radicalité, participe à la fracture de l’idée de fraternité. Non seulement elle saperait ce qui construit l’identité même de la gauche française républicaine, mais en plus ceci profiterait, en dernière instance, au Rassemblement national.

On notera que ces critiques ne proviennent pas seulement de la gauche de gouvernement social-démocrate. On pense par exemple à Fabien Roussel, candidat communiste en 2022 représentant d’une « vieille » gauche davantage concentrée sur la lutte des classes que la lutte des races. Plus récemment, au sein même de la NUPES, le député François Ruffin affirmait privilégier le « social » au « sociétal » en déclarant qu’une loi sur le changement de genre ne devait pas être au cœur du projet de la gauche.

 

Une gauche moins antilibérale ?

Sous certains angles, cette gauche social-démocrate peut apparaître comme relativement libérale comparée à la gauche révolutionnaire.

Dans son discours, Bernard Cazeneuve a par exemple fait une référence timide mais notable à la liberté d’entreprendre, a appelé à la décentralisation, à une plus grande participation des corps intermédiaires, et a mis en garde sur les dangers de la dette, au sujet de laquelle il serait « irresponsable de continuer à fermer les yeux ».

Bien sûr, ces maigres concessions dont on doit, selon une conception réaliste de la politique, se réjouir, ne peuvent cacher le caractère naturellement illibéral du reste de la doctrine socialiste du mouvement. On pense par exemple à la condamnation d’une conception « individualiste » de la liberté, au soutien à l’ISF et à la taxation des plus riches, à l’éloge de l’État providence et de la « planification » à la française…

Mais en démocratie, ces désaccords sont légitimes et bienvenus : on ne peut attendre de la gauche socialiste qu’elle défende l’importance du marché et la baisse drastique des dépenses publiques. Cette gauche réformiste défend toutefois une idée qui nous semble fondamentale : le débat démocratique ne peut avoir lieu que dans le cadre donné par l’État de droit, et toute personne ou mouvement politique qui se déroberaient à cette règle font preuve d’une volonté totalitaire d’imposer une vision politique par la contrainte et la violence.

Les agissements de l’association Les soulèvements de la Terre, qui s’est récemment illustrée par la violation de propriété privée en s’en prenant au site expérimental de Point-Saint-Martin, ont été soutenus par la gauche révolutionnaire, qui, en cohérence avec sa dimension révolutionnaire, voit dans ces modes d’actions non respectueux de l’État de droit un moyen légitime de défendre ses idées. La gauche réformiste ne saurait accepter ces modes d’actions.

 

Une gauche réformiste pourra-t-elle s’imposer dans la durée ?

Du reste, on ne peut pas faire l’économie du sentiment de « déjà-vu » que nous évoque le programme tracé par Bernard Cazeneuve. En assumant un tel héritage et une posture de responsabilité, La Convention prend le risque d’apparaître « mollement » de gauche en ne proposant rien d’autre qu’un remake du quinquennat Hollande, et de perdre ainsi toute l’attraction que les discours subversifs exercent sur des électeurs en quête de changement. Aucune idée véritablement nouvelle ne ressort du lot. Si l’originalité n’est pas, par principe, un gage de qualité en politique (vaut mieux une bonne vieille idée, qu’une mauvaise idée originale…), le risque de passer pour une gauche « dépassée » et à contre-courant du « sens de l’histoire » est, à tort ou à raison, bien réel.

Le manque d’originalité et de nouveauté de cette social-démocratie, que les Français semblent avoir rejeté en 2017, peut-elle encore séduire l’électorat macroniste de gauche tout en ramenant dans son giron les éléments les plus centristes de la NUPES ? Rien n’est moins certain.

De manière plus générale, pour la bonne santé de notre vie démocratique, il serait souhaitable de sortir de la tripartition de la vie politique dans laquelle nous sommes enfermés depuis six années maintenant. Si Bernard Cazeneuve réussit son pari risqué, alors nous entrerons dans une situation où le peuple de gauche aura enfin le choix entre un projet ouvertement révolutionnaire et un projet ouvertement réformateur.

Mais notre système institutionnel, notre absence de culture partisane et notre addiction aux « leaders » pourraient tuer dans l’œuf cette tentative de Bad Godesberg à la française.

Ce serait malheureux, tant l’antagonisme entre réformisme et révolution est un élément central et constitutif de la politique contemporaine depuis la Révolution française, à droite comme à gauche, chez les libéraux comme chez les socialistes ou chez les conservateurs. Le retour de cette opposition à l’intérieur même des grandes familles politiques serait démocratiquement salutaire.

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Créer un compte Tous les commentaires (14)
  • Je ne savais pas que cette gauche était « moins anti libérale » ! C’est quand même elle qui, au nom du marxisme, à nationalisé les entreprises en 1981.
    Et ne parlons pas des réformes faites par cette gauche : retraite à 60 ans, 35 heures, RMI, Immigration open bar, santé pour le monde entier, logement social pour tous et priorité aux squatteurs, déficit décomplexé, décentralisation pour les petits copains en doublant le nombre de fonctionnaires, baccalauréat pour tous et formatage des esprits au communisme, etc.
    Oui, vivement que cette gauche revienne pour nous faire de belles réformes.

  • «Mais notre système institutionnel, notre absence de culture partisane et notre addiction aux « leaders » pourraient tuer dans l’oeuf cette tentative de Bad Godesberg à la française.»

    Et bien supprimons l’élection du Président par le suffrage direct universel. Rajoutons une vértitable décentralisation ascendante. Notre addiction aux «leaders» aura du plomb dans l’aile.

    Ah Macron vient de m’appeler, me disant que ce n’était pas possible. C’est lui qui décide de tout ! C’est mon job!
    Ah zut j’y croyais pourtant..

    • Quand la température affichée ne convient pas on casse le thermomètre….
      Vu dans quel état de déliquescence était la 4 ème république avec son parlementarisme à l agonie GdG a mis en place la 5 ème république avec l election présidentielle avec succès depuis 60 ans
      Ce sont plutôt les coleriques franchouillards qui bloquent toutes évolutions nécessaires du pays
      Un mauvais diagnostic entraîne de mauvaises solutions…….

      • Qui parle de revenir à la 4ème ? Pour votre info l’élection du Président par tous les citoyens est une version bis (1962) de la 5ème originelle (1958) ardemment voulue par le seul général.
        Seriez-vous du côté des colériques franchouillards qui bloquent le pays ? Involontairement bien sûr..

      • Ceux qui bloquent toutes les évolutions nécessaires du pays sont aux commandes de l’Education Nationale, et je ne parle pas du ministre (pourtant l’actuel est particulièrement gratiné). C’est facile, et évident, d’avoir des colériques franchouillards quand on explique sur les bancs des lycées et facs que notre pays est turbo-ultra-libéral et qu’il faut faire payer les riches.
        Il est plus que temps de mettre au programme de vrais cours d’économie, d’embaucher des profs non politisés (du moins empêcher que leur évolution professionnelle soit décidée par les syndicats). Le résultat sera évident, motivation des élèves pour leur avenir dont ils auront conscience qu’il ne dépend quasiment que d’eux, et donc fin des blocages et des revendications hors-sol.
        Comme vous dites, un mauvais diagnostic entraîne de mauvaises solutions…

        • On peut faire une croix sur les profs sensés, même en ratissant au-delà de nos frontières, on n’en trouvera jamais assez. Il faut surtout offrir aux élèves des opportunités de se frotter à la vraie vie, non pas dans des cadres organisés, mais dans des trucs qu’ils choisiraient d’eux-mêmes et où ils récolteraient les fruits de leurs efforts ou rien du tout pour ceux qui préfèrent la paresse.

      • CdG a mis en place la 5e république dont le succès ne lui a pas survécu. La 4e avait mené la reconstruction, et ne s’en était pas si mal tirée. Elle s’est plantée sur l’Algérie et la dérive des finances publiques, mais pas vraiment pire que Macron aujourd’hui ou que Hollande hier.

  • Merci pour cette excellente analyse.
    Les Français ont-ils vraiment rejeté la gauche social-démocrate en 2017 ou exprimé un ras-le-bol de la nullité d’un Hollande et vu Macron comme un ovni, un « leader » pouvant coaguler le meilleur des idées de gauche et de droite ? Si c’est le cas, Cazeneuve a ses chances…
    Je n’en suis pas convaincue et vu le niveau de plus en plus faible des débats politiques à la télé mainstream, couplé à notre inculture économique et mathématique, accoquiné à l’interdiction de dire quoi-que-ce-soit de différent de la doxa, je ne crois plus trop en la possibilité que la France se redresse.

    • Cazeneuve, c’est Hollande en plus fin, aux 2 sens du terme.
      Mais ça reste du Hollande.
      Il fera rêver avant, en citant Jaurès, et pleurer après, en citant Séguéla.

  • Le retour dont il est question ici, n’est qu’une tentative de retour de quelques camarades socialistes habitués qui cherchent à se replacer en vue des prochaines élections présidentielles. Pour ce qui est de la gauche social-démocrate à proprement parler, on peut difficilement parler d’un retour puisque cette gauche est restée, pour sa plus grande part, au pouvoir avec Macron.

  • Bernard Cazeneuve… oui mais… Rémi Fraisse !

    • Avatar
      Hyacinthe Herve
      20 juin 2023 at 13 h 09 min

      Que la gauche soit anti libérale çà m’en touche une sans bouger l’autre.
      Que la droite française et ses électeurs le soient aussi c’est beaucoup plus inquiétant…

  •  » …en politique, est-ce dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes ? ». Il ne suffit pas seulement d’échanger un pot neuf contre un vieux pot, il faut aussi changer de cuisinier et de recette.

  • Avatar
    Hyacinthe Herve
    20 juin 2023 at 13 h 09 min

    Que la gauche soit anti libérale çà m’en touche une sans bouger l’autre.
    Que la droite française et ses électeurs le soient aussi c’est beaucoup plus inquiétant…

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