Les limites du système social français mises en lumière par la crise des retraites

La crise des retraites en France met en lumière les limites du système social, où l’État s’est progressivement imposé comme le principal acteur, politisant les syndicats et générant une perte de la notion des coûts chez les citoyens.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 6

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Les limites du système social français mises en lumière par la crise des retraites

Publié le 22 avril 2023
- A +

La retraite ! Il fallait évidemment faire quelque chose, ne jetons pas la pierre au gouvernement ! Et c’est forcément compliqué de demander aux gens de travailler plus.

Il n’empêche que ça aurait dû se passer mieux. Réfléchissons aux raisons de cette tourmente qui a surpris tous nos voisins européens et comment améliorer notre fonctionnement dans le domaine social.

 

Les retraites dans le domaine social

Nous sommes en effet dans le domaine social dont l’origine remonte au XVIe siècle avec Vincent de Paul qui s’est engagé dans la fondation de congrégations et d’œuvres sociales religieuses (enfants abandonnés, accidents de la vie, hospitalisations…). Les grandes entreprises ont, elles aussi, investi le domaine, initiative très injustement qualifiée de paternalisme. Puis, progressivement, l’État s’est saisi du sujet.

On a connu plus tard la naissance des syndicats patronaux et salariés. Progressivement, la sphère sociale a été gérée, dans le cas européen, par une sorte de ménage à trois.

C’est évidemment en France que l’État est devenu le plus actif et c’est ce qui explique les 57 % (avant le covid) de sa sphère publique et sociale (25 % pour le régalien et 32 % pour le social : record du monde).

Les préoccupations financières ont renforcé l’emprise de l’État : « je comble les trous des caisses mais j’ai un droit de regard sur ce qui se passe dans vos réunions ».

Petit à petit, nos concitoyens ont pris l’habitude de déléguer à l’État de plus en plus de responsabilités : « avec les impôts que je paye, je ne vais pas en plus m’occuper de tout cela ! ».

On a vu très vite venir les exhortations de l’État et du politique : « là, il y a un problème, je laisse syndicats et patronat discuter, et s’ils ne parviennent pas à se mettre d’accord, je légifère. »

Puis est arrivé le funeste concept de l’État providence, qui a donné la fausse impression que l’argent tombait du ciel. Le « quoi qu’il en coûte » du covid n’a pas arrangé les choses, les Français ayant complètement perdu la notion des coûts du système social.

Plus grave encore, cette implication de l’État a politisé les syndicats, ravis de ce nouveau champ d’action qui leur était offert : interagir directement avec les politiques, et ce, d’autant plus qu’ils avaient de moins en moins de support dans l’entreprise.

Il y a 50 ans, 30 % des employés étaient syndiqués, aujourd’hui, ils sont moins de 10 %. L’État a évidemment compensé la baisse des cotisations par des aides financières pas toujours très lisibles : un audit général communiqué au grand public ne ferait pas de mal à la démocratie.

 

La grève

Une incidence dans toute cette affaire, le droit de grève a évolué : on ne devrait pas utiliser le même mot pour qualifier une grève des employés voulant améliorer leur situation financière dans le cadre de l’entreprise et l’action d’un syndicat utilisant son monopole sur une profession dans un domaine indispensable à la vie des Français (essence ou transport), pour peser sur une discussion parlementaire en empoisonnant la vie des concitoyens.

Ce mélange des genres met en danger notre démocratie, sans parler du levier donné aux Black Blocs lors des manifestations.

 

Les problématiques réelles de la retraite

Les limites du système sont aussi apparues dans la présentation des problématiques de la retraite puisque les considérations financières ont été pratiquement absentes. Impossible de savoir si le système est en équilibre, si les déficits étaient de l’ordre de 10 milliards ou plutôt entre 30 et 40 milliards comme annoncé par le Commissaire au plan.

Le rapport du COR n’a pas été expliqué au public et a été considéré obscur par ceux qui l’ont lu, le qualifiant même de sorte d’auberge espagnole où on trouvait toujours des chiffres permettant  de défendre n’importe quelle thèse.

Une seule chose est sûre : partout ailleurs dans le monde, on part au plus tôt à 65 ans et l’allongement a été admis sans difficulté.

Le cas emblématique est celui de l’Allemagne : pourquoi cela s’est-il si bien passé ? Schroeder était aux commandes ; les dépenses publiques allemandes étaient montées à 57 % du PIB, essentiellement dans le cadre du rattachement de l’Allemagne de l’Est. Schroeder a jugé ces niveaux de dépenses trop élevés et a annoncé qu’il fallait les baisser de 12/13 points. Il a commencé à expliquer que l’argent manquait, il a convaincu et a maintenu sa politique, en prévenant que l’État ne comblerait plus le déficit des caisses de retraites.

Il a ensuite a invité patrons et syndicats à régler eux-mêmes le problème et tout s’est passé très rapidement ; l’âge de départ à la retraite a été repoussé à 65 ans et les citoyens, confrontés à la réalité des chiffres ont adopté une posture raisonnable.

 

L’État doit se recentrer

Une leçon simple à tirer de cet épisode : l’État doit se recentrer.

Il y a trois domaines dans l’économie : l’économie privée, l’État (régalien par nature) et la sphère sociale.

Dans la très difficile période qui s’ouvre sur le plan géopolitique, l’État doit placer toute son énergie dans ses fonctions régaliennes : armée, affaires étrangères, police, justice, immigration. La tâche est immense et le travail sera dur, très dur.

Le domaine social doit être impérativement redonné aux syndicats et au patronat, qui ont montré récemment qu’ils pouvaient tout à fait se mettre d’accord sur un sujet pointu : le partage de la valeur.

Revenons à des formules très simples, celles que nous enseignaient nos parents et grands-parents : « qui trop embrasse, mal étreint » et « à chacun son champ, les vaches sont bien gardées ».

Les responsabilités seront mieux définies, chacun saura ce qu’il a à faire. Cette redistribution des rôles simplifiera les choses, elle permettra aux entreprises de redonner toute leur mesure (la plus grande d’entre elles, le CAC40, montre de quel bois notre sphère privée est faite), et au Parlement de retrouver son rôle. Et la confiance reviendra.

Voir les commentaires (16)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (16)
  • Les syndicats financés par des subventions publiques ne représentent que 8% des salariés dont la plupart se retrouvent parmi les agents de l’état et les régimes spéciaux.
    Une réforme profonde doit être entreprise.
    La CGT cheminots ne représente pas la France que je sache. Elle a peur de perdre ses départs à la retraite à partir de 52 ans et le montant insolant des retraites perçues qui font parties des plus élevées après les électriciens Gaza, cf rapport de la DREES.

  • Les mêmes CGTistes cheminots n’ont -ils pas été démontrés leur culot au siège social de LVMH puis à Euronex en prétendant que ces aux entreprises de payer les retraites. Déjà pourquoi LVMH devrait être concerné par les retraites des cheminots, mélange de genre inacceptable.
    Lorsque qu’une entreprise se voit augmenter ses charges elle les répercute sur ses prix de revient sinon elle risque la faillite. Quand elle fait des bénéfices c’est signe de sa bonne gestion et c’est son objectif principal. Le contraire c’est la faillite.Par ailleurs les bénéfices ne sont pas récurrents et ne pourraient en aucun cas financer une dépense progressive des retraites du fait du papy-boom parfaitement anticipable depuis 50 ans.
    Les bénéfices servent à investir et rémunérer le capital sans cela c’est l’univers communiste et sa faillite lamentable

    • Oui, partout ailleurs dans le monde il a été expliqué aux gens que le travail supplémentaire qu’ils pouvaient effectuer servirait à payer leur retraite. En France, on leur a expliqué que l’Etat se chargerait de tout, et prendrait à ceux qui travaillent le plus pour offrir à ceux qui travaillent le moins.
      Mais si, même non récurrents à l’échelle de l’année, les bénéfices le sont sur le long-terme. En ayant investi chaque trimestre depuis 1985 le montant de 40h de smic en actions LVMH, soit moins de 9% du salaire d’un smicard, on disposerait aujourd’hui de 107000h de smic, 1.18 millions d’€ en actions LVMH (même plus, vu la récente hausse non prise en compte dans le calcul). De quoi s’offrir une belle retraite sans se préoccuper de savoir si on a 62 ou 65 ans.
      Surtout, les bénéfices de LVMH auraient permis de percevoir 25 fois plus que ce qui serait distribué si on les empêchait de fructifier pour les offrir immédiatement en paiement de la répartition. Aller demander violemment ou non l’argent de LVMH, c’est la même chose qu’aller demander à l’agriculteur ses semences pour en faire du pain au lieu de les semer.

      • En France on ne peut pas dire que si vous travaillez plus, ce sera pour avoir une meilleure retraite. Car ce n’est pas vrai, cela sert à payer les retraités actuels.
        Mécaniquement, on veut cotiser le moins possible (car c’est une simple taxe), et garder les avantages sociaux des retraites.
        Un mec au RSA, ne cotisant pas mais mettant de l’argent de côté pour sa retraite, aura à la fois le minimum vieillesse et sa retraite perso. C’est ça le rêve français.
        A 600€ /mois et un loyer à 50€/mois, cela devient accessible.

  • Notre système social grève gravement la compétitivité de nos productions. Il en résulte des délocalisations qui en faisant fuir les emplois, assèchent les cotisations et augmentent les prestations de soutien. La réforme actuelle, qui fait tant de remous, se trompe de socle. Modifier l’âge de départ en retraite ou allonger la durée de cotisations ne résoudra rien dans la durée. Si l’assiette de cotisations se tarit, il n’y aura pas de prestation. La consommation ne se délocalise pas. Prenons la consommation comme assiette de cotisations, et « en même temps » nous résoudrons notre problème social, améliorerons notre compétitivité, réintégrerons de l’emploi et rééquilibrerons notre balance commerciale.

    • Donc, vous transférez les cotisations sociales en augmentant la TVA.
      Pourquoi pas pas tous les impôts, ce qui rendrait toute la production plus compétitive, chaque pays ayant sa TVA ?

      -1
      • La TVA a le mérite de toucher tout le monde, au pro rata de sa consommation. Elle a aussi le mérite de s’appliquer autant aux productions locales qu’aux importations. L’impôt sur le revenu ne touche, en France, que 45% des contribuables. Quant à la CSG, elle fait augmenter le prix des produits locaux, pas celui des produits importés. Bon, après, c’est une question de point de vue. On peut juger que la TVA est injuste, car le plus pauvre des pauvres paie le même taux que M. Arnault ou M. Bolloré, mais ce n’est pas mon point de vue!

  • Étonnant de voir que même quelqu’un comme Xavier Fontanet ne semble pas sortir de la logique syndicat salarié et syndicat patronaux qui sont tous les deux représentatifs de rien du tout.
    Le domaine des prestations sociales est un domaine économique comme n’importe lequel, comme la fabrication de lunettes par exemple et donc doit être rendu à la concurrence et privatisé intégralement il faut en finir avec ce paritarisme malsain qui ne donne que des résultats lamentables. L’exemple donné par Michelo sur le rendement d’une retraite en capitalisation avec les actions LVMH est particulièrement édifiant alors certes c’est une des meilleures entreprises françaises mais néanmoins le raisonnement reste valable et malheureusement la retraite par répartition entraîne la ruine de la France alors que la retraite par capitalisation lui donnerait une prospérité sans équivalent aussi bien pour les retraités que pour l’ensemble du secteur économique français

    • Oui, bien sûr LVMH est un exemple extrême, mais le CAC40, dividendes réinvestis, représente ce qu’on pourrait attendre d’une capitalisation : la multiplication par 6 de 1981 à 2022, en comptant en heures de smic donc hors inflation, soit au final 25470 heures de smic (282k€) pour les moins de 9% de salaire investis du smicard. Il importe peu que certains fleurons du CAC aient fait faillite, ses champions permettent d’atteindre ce facteur 6. A comparer avec 1.7 pour un investissement dans le PIB français, ce qui est plus ou moins ce à quoi revient la répartition…

      • Merci pour ces précisions très intéressantes. elles confirment l’écart de 1 à 3 entre les deux systèmes.

  • « Le domaine social doit être impérativement redonné aux syndicats et au patronat » : non, il doit être rendu aux citoyens directement (versement du salaire complet et cotisation volontaire pour la santé et la retraite). Moins il y a d’intermédiaires, mieux cela fonctionne.

  • Oui il fallait faire quelque chose. Mais c’est d’une arrogance insupportable que de décider à la place des gens qu’il leur faudra travailler plus longtemps, prétendument pour leur retraite mais surtout pour satisfaire le caprice des gouvernants qui en même temps n’ont aucune difficulté à trouver des milliards pour faire des chèques, des indemnités, des subventions, des dons aux pays en guerre, j’en passe et des meilleures. Le contrat tacite des droits à répartition n’est pas viable à terme, d’accord. Toutefois, il est relativement facile de lui trouver un avenant gagnant/gagnant en introduisant la capitalisation, comme ça s’est fait à peu près dans tous les pays. Une vraie réforme présenterait le marché aux futurs retraités, d’un côté un système financièrement intenable dans lequel l’alternative est entre prendre sa retraite bien plus tard ou n’avoir qu’une pension de misère, de l’autre un complément individualiste et capitaliste croissant qui pourrait même leur offrir une vieillesse dorée par rapport à ce à quoi ils s’attendaient. Chacun reste libre de choisir.
    Le rôle de l’Etat est de proposer des solutions, sans en cacher avantages et inconvénients, et de laisser chacun libre de ses choix. Surtout pas de clamer : « Vous voulez un système collectif et vous m’avez élu, donc j’ai choisi pour vous de poursuivre dans la répartition dont le monde se détourne et dans elle seule. Comme les déficits prévisibles de la répartition aux conditions actuelles sont abyssaux, j’ai décidé pour vous que nous les réduirions en reportant à 65 ans l’âge minimum pour ceux qui n’ont pas de moyens de blocage ou su conquérir mon amitié. Je subventionne à grands frais des syndicats non-représentatifs afin d’éviter que vous ne preniez position pour des solutions individuelles qui réduiraient mon influence dans chaque geste de votre quotidien, et je maintiens avec habileté un subtil équilibre entre la volonté de punir les riches ainsi qu’ils le demandent et la nécessité de ne pas appauvrir trop vite et trop visiblement la France comme il s’ensuivrait inévitablement. »

    • Très bon résumé !
      N’oublions pas aussi « Je sacrifie les promesses de pension à tel âge que vous avaient fait mes prédécesseurs qui vous avais décidé dans votre carrière pour la bonne cause : améliorer le score des agences de notation concernant la solvabilité de l’Etat, afin de pouvoir emprunter maintenant quelques milliards de plus pour acheter des voix et faire des cadeaux aux copains (comme la dette devient un peu trop visible). De toute façon dans 4 ans je suis plus là, et ensuite le déluge quand je serai dans les îles, bisous ! »

  • Voilà. Le bon sens près de chez vous. Remarquable article, rien à ajouter. Mais demander simplement du bon sens dans les raisonnements, n’est-ce pas demander la lune ? Nous sommes en France, il faut simplement attendre que nous soyons tous le nez dans la m… pour que le bon sens revienne et s’impose. Et 70 ans plus tard, ça recommencera pareil. Pauvre de nous !

  • Faisons la fine bouche.
    Le régalien : police, armée, justice, diplomatie. Je veux bien. Il manque la monnaie, d’ailleurs…
    Mais immigration ?!
    Moralité.
    L’auteur ne devrait pas dire : l’Etat devrait s’occuper du régalien, mais de ce dont j’ai envie qu’il s’occupe.

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Alors que la France est aujourd’hui confrontée à des tensions sociales et ethniques d'une ampleur inédite dans son histoire contemporaine, la principale réponse politique consiste à réclamer un renforcement du rôle de l'État. Cet automatisme étatiste est pourtant ce qui a conduit le pays dans son impasse actuelle.

 

Depuis la fin des années 1960, l’État a construit un arsenal sans précédent de politiques sociales censées corriger les inégalités et prévenir les conflits supposément inhérents à la société française. Las, non ... Poursuivre la lecture

Il l’a fait. Javier Milei, ce candidat excentrique qui, il y a quelques mois encore, apparaissait comme un outsider en qui personne ne croyait, tant son profil et son discours étaient loufoques, a remporté le second tour de l’élection présidentielle avec 55,6 % des voix, et devient donc le nouveau président d’Argentine.

Pourtant, les résultats du premier tour et les sondages qui ont suivi laissaient croire à une probable victoire de son adversaire, Sergio Massa. La stratégie de modération pour lisser son image, ainsi que le soutien de ... Poursuivre la lecture

Que dit Alain Juppé dans ses Mémoires à propos du renvoi d’Alain Madelin du gouvernement en 1995 ?

Les lecteurs qui ont vécu la présidentielle de 1995 s’en souviendront. Le 26 août de la même année, le ministre libéral du gouvernement Juppé est limogé. Pourquoi ?

Dans Une histoire française paru en septembre 2023 (Paris, Tallandier, 2023), l’ancien maire de Bordeaux écrit :

« Si je me suis séparé d’Alain Madelin au mois d’août 1995 en acceptant sa démission du gouvernement, ce n’est pas à la suite d’un désaccord de fond s... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles