« De la France », de Laetitia Strauch-Bonart (2)

Un essai très intéressant, propice à une réflexion lucide et ambitieuse sur le devenir de notre France contemporaine.

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« De la France », de Laetitia Strauch-Bonart (2)

Publié le 7 août 2022
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Cet essai de Laetitia Strauch-Bonart, rédactrice en chef au journal Le Point, vient utilement alimenter le débat sur ce qui caractérise l’évolution historique vers la France d’aujourd’hui, tout en posant un diagnostic approfondi et des réflexions d’avenir quant aux voies à emprunter pour espérer s’engager vers de meilleures orientations.

Suite et fin de notre premier volet…

 

Inégalités à la française et incivisme

Loin de l’obsession égalitariste des Français, invalidée par les chiffres et les faits, les vraies inégalités résident dans notre fonctionnement très particulier à tous les niveaux : complexité des statuts professionnels – et conséquences ensuite en matière d’emprunt, de financement, de logement -, niches fiscales, privilèges divers, sur-importance et hiérarchie des diplômes, recherche de l’élitisme et du conformisme, a priori et rigidités de toutes sortes, tout concoure à ce que les rouages de notre pays aboutissent à une situation d’opacité telle que l’inégalité des chances et des conditions soit flagrante.

Je m’étonne toujours quand j’entends les Français dénoncer les terribles inégalités des pays francophones. Demandez à ceux qui se sont installés à Londres, quel que soit leur niveau de qualification, dans quel pays ils trouvent la vie la plus injuste. La réponse pourrait vous surprendre.

On touche ici aux vraies inégalités à la française, structurelles et déstructurantes. Elles signifient qu’on ne met pas en valeur les individus pour leurs qualités intrinsèques, et qu’on ne les aide pas en proportion des épreuves qu’ils traversent. Nous vivons aujourd’hui une sorte de répétition tragique de l’Ancien Régime finissant, où les privilèges indus accordés à certains voisinent avec les injustices inacceptables faites à tant d’autres. La seule solution qui vaille est donc le remplacement d’avantages statutaires injustifiés par un traitement équitable fondé sur le mérite.

Le problème spécifique à la France est ainsi d’allier corporatisme et étatisme, combinant et amplifiant les défauts des deux. Sans qu’aucun bord politique ait intérêt à changer cette situation, les seuls qui critiquent depuis longtemps cet état de fait et la tyrannie des statuts étant les libéraux, qui malheureusement sont trop peu influents pour se faire entendre, comme le remarque non sans raison l’auteur.

Bien loin de la concorde que nos Anciens jugeaient primordiale, la société française est aussi celle de la défiance et des oppositions à tous les niveaux (public/privé, syndicats/employeurs, hôpitaux/médecine de ville, cyclistes/piétons, etc.) et du manque de courtoisie ou de respect des politesses élémentaires dans la vie quotidienne, qui assurent pourtant cette cohésion essentielle que l’on peut attendre d’une vie en société.

Des formes d’incivisme qui se caractérisent également par des comportements répandus de fraude au fisc, perception indue d’indemnités, ou acceptations de pots-de-vin. Quand il n’est pas tout simplement question de ressentiment, d’agressivité ou de haines à l’égard de catégories d’individus (les Juifs, les riches, les représentants de l’ordre), se traduisant à l’occasion de manifestations par des violences, dégradations, destructions, de moins en moins contrôlées et de plus en plus banalisées Le tout au nom de cette fameuse justice sociale dont les Français sont si friands, certains intellectuels à leur tête n’hésitant pas à donner dans une surenchère parfois délirante à ce sujet.

Un tableau fort peu flamboyant symbolisant bien où a fini par mener ce fantasme égalitariste ayant débouché sur une acrimonie générale mue par les inégalités de statut amèrement ressenties par des Français enfermés dans des oppositions de castes.

La scène se joue et se rejoue sans cesse sous le regard impassible du Léviathan, qui réussit ce tour de force d’être à la fois la source et le recours de notre mauvaise entente.

 

Le biais étatiste

Ce biais existe de manière évidente chez la grande majorité de ceux qui font profession de produire des idées, dans l’univers des fonctions d’État en particulier. Après un bref historique de l’origine de nos grandes institutions françaises liées au domaine du savoir, Laetitia Strauch-Bonart apporte de nombreux exemples de ce qui caractérise notre système et définit le milieu universitaire, de la recherche, et au-delà de tous ceux qui sont considérés ou se considèrent comme des experts de la réflexion et du domaine de l’État.

Les écoles de la fonction publique par leur conception, les modes de financement et d’intégration, les systèmes de subvention, les accréditations, le milieu sclérosé, tout concoure à ce que – consciemment ou non – les esprits soient conditionnés à encenser l’État et critiquer le marché. Incompréhension, amertume, envie, rejet, nombreux sont les symptômes qui résultent de ce mode de fonctionnement.

Une citation évocatrice, par l’auteur, du philosophe Robert Nozick, symbolise bien cet état de fait et ce refus des réalités :

Une société capitaliste ne récompense les individus que dans la mesure où ils servent les désirs des autres tels qu’exprimés par le marché […] et non selon leur valeur personnelle […]. Elle laisse donc l’intellectuel, qui se juge très talentueux, particulièrement amer.

Très souvent, les situations sont figées. Pour certains, par exemple – et c’est là aussi bien connu – les intellectuels qui créent de la pensée sont forcément de gauche, les autres étant inscrits simplement dans la réaction (Simone de Beauvoir). Une autre idée répandue est que l’État défend des causes plus nobles, liées au « bien commun », là où des institutions privées seront soupçonnées de finalités financières.

Par exemple, si Monsanto soutient des études sur les OGM, on peinera à prendre ses travaux au sérieux. Mais quand les recherches d’un sociologue payé par l’État concluent à la nécessité de l’intervention de ce même État, n’est-ce pas exactement le même cas de figure ?

Parti pris idéologique dans les sciences, biais étatiste, penseurs « fréquentables » (généralement progressistes) et penseurs qui ne le sont pas, repli national dans le domaine de la recherche, sur-représentation des chercheurs médiatiques (les meilleurs étant moins connus, voire partis à l’étranger), font dire à Laetitia Strauch-Bonart que « Dans la recherche plus qu’ailleurs, la notoriété n’est pas gage de compétence ni la compétence gage de notoriété ». Les simplismes sont ainsi légion, tandis que les essais et ouvrages étrangers sont très peu diffusés en France, comme si la France intellectuelle – très standardisée et critique à l’égard des inégalités ou du capitalisme (et assez méprisante à l’égard des métiers manuels) – était le centre du monde.

Quant aux médias subventionnés et aux partis politiques dominés par « l’extrême-centre » ou victimes de leurs reniements, tous sont dominés par cette mainmise permanente de l’État, permettant peu à d’autres idées d’émerger.

 

Ce qui reste bien

Dans une dernière partie, fidèle à l’esprit positif et volontaire qui la guide, Laetitia Strauch-Bonart nous donne quelques raisons de ne pas voir tout de manière sombre. Du savoir-vivre à la française, de la douceur de vivre, les paysages, la gastronomie, il reste encore un patrimoine important dont elle nous dresse un panorama plutôt flatteur, qu’elle juge à l’aune de ses expériences de vie à l’étranger. Par exemple en ce qui concerne le caractère incomparable de notre système de santé au regard de celui en vigueur par exemple au Royaume-Uni, qu’elle a pu observer de près. Sans bien entendu nier les importantes dérives et tares évidentes de notre système, dont elle analyse avec justesse les causes.

Tyrannie de la majorité (Tocqueville) désormais dépassée par les nouvelles tyrannies des minorités, sont une autre source d’inquiétudes, qu’elle analyse également au cours d’un assez long chapitre bien documenté. Elle y montre cependant que, malgré tout, la France résiste mieux, de par sa culture et son insoumission aux affres du décolonialisme ou des communautarisme, genrisme, wokisme (dont l’un des symboles les plus pitoyables est woke Disney, si je reprends l’expression lue chez Nicolas Lecaussin, dont j’ignore s’il en est l’auteur) et autres dérives qui minent actuellement complètement les États-Unis ou l’Angleterre.

Dans une conclusion en forme de rêve, elle se prend à imaginer ce que donnerait une France affranchie de la plupart de ses tares actuelles et qui se serait réformée de fond en comble dans une perspective libérale. Face au risque récurrent d’implosion suscité par toutes les dérives décrites de manière assez approfondie dans le diagnostic tiré dans l’ensemble de l’essai.

Un scénario qui fait en effet doucement rêver, tout à fait plausible dans les mesures somme toutes accessibles et les effets imaginés, mais dont on peut cependant avoir peine à penser qu’il puisse malheureusement prendre cette orientation. Malgré tout, il s’agit de prendre conscience de toutes les conséquences négatives entraînées par le conflit permanent qui règne en France du fait de l’impuissance de notre organisation collective actuelle, en raison de l’omniprésence et omnipotence inefficace, perverse et toxique de l’État, en large partie constituée de multiples « droits sans devoirs ».

Autant irrités par le pouvoir que subjugués par lui, nous exigeons de l’État qu’il nous sauve tout en nous laissant tranquilles. Pourtant, c’est bien lui qui a rendu le pays exsangue en ôtant à la société civile toute indépendance. En attendant, il resserre davantage l’étau légal et fiscal qui nous étreint, que personne ne songe à desserrer – la crise sanitaire lui ayant d’ailleurs fourni une occasion inespérée, telle une « divine surprise », de poursuivre cette manœuvre. À la clé, un centralisme abêtissant, une liberté économique chétive, une compétition pour les statuts et les rentes digne de l’Ancien Régime et un monde intellectuel cultivant l’entre-soi.

C’est à cette « société de créance » décrite avec pertinence tout au long de l’ouvrage qu’elle appelle à mettre un terme, non sans établir des axes de proposition très concrets et authentiquement libéraux, fondés sur le diagnostic, qu’elle esquisse avec raison (institutions, représentation, allègement du poids de l’État et vraie décentralisation, retour en force d’une société civile plus forte et plus indépendante). Tout en conservant et pour mieux apprécier le meilleur de ce qui fait la douceur de vivre à la française.

Souhaitons que Laetitia Strauch-Bonart puisse être (au moins un peu) entendue…

 

— Laetitia Strauch-Bonart, De la France – Ce pays que l’on croyait connaître, Perrin / Presses de la Cité, février 2022, 400 pages.

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