Par Alexander Hammond.
Voici le trente-quatrième épisode d’une série d’articles intitulée « Les Héros du progrès ». Cette rubrique est une courte présentation des héros qui ont apporté une contribution extraordinaire au bien-être de l’humanité.
Notre héros de la semaine est Alan Turing, un mathématicien, informaticien et cryptologue anglais célèbre pour ses contributions au domaine de l’informatique et pour avoir développé une machine qui a cassé le code Enigma des nazis pendant la Seconde Guerre mondiale.
La machine Enigma était un appareil de chiffrement que les nazis ont beaucoup utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale pour envoyer des messages de façon sécurisée.
Les travaux d’Alan Turing, qui ont mené à la création d’une machine capable de casser les messages codés des Allemands, ont conféré aux forces alliées un avantage énorme. Des historiens ont estimé que grâce à cela, la Seconde Guerre mondiale a été raccourcie d’au moins deux ou trois ans. En abrégeant la guerre, les travaux de Turing ont probablement sauvé des millions de vies.
Alan Turing est né le 23 juin 1912 à Londres. Très jeune, il fait preuve d’une grande intelligence. Après son inscription à la Sherborne School à l’âge de 13 ans, il se prend de passion pour les mathématiques et la science. En 1931, il est admis à l’université de Cambridge et trois ans plus tard obtient son diplôme de mathématiques avec mention très bien.
L’université de Cambridge est tellement impressionnée par son travail qu’il est élu membre du King’s College. Il a tout juste 22 ans.
En 1936, il publie un article précurseur intitulé « On Computable Numbers, with an Application to the Entscheidungsproblem » (problème de décision). Il y présente l’idée d’une machine universelle, baptisée par la suite machine de Turing, capable d’effectuer des calculs complexes.
Beaucoup considèrent son article comme fondamental dans le domaine de l’informatique et de l’intelligence artificielle car il préfigurait comment un calculateur numérique moderne pouvait fonctionner.
La même année, il part pour le New Jersey pour préparer un doctorat en mathématiques à l’université de Princeton. Il l’obtient en à peine deux ans et retourne à Cambridge en 1938.
Quelques mois plus tard, on lui demande de rejoindre la Government Code and Cypher School (GCCS) – une organisation britannique dédiée au déchiffrage de code.
Quand la guerre éclate en septembre 1939, il s’installe au siège de la GCCS à Bletchley Park, dans le Buckinghamshire.
Quelques semaines avant que la Grande-Bretagne ne déclare la guerre à l’Allemagne, l’État polonais lui fournit les détails sur ce qui avait été accompli pour décrypter la machine Enigma des Allemands.
Alors que les services secrets polonais avaient rencontré quelque succès pour casser le code Enigma au début de la guerre, les Nazis ont amélioré la sécurité de la machine et se sont mis à en modifier le cryptage quotidiennement. Turing et son équipe n’avaient donc que 24 heures pour casser ce code et traduire le contenu des messages avant que le cryptage ne soit à nouveau changé.
Turing a joué un rôle essentiel dans la création d’une machine baptisée la Bombe (NdT : en français dans le texte). Elle a permis de réduire fortement les efforts nécessaires pour décrypter le code Enigma ; et vers la mi-1940, les communications de la Luftwaffe étaient lues à Bletchley Park.
Une fois déchiffrés les échanges de l’armée de l’air allemande, il s’attaque à ceux de la marine, beaucoup plus complexes. Cette tâche était de la plus haute importance car les sous-marins allemands coulaient beaucoup de cargos transportant de l’approvisionnement essentiel d’Amérique du Nord à la Grande-Bretagne.
Tant de navires de ravitaillement avaient été détruits que les analystes de Churchill avaient calculé que la Grande-Bretagne n’allait pas tarder à mourir de faim.
Fort heureusement, en 1941, Turing déchiffre lui-même l’autre forme de code Enigma utilisée par les sous-marins allemands. Ceux-ci révélant leur position via leurs communications les uns avec les autres, les cargos alliés de la « meute de loups » pouvaient être détournés des sous-marins nazis.
Après la guerre, Churchill a admis : « La seule chose qui m’ait jamais vraiment effrayé pendant la guerre était le danger posé par les sous-marins. »
Beaucoup d’historiens s’accordent à dire que si Turing n’avait pas décrypté le code Enigma de la marine allemande, l’invasion alliée en Europe, c’est-à -dire le débarquement du jour J, aurait probablement été différée au moins d’une année. Tout retard dans l’invasion de l’Europe continentale aurait permis aux Allemands de renforcer leurs défenses côtières et aurait rallongé le temps mis par les Alliés pour atteindre Berlin.
Après la guerre, en 1945, Turing a été décoré de l’OBE (Order of the British Empire) pour ses services rendus au pays puis il est parti pour Londres afin de travailler pour le National Physical Laboratory.
Pendant son séjour, il a dirigé les travaux de conception de l’Automatic Computing Engine, le tout premier ordinateur à programme enregistré. Bien que la version complète de la machine de Turing n’ait jamais été construite, l’adaptation qui en a été faite a influencé de façon significative la conception du DUECE de English Electric DUECE et du Bendix G-15 américain — les tout premiers ordinateurs personnels.
En 1952, il est poursuivi pour homosexualité, après que la police découvre qu’il avait eu une relation sexuelle avec un homme. Pour éviter la prison, il accepte de se soumettre à une castration chimique par une série d’injections d’œstrogènes de synthèse.
Du fait de sa condamnation, son habilitation de sécurité est révoquée et il lui est interdit de poursuivre ses travaux de cryptographie à la GCCS, devenue Government Communications Headquarters (GCHQ) en 1946.
Désespéré d’être écarté du domaine qu’il a révolutionné, il se suicide en 1954, à 41 ans.
L’immense héritage de sa vie n’est totalement apparu qu’à partir des années 1970 quand les travaux secrets de Bletchley Park ont été déclassifiés.
Son impact sur l’informatique est célébré tous les ans par le « Turing Award », la plus haute distinction dans ce domaine. En 1999, Time magazine l’a désigné comme l’une des « 100 plus importantes personnes du XXe siècle ».
En décembre 2013, la reine Elizabeth II l’a formellement réhabilité. En janvier 2017, l’État britannique a promulgué une Loi Turing qui, de façon posthume, réhabilitait des milliers d’homosexuels et bisexuels condamnés par la loi.
On considère souvent Turing comme le père de l’informatique pour son œuvre de conceptualisation du premier ordinateur personnel. Si cela ne suffisait pas, on estime que sa contribution au décryptage du code Enigma des Allemands à Bletchley Park a permis d’abréger la Seconde Guerre mondiale de plusieurs années, ce qui a sauvé des millions de vies.
Pour ces raisons, Alan Turing mérite amplement d’être notre trente-quatrième héros du progrès.
Article publié initialement le 13 septembre 2020.
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Traduction par Joel Sagnes pour Contrepoints de Heroes of Progress, Pt. 34: Alan Turing
Les Héros du progrès, c’est aussi :
- Hitchings et Elion, une nouvelle conception des médicaments
- Benjamin Rubin, l’aiguille bifurquée contre la variole
- Willem Kolff, organes artificiels et dialyse
- John Harington invente la chasse d’eau
- Alessandro Volta invente la pile électrique
- Lucy Wills contre l’anémie macrocytaire
- Kate Sheppard, première suffragette
- Wilhelm Röntgen, les rayons X
- Tu Youyou, l’artémisinine contre le palu
- Banting et Best traitent le diabète
- Willis Haviland Carrier invente la climatisation
- Virginia Apgar sauve la vie des nouveau-nés
- Alfred Sommer, la vitamine A
- David Nalin, la réhydratation par voie orale
- Louis Pasteur, père de la microbiologie
- Paul Hermann Müller, les propriétés insecticides du DDT
- Malcom McLean, les conteneurs de transport
- Abel Wolman et Linn Enslow, la purification de l’eau
- Pearl Kendrick & Grace Eldering vaccinent contre la coqueluche
- Gutenberg, la diffusion du savoir
- James Watt, la vapeur, moteur du progrès
- Joseph Lister, stérilisation et asepsie
- Maurice Hilleman, des vaccins vitaux
- Françoise Barré-Sinoussi, la découverte du VIH
- Richard Cobden, héros du libre-échange
- William Wilberforce : une vie contre l’esclavage
- Ronald Ross : la transmission du paludisme
- Alexander Fleming et la pénicilline
- Jonas Salk et le vaccin contre la polio
- Landsteiner et Lewisohn, l’art de la transfusion
- Edward Jenner, pionnier du vaccin contre la variole
- Fritz Haber et Carl Bosch, le rendement des cultures
- Norman Borlaug, père de la révolution verte
Merci encore pour ces rubriques. L’Histoire par le côté positif. Projet à agrandir et prolonger.
Il y a de quoi éditer un livre!
Stève Jobs et Stève Wozniak créateurs de Apple ont pris comme logo une pomme croquée.
Cette iconographie fait référence à la pomme (au cyanure) que Alan Turing a croqué pour mettre fin à ses jours.
Stève Jobs c’est toujours défendu de cette référence (évoquant sa période végano-écolo-végétarien), mais, toujours selon certaines sources de proches de Jobs et Wozniak, c’est bien la pomme de Turing qui a inspiré Apple mais il était difficile à l’époque d’en faire référence…
Peu importe en fait, Alan Turing était un être exceptionnel d’une capacité de raisonnement scientifique hors du commun.
Malgré le fait de sa réhabilitation quelques années plus tard, il est terriblement regrettable et dommageable pour la science que son orientation sexuel et pris le pas sur le génie de cet homme.
Merci A. Turing !
+1
C’est encore plus stupide (car évitable) que la mort d’Évariste Galois mort à 20 ans dans un duel laissant à sa postérité le soin de déchiffrer ses notes géniales, ou celle d’Archimède, trop distrait pour répondre à un envahisseur Romain.
Pour Archimède c’est une légende comme beaucoup de celles inventées par les écrivains de l’antiquité! Le plus probable est que le soldat pris dans la fureur de la tuerie n’a pas écouté ce qu’il disait, ou l’ait tué ignorant qui il était.
Jobs est d’ailleurs mort car il avait refusé de se soigner par la médecine moderne, quand il s’y est enfin résolu il était trop tard, le cancer était trop étendu.
Retarder le débarquement, peut être bien…
Ou bien trouver les Russes à Paris un an plus tard ?
petit detail :”la meute de loups” etait une tactique des sous marins allemands (un sous marin repérait un convoi, appellait les autres sous marins et ils attaquent ensemble comme une meute). dans le texte on a l impression que c est les convois qui sont une meute …
Oui, la phrase est plutôt mal tournée !
Sur le fond, l’importance stratégique des sous-marins (et du déchiffrage du code) est cependant tout à fait réelle.
Je viens de voir que les Japonais en avaient fait les frais dans la guerre navale du Pacifique car ils avaient négligé la lutte anti-sousmarine, s’étaient fait couler la moitié de leur flotte de pétroliers, et avaient une mobilité très réduite pour leur flotte de guerre par pénurie de carburant.