Le coronavirus ou comment les crises bouleversent nos modèles mentaux

Avec le covid-19, nos modèles mentaux sont ébranlés. C’était déjà le cas lorsque certains ont avancé que seuls les pouvoirs autoritaires pouvaient gérer une telle épidémie, oubliant que Taïwan et la Corée du Sud, deux démocraties, l’ont parfaitement géré.

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Le coronavirus ou comment les crises bouleversent nos modèles mentaux

Publié le 18 mars 2020
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Par Philippe Silberzahn.

Le coronavirus constitue une surprise majeure qui bouleverse complètement la vie mondiale, rendant obsolètes en quelques semaines toutes les prévisions et les plans basés sur ces dernières. Le propre d’une surprise est de mettre en lumière un élément de nos modèles mentaux (croyances profondes guidant notre action) et de l’invalider.

Notre modèle nous indiquait que le monde allait dans la direction A, mais il se révèle aller dans la direction B et nous sommes surpris. Cette surprise peut avoir des conséquences plus ou moins graves. La plupart du temps la réaction consistera à l’ignorer.

Lorsqu’existe une différence entre la réalité et nos croyances, nous essayons à tout prix de maintenir ces dernières en inventant toutes sortes de raisons pour minimiser la signification de la surprise ; il en va de notre intégrité car nos modèles mentaux sont constitutifs de notre identité profonde : comment nous voyons le monde, c’est aussi comment nous nous voyons, et comment nous sommes dans le monde.

Si la surprise montre un décalage très important entre une croyance et la réalité, elle constitue ce que le spécialiste de la théorie des organisations Karl Weick nomme un épisode cosmologique, c’est-à-dire un choc particulièrement grave pouvant remettre en question notre identité-même : le décalage est trop important pour pouvoir être nié et l’événement est tellement inattendu et puissant qu’il ne peut être interprété par nos modèles mentaux existants, entraînant leur effondrement et celui de notre identité par la même occasion.

Ce phénomène a été mis en lumière par Weick dans son étude de l’incendie de Mann Gulch aux États-Unis en 1949, un feu de forêt au départ banal, mais qui a mal tourné et s’est traduit par la mort de 13 pompiers. Weick montre comment l’équipe des pompiers, pourtant composée de professionnels aguerris, s’est désagrégée face à un événement dont ils n’ont pris que trop lentement la mesure. L’équipe n’existant plus, l’identité collective du groupe s’est désagrégée, ce qui a annihilé la volonté et la capacité d’agir de ses membres, chaque homme se retrouvant seul face aux flammes qui auraient pourtant pu être gérées sans difficulté en équipe.

L’épidémie du coronavirus a déjà ébranlé plusieurs de nos modèles mentaux : le fait, par exemple, que notre approvisionnement en denrées essentielles soit acquis pour toujours, que les épidémies et autres calamités sont réservées aux pays pauvres ou que nous n’ayons pas d’aide à recevoir de « pays en développement » comme la Chine.

Si le coronavirus devait se traduire par un grand nombre de morts et une grande perturbation économique, ne doutons pas que d’autres modèles mentaux, beaucoup plus profonds et beaucoup plus fondamentaux, seraient ébranlés.

Nous avons déjà pu le constater lorsque certains ont avancé l’idée que seuls les pouvoirs autoritaires pouvaient gérer efficacement une telle épidémie, oubliant que Taïwan et la Corée du Sud, deux démocraties, l’ont parfaitement géré.

Renforcement des modèles mentaux face à la crise

Paradoxalement, un épisode cosmologique n’amène pas toujours à remettre en question ses croyances. Il peut dans certains cas, ou pour certaines personnes, servir au contraire à les renforcer, malgré ou peut-être à cause de sa magnitude.

Ainsi a-t-on vu fleurir, ces derniers jours, des déclarations de diverses personnalités qui, toutes, commencent par « L’épisode du coronavirus montre bien que »

Ainsi l’ex-député écologiste Noël Mamère déclarait-il récemment :

Le coronavirus nous fait vivre une sorte de répétition générale avant l’effondrement majeur d’un modèle qui a trouvé ses limites.

Effondrement, mondialisation, limites du libéralisme, vengeance de mère Nature, interdépendance due au commerce, secteur public, rôle de l’État, et même les retraites, toute cause verra rapidement le coronavirus coopté pour sa défense dans une grande opération de renforcement de modèles mentaux.

Le président de la République lui-même n’a pas résisté à la tentation lorsque, vers la fin de son discours pourtant construit et posé du 12 mars dernier, il a affirmé qu’il faudrait tirer les leçons du virus, ajoutant :

Il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond à d’autres, est une folie.

On peut parfaitement être opposé aux lois du marché voire au marché lui-même, mais en quoi l’émergence du coronavirus montre que l’alimentation doit être placée en dehors de ces dites lois du marché, ou qui sont ces « autres » auxquels nous confions ces biens précieux, c’est un mystère.

Derrière ce qui est pour le moins un raccourci se cache sûrement un modèle mental de l’ordre de « il y a des choses trop importantes pour qu’elles soient confiées au marché » qu’il serait intéressant de creuser ; ou peut-être, plus profondément, qu’il faut absolument un coupable à tout cela.

Qu’il faille tirer les leçons du virus, de son émergence et de sa gestion, c’est une évidence. Mais si l’histoire a montré une chose, c’est qu’il faut être prudent en matière de leçon à tirer d’un événement cosmologique, la mauvaise leçon l’étant très facilement.

Le lancement du satellite Sputnik par les Soviétiques le 4 octobre 1957 est un bon exemple d’épisode cosmologique ayant constitué un choc considérable pour les Américains. Ils en avaient tiré la conclusion que l’URSS était en train de les dépasser alors que le programme spatial soviétique était un programme de prestige comme les affectionnent les régimes autoritaires, qui consommait des ressources précieuses et masquait l’échec du système dans son ensemble.

D’une façon générale, on tire de mauvaises leçons quand on est sous le choc.

Contrôler la narration avec les modèles mentaux

Le renforcement des modèles mentaux au travers d’un épisode cosmologique est souvent inconscient. Après tout, le propre d’un modèle mental est de n’être pas vu comme un modèle, mais comme une série de vérités universelles et éternelles. Il est cependant parfois utilisé de façon délibérée précisément pour faire avancer ses propres modèles mentaux.

Un exemple historique fameux est celui de la défaite allemande de 1918.

Alors qu’elle est due à un effondrement de l’armée au tout début de l’automne, l’extrême droite allemande a réussi à la présenter comme le résultat d’une trahison, un coup de poignard dans le dos par le gouvernement social démocrate, qui avait dû récupérer la gestion des affaires une fois le désastre consommé.

Cette façon de voir les choses, ce modèle mental, fut largement acceptée dans l’Allemagne d’après-guerre et servit beaucoup à Hitler dans son ascension au pouvoir.

L’occasion politique unique fournie aujourd’hui par le coronavirus n’a pas échappé à certains.

Ainsi François Ruffin, député de la France Insoumise, écrivait-il dans un tweet :

Cette crise est aussi une fenêtre pour nous : réquisition, plafonnement des prix, etc. Dans de tels moments, les esprits sont comme une pâte un peu molle, où l’on peut faire passer des idées neuves. Associations, syndicats, partis, soyons à ce rendez-vous !

Outre la gestion de l’événement lui-même, la clé pour un épisode cosmologique va donc consister à gagner la bataille de la narration, des modèles mentaux, pour faire accepter le sens que l’on va donner à l’événement. Quelles que soient les conséquences du coronavirus, il est évident que cette bataille a déjà commencé, que ses conséquences seront très lourdes, et qu’elles seront très différentes selon qui la gagnera.

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  • le coronavirus bouleverse aussi les lois ; Lussigny sur base , en 2018 , un boulanger paie une amende de 3000 euros pour avoir travaillé 7 jours sur 7 ….mars 2020 , les boulangeries pourront être ouvertes 7 jours sur 7 à décrété not bon gouvernement….

  • Côté « écologie » et récupération politique, il est possible, dans le même temps, d’affirmer une chose et son contraire. https://reporterre.net/Pour-le-climat-il-y-aura-un-avant-et-un-apres-coronavirus

    • Si je comprend bien, si l’activité ne redémarre pas, tout le monde s’en portera mieux ?

      Le problème est que les gens repartiront de l’avant, et que personne ne viendra contredire les suppositions de ces loustics :

       » si les gens restent pour toujours confinés, et ne reprennent aucune activité (toujours polluante, forcément), la terre sera un paradis  »

      ‘La petite maison dans la prairie’ a aussi bouleversé les modèles mentaux, en deux clans:
      -Ceux qui pensent que la verte prairie provient à tout
      -et ceux qui comprennent qu’on a rien sans bosser.
      Choisis ton camp, camarade…

  • Votre allusion à l’Allemagne n’est pas tout à fait juste. Ecoutez par exemple le discours de Benjamin Freedman.

    • Le problème est les intérêts convergents, à l’époque l’Allemagne et le tsar s’étaient fait beaucoup d’ennemis à tort ou à raison. Les conflits ont mal tourné on connaît la suite..

  • Il y a une ribambelle de modèles mentaux en circualtion et en concurrence tout le temps. Certains sont plus dominants que les autres. L’épisode coronavirus peut redistribuer les cartes, du moins c’est une occasion comme pour chaque crise. La ou les surprises viendront de là où on ne les attends pas. Pour l’instant la répartition des modèles mentaux me semble inchangée, c’est encore trop tôt et transitoire. Tout dépendra de la gravité et de la longueur de la crise sanitaire.

  • ….. Une fois passée l’épidémie, la vie recommencera comme avant à n’en point douter, une culture, un modèle mental ne se change pas en 3 mois les veaux resteront des veaux les politicards des politocards.

  • C’est très intéressant cette analyse par le prisme du modèle mental.

    Cela pose la question: quel est le modèle mental dominant en France qui l’empêche de se dépétrer de son marasme ?
    La croyance selon laquelle il faut avoir une vue d’ensemble pour prendre en compte toutes les données d’un problème et que par conséquent la solution ne peut venir que d’en haut pour ensuite irriguer l’organisme vers le bas. C’est le modèle qui justifie le jacobinisme.

    Alors que très souvent (pour ne pas dire tout le temps) la solution vient du trait de génie d’un individu sur le terrain, expert dans son domaine et qui n’est pas plus con que le comité theodule de techocrates à roulette du bureau 218.

    Les solutions viennent des initiatives des experts du terrain qui sont systématiquement décridibilisées au départ par les tenants du cercle restreint du haut du pavé, qui vit tout contribution venant du bas comme une concurrence et une menace pour sa position privilégiée.

    Ainsi on a vu une hypothèse testée avec succès en Chine d’un dérivé de choloroquine par un chercheur chinois, transmise à un de ses pairs, un autre expert Français, le Pr Raoult de Marseille, qui a immédiatement été traité de fou et porteur de fake news avant que finalement les censeurs ne soient également remis à leur place et qu’une voix de la raison ait permis au Pr Raoult de commencer des tests. Et qui sont significativement bénéfiques, mais faut pas aller trop vite vers la solution…

    S’il est une croyance qui doit être réévaluée avec cette crise c’est bien celle qui privilégie le top-down.
    Par bonheur, l’existance d’internet nous permet de retourner la table de la prééminence du top-down sur les pieds de nos politiques et technocrates hyper-pensants en valorisant mieux le bottom-up et le peer-to-peer qui lui donne toute sa force.
    Le peer-to-peer combiné au bottom-up sont en train d’ubériser le top-down. Et avec tous les gens formés et éduqués du terrain, on n’est jamais à l’abris d’un succès.

    Nous sommes tous des confinés, mais pas des cons finis!

    • Ce qui est surtout surprenant, c’est la perte de la notion des priorités en période de crise. On nous rebat les oreilles de chloroquine ou autres, quand la priorité est de réduire le nombre de détresses respiratoires et de sensibiliser les malades à faibles symptômes à ne pas contaminer leur entourage. Un besoin de se poser en sauveur de l’humanité ?
      Sept cent millions de chinois
      Et moi, et moi, et moi
      Avec ma vie, mon petit chez-moi
      Mon mal de tête, mon point au foie
      J’y pense et puis j’oublie
      C’est la vie, c’est la vie

    • Je remarque surtout que le gouvernement passe son temps à expliquer que telle ou telle méthode n’est pas prouvée. Sans proposer de réelles actions.
      Le gouvernement nous expliques que les masques sont inutiles, à la limite qu’on me dise que l’efficacité n’est que de 20% je comprendrais ou que ce n’est pas suffisant, mais là je suis dubitatif, les coréens ont utilisé cette méthode avec succès et 20% c’est mieux que rien et ça ralentit la propagation.
      Pareil pour la chloraquine ou la vitamine E, même si ça ne soigne pas à 100%…

  • La « bataille de la narration » … oui et c’est très inquiétant car non seulement Macron n’est pas manchot à ce jeu là, sinon il ne serait pas là, mais en plus il contrôle tous les rouages. Avez vous remarqué le contre-feu allumé ce matin pour contrer les déclarations fracassantes d’Agnès Buzyn, sur le thème « cette pauvre femme a perdu l’esprit à cause du choc psychologique de sa branlée aux municipales » ?

  • Peu de chose restent éternelles et je salue la claque que va mettre cette pandémie à la caste qui voulait régenter le monde avec des discours aussi mensongers qu’éphémères et versatiles. Par exemple je me demande où sont passés ceux qui il y a moins d’une semaine ne soutenaient que les mesures de soutien à l’économie, la seule qu’il fallait à tout pris sauver ? Je pense qu’aujourd’hui ils pensent un peu tard à sauver leur peau plutôt que leur fric.

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