Transparence des politiques publiques : de l’URSS à l’Iran

On pourrait demander une Glasnost en France, une transparence sur les compétences réelles de ceux qui prennent les décisions et sur celles de ceux qui sont chargés de les appliquer.

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Chernobyl by Clay Gilliland(CC BY-SA 2.0)

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Transparence des politiques publiques : de l’URSS à l’Iran

Publié le 19 janvier 2020
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Par Loïk Le Floch-Prigent.

Malgré tous les ressorts de montée des totalitarismes dans le monde, nous sommes tentés par l’espoir de voir les libertés gagner du terrain. Ma génération a connu le stalinisme et l’a vu disparaitre graduellement avec comme déclencheur la catastrophe de Tchernobyl survenue quelques semaines après le discours du président Gorbatchev sur la nécessité de la Glasnost.

Glasnost, la transparence qui a fait tomber l’URSS

Le symbole de la transformation du monde ancien a été la chute du Mur de Berlin le 9 novembre 1989 , mais je pense que l’explosion qui a eu lieu à Tchernobyl, en Ukraine, le 26 avril 1986, sur le réacteur nucléaire numéro 4, a précipité la chute d’un système politique qui a représenté le cauchemar de la seconde moitié du XXe siècle pour nos démocraties occidentales, et beaucoup d’autres.

Mon propos ici n’est pas de revenir sur la polémique nucléaire comme celle du nombre de morts dûs à cette catastrophe mais sur le divorce entre scientifiques, ingénieurs, industriels et les instances politiques des régimes totalitaires.

Les cadres politiques à la fois obéissants et incompétents prennent le pouvoir sur des instruments de plus en plus sophistiqués, et lors des incidents ils prennent des mesures inappropriées qui tournent au désastre. Le commissaire politique devenu le chef se montre fébrile, il commet deux erreurs : celle de ne pas avertir sa hiérarchie des difficultés et celle de se croire compétent.

Parmi les travers structurels connus de ce réacteur, tous les techniciens savaient qu’il ne fallait pas laisser la puissance fournie tomber rapidement sous peine de surchauffe, les fautes de gestion du 28 avril 1986 n’ont pas démenti les préconisations techniques, et les ordres successifs du directeur de la centrale ont conduit à l’explosion du réacteur, les trois autres n’ont été sauvés que grâce à la désobéissance des ingénieurs.

Deux ans après, en 1988, Valeri Legassov, grand scientifique russe, se suicide après avoir envoyé une lettre à la Pravda dénonçant les défauts des centrales mal conçues, les manques de contrôles effectifs et les économies exigées par le pouvoir politique. Le monde scientifique et technique dénonce l’ignorance comme la racine du mal et le président Gorbatchev sera informé seulement quelques jours après le drame, puisque officiellement le 29 avril, soit trois jours après, il ne s’agit que d’un sinistre de « gravité moyenne » !

Ce sont les techniciens occidentaux et la presse occidentale qui vont précipiter les informations vers le Kremlin et donc une réaction déterminée autour du concept de Glasnost comme je l’ai déjà écrit.

Incompétence et lâcheté des responsables politiques de ces régimes totalitaires suivies de mensonges successifs, ont conduit à la fois les responsables techniques et les peuples concernés à s’interroger et donc à se rebeller contre les pratiques les mettant en danger. Des techniques modernes de plus en plus complexes confiées à des idéologues peuvent effectivement devenir un danger local, régional et même planétaire.

Le commissaire politique-directeur de la centrale ne voulait pas déclencher de catastrophe, il obéissait aux ordres et n’avait pas la maitrise technique de l’outil qui lui avait été confié.

Transparence à Téhéran ?

Le mercredi 8 janvier, à 45 kms de Téhéran, un avion de la compagnie Ukraine International s’écrase avec 176 personnes à son bord.

La communication officielle fait état d’un problème au décollage puisque l’avion n’était encore qu’à 2400 mètres d’altitude avant d’entamer sa chute vers le sol.

Le même jour des missiles iraniens ont frappé quelques bases américaines en Irak et cette coïncidence interroge rapidement les commentateurs.

À bord de l’avion se trouvent 82 Iraniens, mais aussi 63 Canadiens et des Britanniques, Allemands, Ukrainiens… C’est le Premier ministre Canadien Trudeau qui lève le voile le vendredi 10 janvier : c’est un missile sol-air qui a frappé l’avion !

Les Iraniens commencent par démentir, veulent cacher les boites noires… et les dirigeants finissent par avouer l’erreur trois jours après encore, tous les experts constatant qu’il y a bien eu un impact conduisant au drame.

Le peuple iranien se soulève et demande des comptes, les manifestations sont jugulées comme celles d’il y a quelques semaines concernant la hausse du prix des carburants.

Le président iranien Hassan Rohani est obligé de tenir un discours demandant la  transparence : « Le peuple est notre maitre, nous sommes ses serviteurs ». Il demande aux responsables politiques et militaires intermédiaires de présenter au peuple leurs excuses pour les retards de transmission de la réalité, le tir de missile inadmissible. « Sincérité, intégrité, confiance », « il faut changer de gouvernance » martèle-t-il, on croit entendre du Gorbatchev !

Car nous retrouvons bien les deux aspects de la catastrophe de 1986 : incompétence des acteurs de terrain et des ordres donnés par des « militants » stressés par l’idée d’attaques aériennes américaines alors qu’ils ont à leur disposition toutes les techniques de contrôle pour comprendre ce point sur leur radar, et retard de trois jours pour exposer aux instances supérieures les raisons de l’accident ; ils vont sans doute payer cette erreur de leur vie alors qu’ils menaient une carrière tranquille de fonctionnaires obéissants.

Les scientifiques, techniciens et industriels iraniens qui ont travaillé par patriotisme sur le programme nucléaire de leur pays et sur celui des missiles sol-sol à portée de 2000 kms pour pouvoir intervenir contre Israël ne peuvent pas ne pas s’interroger sur la pertinence des dirigeants actuels à utiliser correctement les outils qu’ils mettent au point, même si le missile sol-air utilisé le 8 janvier était de fabrication russe.

Le peuple ne peut pas se sentir protégé par des militants incompétents capables de se tromper en 2020 sur la cible qu’ils éliminent. Nous sommes donc bien en face d’une Glasnost iranienne dont il nous faudra tenir compte.

La défiance à l’égard de la gouvernance actuelle laissera des traces et le président Rohani a insisté sur le test des élections législatives du 21 février indiquant aux « gardiens de la Révolution » que « le peuple veut de la diversité ». Il nous reste à espérer dans les mois ou années à venir la chute du « mur de Téhéran ».

Ma réflexion sur ces deux événements ne peut s’arrêter là.

La Chine est une dictature également, on le voit bien avec la façon dont le dossier de Hong Kong est traité mais après l’obscurantisme et les régressions de la période Mao Tse Toung elle a réussi à sortir de son isolement scientifique, technique et industriel sans catastrophes.

Le patriotisme chinois est sans doute plus exacerbé que beaucoup d’autres, mais la dictature a permis la libération d’une partie de l’économie, plaçant à la tête des industries de vrais industriels tandis que dans les sphères du parti dirigeant il restait un grand nombre d’ingénieurs et de scientifiques disposant d’une grande liberté de travail et d’expression.

Les grands dossiers techniques ne sont pas aux mains de commissaires politiques comme en Union Soviétique ou en Iran, les dangers d’un dérapage paraissent moindres et la Chine s’envole dans tous les domaines.

Divorce entre scientifiques et politiques publiques

Et nous, régimes démocratiques, sommes-nous à l’abri des idéologies conduisant à ignorer les réalités scientifiques, techniques et industrielles ? Pour l’instant ce sont surtout ceux qui parlent qui sont incompétents. Mais les idéologues vont vouloir imposer des « militants » comme acteurs, comme ailleurs.

Voilà pourquoi, par exemple, est inquiétant le fait que les idéologues font fermer la centrale nucléaire de Fessenheim, arrêtent le programme de nouveau réacteur nucléaire Astrid, condamnent les véhicules à propulsion thermique et soutiennent des projets de fermes éoliennes dont la défense de l’environnement n’est pas la qualité première ni l’utilité réelle pour satisfaire les besoins du pays en énergie la caractéristique essentielle. Je vous laisse poursuivre la liste.

Le divorce entre scientifiques, techniciens, industriels et politiques publiques est en train de se développer. On pourrait donc aussi demander une Glasnost en France, une transparence sur les compétences réelles de ceux qui prennent les décisions et sur celles de ceux qui sont chargés de les appliquer. Un espoir pour nous ?

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  • Par essence , ceux qui décident le font dans le cas d’intérêts bien particuliers.. que ce soit dans la sphère politique ou dans la sphère industrielle..
    Dans la sphère industrielle le resultat conditionne les decisions car si la decision est mauvaise l’entreprise est lourdement sanctionnée dans ses profits(sortie des actionnaires , fuite des clients).. La compétence des décideurs est donc fondamentale car elle implique la marche de l’entreprise , donc des profits…

    Dans la sphère étatique , les décideurs sont choisis dans un vivier politique ,par récompense de certaines actions liées a des appareils politiques ou copinage de castes..
    La compétence là n’est plus nécessaire car la responsabilité est très diluée voire inexistante, les dirigeants de telles entreprises ne sont là que pour régner..
    si les decisions sont mauvaises le contribuable en fera les frais ! point.
    On peut constater çà dans toutes les entreprises ayant une participation de l’etat

  • Bel article, dont la phrase clé est bien « On pourrait donc aussi demander une Glasnost en France, une transparence sur les compétences réelles de ceux qui prennent les décisions et sur celles de ceux qui sont chargés de les appliquer ».
    Vous avez totalement raison, mais…
    Mais QUI pourrait le faire ?

    Ni une presse aux ordres, ni une intelligentsia corrompue par ses propres idéologies, ni un « Monsieur tout le monde » bien incapable de discerner les “compétences réelles”.
    Un groupe d’experts “neutres” ? Cela pourrait exister ?
    Probablement, car nous avons en France des gens compétents. Mais mis en place et piloté par qui ? Par des “parlementaires” inféodés à des idéologies politiques ?
    Jusqu’à ce jour, toute tentative locale (ce qui serait déjà cela) de mettre à plat les compétences réelles des décideurs et des acteurs institutionnels s’est révélée sans suite. Ou nulle car taraudée par les connivences, les protections, les inexactitudes, les idéologies actives. Et à l’échelon local, comme au national, on accumule des gaspillages, les erreurs, l’irresponsabilité politique.

    Seul le secteur privé, libre de préjugés car soumis à la nécessité de réaliser des bénéfices, peut réaliser un réel check-up d’une situation.
    C’est en cela que le libéralisme est, à mon sens, la meilleure voie.
    Mais…, pas en France, pays miné par les idéologies gauchistes, voire staliniennes.

    Soyons lucides : quel est la portée réelle, l’impact réel, d’un site de libre expression comme celui-ci ?

    Je ne crois pas, pour ma part, à la potentialité (et ne parlons pas de la possibilité !) d’une Glasnost en France.
    Comme le dit souvent H…, ce pays est foutu.

    • « Mais QUI pourrait le faire ? »

      ben le marché! via les actionnaires et les clients!

      ce n’est pas les individus qui font la difference , c’est le modèle économique
      dans un cas le client sanctionne, dans l’autre le contribuable renfloue..
      il est normal que les résultats soient différents

      • « dans un cas le client sanctionne, dans l’autre le contribuable renfloue..
        il est normal que les résultats soient différents »
        Vous avez parfaitement raison, mais vous ne prenez pas en compte l’idéologie alors que c’est elle, et elle seule, qui nous gouverne.
        Je n’ose penser aux hurlements que déclencherait la simple annonce de la privatisation de l’industrie nucléaire…

    • Le secteur privé serait-il à l’abri des connivences, les protections, inexactitudes, idéologies actives?
      Tout système est faillible quand il est au mains de gens malhonnêtes. Et l’idéologie est une sorte de malhonnêteté puisqu’elle triche avec le réel…
      Il nous faut retrouver deux choses: la raison et la vertu.

      • non car on connait l’alpha et l’omega des regles du marché .. c’est le client qui arbitre

        • Je pense qu’une société est autre chose qu’une juxtaposition d’individus qui prennent des décisions en fonction de leurs seuls intérêts en fonction de ce qui est proposé sur le marché.

  • ho mais , il y en aura une de Glasnost en France….quand surviendra un bon dérapage ou une catastrophe suite aux mauvaises décisions pris par des politiciens dont l’ouverture d’esprit et l’intelligence laisse vraiment à désirer ….ou qui sont corrompus jusqu’à l’os …..il suffit d’attendre…..

  • Il y a une énorme différence entre la responsabilité d’un industriel et celle d’un politique.

    Le premier agit en son nom propre, même s’il agit en comité, alors l’homme politique prétend agir ‘ au nom du peuple ( et pour le peuple, tant qu’on y est )…

     » Agir au nom de  » n’est rien moins que décharger la responsabilité de ses actes sur autrui…

    Un exemple : on peut faire endosser à Fillon le crime d’avoir accepté des costards en son nom propre, mais pas à Royal les milliards des portiques à camions, ou a Voynet les pertes liées l’abandon de la liaison Rhin Rhône (qui a envoyé les dits camions sur les routes)…

  • C’est pour de basses raisons électoralistes avec les Verts que Jospin a fait arrêter Phénix et Superphénix. C’est à cette époque que le pouvoir de nuisance des Verts a commencé à se manifester et à nous faire perdre plus de 20 ans d’avantage concurrentiel sur les centrales à surgénération.

    Depuis cette époque ce pouvoir de nuisance touche non seulement l’énergie, le transport, mais aussi toutes les activités économiques avec une noria de taxes, de normes et de règlements contraignants la sphère privée des ménages. Même s’ils sont très minoritaires, les Verts ont pénétré toutes les strates de la sphère publique et ils ont le soutien de nos gouvernants et de nos élus pour imposer leur vision destructrice du pays, toujours pour des raisons de basse politique électorale. Le résultat est catastrophique : chute de l’activité industrielle, ravage de nos campagnes par les EnR intermittentes, fermeture programmée irrationnelle de centrales nucléaires, baisse de pouvoir d’achat des ménages rackettés par une quantité de taxes toujours plus nombreuses, bureaucratie de commissaires politiques verdâtres dans le secteur de la santé dont on voit les résultats cataclysmiques, effondrement de la qualité de l’éducation à cause de méthodes pédagogiques débiles imposée par la bureaucratie du mammouth, pouvoir de nuisance des syndicats (financés par une taxe sur les salaires et par des subventions publiques !), qui bloquent le pays pour sauvegarder leurs avantages, …et, cerise sur le gâteau, directives et normes de la Commission européenne, dont certaines sont utiles, mais la grande majorité néfastes, notamment celles des normes sur les voitures thermiques qui vont tuer l’industrie automobile européenne, car elles ne sont pas atteignables dans l’état actuel de la technologie.

    • Je caricature à peine en faisant remarquer que la déraison a commencé à prendre le pouvoir quand les dirigeants politiques ont mis les polytechniciens au placard pour les remplacer par des énarques à leur botte.

  • Une démocratie par élus interposés non contrôlés par les citoyens, est un leurre !

  • TOUT vient de cette satanée élection présidentielle:
    Celle ci se joue en effet au premier tour à 2% (comme en 2017) voire beaucoup moins
    Donc une pincée de voix d’idéologues foireux fait la différence et explique leur puissance destructrice
    Le système est à revoir, il dure depuis 50 ans

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