Gilets jaunes : les oracles nous parlent du brouhaha

Le Gilet jaune est une réponse dont on n’est pas certain d’avoir compris la question. 15 réflexions tirées du brouhaha.

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Paris, Gilets Jaunes - Acte IX By: Olivier Ortelpa - CC BY 2.0

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Gilets jaunes : les oracles nous parlent du brouhaha

Publié le 23 janvier 2019
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Par Karl Eychenne.

Le Gilet jaune est une réponse, dont on n’est pas certain d’avoir compris la question. Tous les experts sont convoqués pour décrypter le brouhaha. À la foire aux oracles, voilà ce que l’on peut entendre :

Fourre-tout : le théorème de Stolper – Samuelson, la prime de risque jaune, la machine à saucisse, le dilemme du Porc-épic, l’homme sans qualité, l’œuf ou la poule de Facebook, le Gilet jaune est-il un loup pour l’homme ? Le gène gaulois, la cuillère en bois, le barbier qui ne se rase pas lui-même, l’axiome sauvage, l’automate attendra, etc…

Économie : théorème de Stolper-Samuelson

La globalisation ne serait pas un jeu « gagnant-gagnant », et le Gilet jaune en serait le perdant. C’est ce que nous propose le théorème de Stolper-Samuelson : dans le cas de libre-échange entre pays développés et pays en voie de développement, les travailleurs peu qualifiés du pays développé verront leur situation financière se dégrader relativement aux travailleurs qualifiés. Toutefois, il existerait une parade : la mise en place d’une politique de redistribution efficace, ce qui ne semble pas avoir été le cas ni en France, ni en Europe, ni aux États-Unis. Le Gilet jaune serait donc universel.

Finance : la prime de risque jaune

Les marchés ont-ils peur des Gilets jaunes ? En finance, tout a un prix, mais pas n’importe quel prix. Entre deux actifs, l’investisseur choisira théoriquement celui qui le protège le mieux contre des risques auxquels il ne souhaite pas être exposé. Par exemple, s’il s’agit du risque de perdre son emploi, alors l’investisseur évitera les actifs qui « co-varient » trop positivement avec le cycle économique comme les actions. Mais s’il s’agit du risque Gilet jaune, l’investisseur évitera le secteur des services, puis celui de la dette publique si cela s’envenime, voire celui d’une exposition sur tous les actifs français.

Politique : la machine à saucisse

« Rentrez-y des cochons par un bout, il en sortira des saucisses ou des jambons par l’autre bout ». Telle était la critique adressée par le mathématicien Henri Poincaré à ceux qui pêchaient par excès de formalisme ou de manque d’intuition. D’une certaine manière, il s’agirait de la même critique adressée par les Gilets jaunes aux gouvernants, ces derniers se voyant reprocher de transformer directement leurs programmes en réformes, sans passer par la case « réalité du peuple ». Aujourd’hui, le Gilet jaune aurait donc fait bugger la machine à saucisse réformatrice.

Économie-Politique : le dilemme du porc-épic

« Par une froide journée d’hiver un troupeau de porcs-épics s’était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée. Mais tout aussitôt ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s’écarter les uns des autres ». Arthur Schopenhauer. Au sortir de la Seconde guerre mondiale, universalisme et multilatéralisme avaient la cote ; notamment parce qu’ils étaient jugés comme le meilleur moyen d’éviter une troisième guerre. Mais, aujourd’hui les réflexes identitaires et protectionnistes ont le vent en poupe. Nous serions dans cette phase où nous nous écartons après nous être piqués.

Psychologie : le paradoxe français

Nous serions parmi les mieux lotis, et pourtant parmi les plus mécontents. D’un point de vue dit objectif, nous serions le pays le plus « généreux » en termes de protection sociale, d’aides aux plus démunis, de santé publique. Mais d’un point de vue plus subjectif, les enquêtes révéleraient un sentiment de bien-être inférieur à celui suggéré par la seule lecture quantitative. En fait, notre sentiment de bien-être serait plus cohérent avec le niveau de vie d’un pays en plus grande difficulté économique. Comme le disait Coluche, en France l’argent « ne fait pas le bonheur des pauvres ».

Sociologie : l’homme sans qualité

« Je ne suis pas un numéro, je suis un homme libre », ainsi parlait le héros de la série culte Le prisonnier : emprisonné sur une île avec d’autres, il s’était vu assigner le numéro 6. Sans aller jusque-là, notre ère serait dite numéraire où le chiffre est roi, donnant de la valeur aux choses et aux individus. On chercherait alors la meilleure combinaison possible, déroulant le tapis rouge à l’homme de science : L’homme sans qualité ; roman inachevé de Robert Musil. Mais cet homme aurait trébuché, butant sur des notions difficilement quantifiables comme le ressenti ou le ressentiment.

Réseaux sociaux : l’œuf ou la poule Facebook

Et si Facebook n’avait pas existé… D’après certains commentaires, les réseaux sociaux auraient largement contribué à l’emballement du phénomène des Gilets jaunes. Mais, d’autres avancent que cet emballement n’est que le reflet de notre société. Il s’agit en fait du même débat que celui sur les jeux violents et ceux qui y jouent : les gens deviennent-ils violents à cause des jeux, ou les jeux sont-ils violents parce que les gens le sont ? Œuf ou poule, Facebook (et autres réseaux sociaux) s’est révélé comme un puissant point de rencontre de noyaux durs partageant des points communs : endogamie.

Histoire : toujours les mêmes plats

1358, 1789, 1848, 1871, 1936, 1968 ? Tout le monde y va de sa pierre de Rosette historique pour trouver un précédent à la crise des Gilets jaunes. Il paraîtrait que 1848 fasse la course en tête. En 1847, la France est dans une situation économique désastreuse : mauvaise récolte, disette, crise de surproduction, misère. « Est-ce que vous ne ressentez pas,… que le sol tremble de nouveau en Europe ? Est-ce que vous ne sentez pas… que dirais-je ?… un vent de révolution qui est dans l’air ? » Alexis de Tocqueville, janvier 1848. Un mois plus tard, le peuple se soulèvera, par deux fois.

Philosophie politique : le Gilet jaune est-il un loup pour l’homme ?

D’un côté, il y aurait les sceptiques, ceux qui doutent de la capacité des êtres humains à se mettre d’accord pour fonder un vivre ensemble conjuguant liberté et sécurité. Ils proposent alors un traitement mécanique et supervisé du pacte social : référence au Leviathan de Thomas Hobbes. De l’autre côté, il y aurait les optimistes, ceux invoquant les vertus d’un homo socialis capable de fonder lui-même son pacte social : référence au contrat social de Jean-Jacques Rousseau. La crise des Gilets jaunes ferait-elle pencher la balance du côté rousseauiste ?

Philosophie de l’histoire : suivez la flèche du temps

La crise des Gilets jaunes était-elle inscrite dans des lois de l’histoire ? Ou bien le Gilet jaune est-il un fait contingent, qui aurait pu ne pas être ? Cette question relève d’une vieille querelle d’historiens, et se résume par l’opposition entre deux non-historiens. D’un côté GWF. Hegel, philosophe, partisan d’une histoire faite de conflits pour converger vers une forme de vérité finale ; l’histoire aurait un sens. De l’autre côté K. Popper, philosophe des sciences, estime que la théorie d’Hegel n’est pas testable (car non-réfutable) et donc ne peut pas être qualifiée de théorie.

Biologie : le gène gaulois

La thèse du gène gaulois propose que le Gilet jaune soit inscrit dans notre ADN : nous, Français, serions par nature plus réactionnaires que les autres. Dans le langage du biologiste, autant dire tout de suite que cette thèse dite génétique n’est (généralement) pas retenue. Il reste alors la thèse dite épigénétique : si les Français râlent davantage que les autres, c’est qu’ils souffrent davantage. Mais là encore, cette thèse est critiquable : en effet, difficile de la défendre devant des Grecs qui ont vu leur revenu par habitant chuter de près de 20 % depuis la crise de 2008, alors que le nôtre a relativement stagné.

Physique : la cuillère en bois

Le Gilet jaune était prévisible. Il suffisait de faire tourner les meilleurs algorithmes de machine-learning sur les réseaux sociaux pour y débusquer des grappes de tensions. Toutefois, on peut aussi se dire que le Gilet jaune était imprévisible, car il existe des phénomènes qui nous échapperont pour toujours : ceux trop sensibles à des conditions initiales que nous ne mesurerons jamais suffisamment bien (effet papillon) ; ceux dont la nature est fondamentalement aléatoire car ils sont là et pas là (quantique). Prévisible ou pas, il est parfois possible de prévenir le risque de certains phénomènes : pour éviter que le lait qui bout déborde, il suffit de poser une cuillère en bois en travers de la casserole

Mathématique : le barbier qui ne se rase pas lui-même

Dans quelle catégorie peut-on ranger le Gilet jaune ? Il est dit qu’il serait apolitique, non syndiqué, ni genre ni religion. Son seul signe de reconnaissance ? Il se situerait exactement sur le salaire médian. Finalement, peut-être que le Gilet jaune n’appartient à rien, mais alors on pourrait le ranger dans l’ensemble contenant les ensembles qui n’appartiennent à rien… On se retrouve alors dans le cas du barbier qui doit raser tous ceux qui ne se rasent pas eux-mêmes : mais qui rase le barbier ? Personne, car ce barbier ne peut pas exister, tel qu’il est défini ici.

Logique : l’axiome sauvage

A priori, si ce que je dis est vrai, c’est que son contraire doit être faux : on appelle cela le principe du tiers exclu, fondateur de la logique dite classique, et qui permet de pratiquer le raisonnement par l’absurde. Mais si l’on observe la vie politique de ces dernières années, on a plutôt un principe du genre : « ce que vous dites n’est pas faux, mais cela ne veut pas dire que c’est vrai » ; c’est la logique dite intuitionniste ; on peut aussi appeler cela le consensus mou. Or l’arrivée du Gilet jaune bouleverse la logique avec l’arrivée d’un axiome sauvage : « ce que vous dites est peut-être vrai, mais je ne vous crois plus et considère que c’est faux ».

IA : l’automate attendra

À l’aube de l’ère binaire, notre sort était réglé. Au mieux nous finissions en homme augmenté, au pire nous étions remplacés par des automates. En effet, quoi de plus efficace qu’un algorithme pour résoudre les problèmes de notre époque ? Et l’on faisait déjà l’inventaire des métiers qui n’existeront plus… Or, il se trouve que le Gilet jaune exercerait justement un de ces métiers déjà oublié, à faible valeur ajoutée, mécanisable, remplaçable. L’arrivée du Gilet jaune n’arrêtera pas la marche du progrès, mais peut-être que l’heure de l’automate n’est pas tout à fait arrivée.

Conclusion : la réponse qui n’avait pas de question

Le Gilet jaune est une réponse, dont on n’est pas certain d’avoir compris la question. D’où l’intervention des oracles pour tenter de nous éclairer, car « mieux vaut une bougie que maudire l’obscurité » nous disent-ils. À cela les sceptiques répondent, « ne parle que si ce que tu vas dire est plus beau que le silence ».

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  • En Marche , dans quel sens ?

  • Merci à l’auteur de l’article pour cette réflexion pertinente.
    Il n’y a pas si longtemps, l’esprit « cartésien » de certains avait institué l’obligation pour les automobilistes de détenir un gilet jaune pour le cas ou une immobilisation de leur véhicule pourrait présenter un risque majeur pour la circulation.
    Le port de ce gilet voyant et son usage initialement non prévu, vont marquer au fer jaune l’histoire de notre pays.
    Mais, le gilet jaune doit être une incitation à la prudence, à la vigilance et constituer – si besoin est – un signal fort pour tout ceux dont l’occupation quotidienne consiste à abuser de leurs pouvoirs et de leurs prérogatives; une alarme pour ceux qui cultivent un entre-soi méprisant pour ceux qui ne font pas partie du club!
    Mais attention, la bourrasque peut être le signe précurseur d’un cyclone…. comme à Saint Martin!

  • Aux Ordres.? Mais de qui.?

  • Les oracles ne servent qu’à refléter l’Ego des crédules vaniteux qui leur accordent une importance.

  • « A priori, si ce que je dis est vrai, c’est que son contraire doit être faux : on appelle cela le principe du tiers exclu, fondateur de la logique dite classique, et qui permet de pratiquer le raisonnement par l’absurde »

    Pas du tout, c’est le contraire!

  • On ne voit pas comment la redistribution pourrait palier aux conséquences néfaste du libre échange, les pseudo élites gagnantes n’ont nullement l’intention de tenir a bout de bras une france en déshérance elles ont commencé et finiront de faire sécession. Le libre échange sans le garde fou monétaire d’un étalon quelconque ne peut qu’aboutir a ce que nous voyons. Avec l’étalon or, les capacités d’importations non couvertes par des exportations étaient limitées par la réserve d’or du pays. On entend souvent débiner le déficit commercial américain, mais force est de constater que les américains achètent des écrans plats contre des bouts de papier avec de l’encre verte on voit bien que pour eux la suppression de l’étalon or en 1971 a été une formidable bonne affaire, qui est le pigeon dans cette affaire? Le dollar est notre monnaie et votre problème.

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