Bureaucratie : les aveux partiels d’un responsable

Jean-Pierre Jouyet, haut fonctionnaire français, livre un témoignage critique sur la bureaucratie. Mais les changements proposés manquent d’ambitions.

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Bureaucratie : les aveux partiels d’un responsable

Publié le 27 novembre 2023
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Un article d’Alain Mathieu

 

Il est difficile de trouver un Français plus représentatif de nos hauts fonctionnaires que Jean-Pierre Jouyet.

Son CV accumule les plus hauts postes financiers : directeur du Trésor, la plus prestigieuse direction du ministère des Finances, chef du service de l’Inspection des Finances, le corps de fonctionnaires le plus influent, président de l’Autorité des marchés financiers, qui règlemente la Bourse, directeur général de la Caisse des dépôts et président de la Banque Publique d’Investissement, les « bras armés » de l’État dans l’économie.

Il a été en outre chef de cabinet du président de la Commission européenne Jacques Delors, directeur du cabinet du Premier ministre Lionel Jospin, secrétaire général du président de la République et ami François Hollande, ministre de Nicolas Sarkozy. Il a joué un rôle important dans l’ascension d’Emmanuel Macron à la présidence de la République, notamment en dénonçant une prétendue intervention de François Fillon pour faire accélérer par l’Élysée les poursuites judiciaires contre Nicolas Sarkozy. Il en fut d’ailleurs remercié par Emmanuel Macron qui le nomma en 2017, à 63 ans, ambassadeur de France au Royaume-Uni.

« Catholique de gauche », il se livre, sous le titre Est-ce bien nécessaire, Monsieur le ministre ? (Albin Michel-octobre 2023), à une étonnante et méritoire confession publique :

« J’étais plus intéressé par les règles qui s’appliquaient aux relations entre les administrations centrales que par celles qui s’appliquaient aux administrés […]. Je minimisais l’importance de la bureaucratie et son rôle souvent néfaste sur la bonne marche du pays […]. Maintenant que j’affronte seul la machine administrative je mesure l’astuce et la ténacité dont doivent faire preuve les usagers des services publics ».

Sa confession va jusqu’à signaler les mauvaises décisions qu’il a prises ou suscitées dans ses différents postes :

Pour assurer le succès de l’introduction de l’euro, il a recommandé des « augmentations de salaires aveugles et préventives » accordées aux salariés des imprimeries de la Banque de France qui menaçaient de faire grève.

Sur les 23 régions existant en 2015, 17 ont subi des fusions qui ont réduit leur nombre à sept. Par la suite, « les dépenses de ces sept régions fusionnées ont augmenté trois fois plus vite que celles des six autres régions non fusionnées ».

 

Les réformes décidées par le pouvoir politique rencontrent l’obstruction systématique des hauts fonctionnaires, qui détiennent en fait le pouvoir

La fusion des directions des Impôts et de la Comptabilité publique « supposait de mettre fin aux doublons entre directeur départemental des impôts et Trésorier-payeur général. Il faut bien reconnaître qu’aujourd’hui ces deux fonctions coexistent toujours ».

Sa longue expérience administrative lui a fait constater de nombreux gaspillages de l’argent public.

« L’État dépense un « pognon de dingue » ». Pour le gouvernement d’Élizabeth Borne, 565 conseillers, soit 13 par ministre, alors qu’en 2017 Emmanuel Macron n’en voulait pas plus de cinq par ministre. Ils sont assistés par 2200 huissiers, secrétaires, chauffeurs, cuisiniers […] Il suffirait de 15 ministres à temps plein. En matière sociale, un ministre suffirait au lieu de cinq. Un ministère des Rapatriés a été instauré en 1995, trente-trois ans après la fin de la guerre d’Algérie […]. Quand je suis nommé secrétaire d’État aux Affaires européennes, je comprends que je dois composer avec quatre autres administrations françaises qui en sont chargées ».

Il remarque que « la France est le pays le plus centralisé d’Europe » :

« Pourquoi ne pas donner plus de pouvoirs aux départements et aux régions dans la gestion des écoles, collèges, lycées, universités, hôpitaux ? […]. Les ARS (agences régionales de santé) devraient être confiées aux régions ; les chefs d’établissement de l’enseignement public devraient recruter eux-mêmes leur personnel enseignant […]. En finir avec le droit des préfets sur les projets d’urbanisme menés par les communes ».

Il constate avec effroi qu’il y a 1800 pages pour la réglementation thermique des établissements scolaires, 4300 pages d’instructions aux ARS pour la collecte de données chiffrées, que 40 % du marché locatif privé seront vraisemblablement interdits à la location du fait de leur classement énergétique, que 68 % des élus sont confrontés à des normes contradictoires.

Il a vu que le président de la République passait trop de temps à de trop nombreuses nominations.  L’Élysée est devenu une « agence de casting permanent ».

« Comme secrétaire général de l’Élysée, j’ai consacré beaucoup de temps aux nominations ». De nombreuses nominations sont qualifiées par lui de « nominations de circonstance » (des nominations par copinage).

De ce fait la réforme de l’État est négligée.

« Emmanuel Macron n’a pas engagé en 2017 une grande transformation de l’État […]. Je n’ai jamais senti chez les quatre derniers présidents de la République le moindre intérêt pour ce sujet pourtant essentiel, la réforme de l’État […]. Pendant les trois ans où j’ai été secrétaire général de l’Élysée, jamais le thème de la réforme de l’État n’a été abordé […]. La simplification est toujours confiée à des membres du gouvernement de second rang ».

Il reproche à la réforme Balladur des retraites en 1993 d’avoir « épargné la fonction publique » ; comme celle de Macron en 2023.

Le titre de son livre illustre le fait que les réformes décidées par le pouvoir politique rencontrent l’obstruction systématique des hauts fonctionnaires, qui détiennent en fait le pouvoir, d’autant plus que les principaux ministres sont issus de leurs rangs, et y retournent après leur carrière politique.

 

Son aveu partiel n’est pas un aveu personnel, mais l’aveu d’une caste

Jean-Pierre Jouyet sait que de profondes réformes sont nécessaires.

Il critique Emmanuel Macron, qui « s’était engagé à baisser de 120 000 les effectifs publics, mais en a créé 120 000 ». Il écrit qu’il faut « en finir avec les sureffectifs et les doublons » et qu’« il reste à réduire la masse salariale globale » de la fonction publique.

Il admire les dirigeants de pays qui l’ont réalisé : Paul Martin, premier ministre du Canada, « qui a diminué de 20 % les dépenses publiques canadiennes, et qui a obtenu en dix ans une baisse de ces dépenses de 48,8 % à 37,1 % du PIB canadien » ; Franco Bassanini, ministre italien de la Réforme de l’État, « qui a fait passer le coût du personnel public de 12,6 % du PIB en 1990 à 10,5 % en 2000… et supprimé près de 200 types d’autorisations administratives ».

Il sait que les syndicats sont un frein aux réformes :

« En Italie, les principaux syndicats du secteur public représentent les travailleurs des secteurs public et privé, alors qu’en France ils ne représentent que ceux de l’administration publique ». Pour faciliter les réductions d’effectifs, il propose de « renforcer la mobilité entre administrations, développer la polyvalence des agents ».

Il approuve les privatisations de Lionel Jospin (France-Telecom, Renault, etc), qu’il a orchestrées comme directeur de son cabinet et « qui ont fait passer le déficit public à 1,3 % du PIB en 2000 ».

Bref, Jean-Pierre Jouyet connaît les défauts de nos administrations et une partie des remèdes.

Pour sortir la France de son déclin économique, il devrait tirer toutes les leçons de ses observations :

  • obliger à la démission de la fonction publique les fonctionnaires entrant en politique ;
  • contrôler les subventions aux syndicats ;
  • privatiser toutes les entreprises publiques, y compris la Caisse des dépôts, la BPI, EDF et SNCF (cf Japon, Royaume-Uni, Italie), ainsi qu’une partie des HLM, hôpitaux, écoles, assurance-maladie ;
  • fixer un objectif de 20 % de baisse des dépenses publiques ;
  • geler les embauches de fonctionnaires, aligner leurs horaires de travail sur ceux des Allemands ;
  • rendre les hauts fonctionnaires responsables de leur gestion devant le Parlement ;
  • règlementer le droit de grève ;
  • décentraliser la gestion de l’Éducation, de la Santé, de la Culture, du Sport, du Tourisme, etc.

 

Bien qu’il prétende que son livre est « une sorte de confession qui met à plat les moyens du redressement », il ne propose presque rien de tout cela. Car des haus fonctionnaires lui diraient :

« Est-ce bien nécessaire ? ».

Son aveu partiel n’est pas un aveu personnel. C’est l’aveu d’une caste.

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  • « Ce n’est pas ma faute…je ne savais pas…je n’ai fait que mon travail…je n’ai fait qu’obéir aux ordres… » Ça me rappelle quelqu’un, mais qui ?

  • Il a mis 40 ans a comprendre ce que tout francais qui n’est pas fonctionnaire ou assimilé sait des qu’il commence a travailler

  • Que fait Monsieur Jouyet ? Il avoue sa lâcheté mêlée à de la fainéantise ?
    Lâcheté de n’avoir rien entrepris face à l’administration et fainéantise parce qu’il aurait dû travailler au lieu de pantoufler ?
    TOUS les Français savent que la France va mal à cause de ses fonctionnaires : 3.000 milliards de dette et pas un secteur de la fonction publique qui assure correctement sa fonction.
    À mon avis, ce Monsieur a seulement trouvé le moyen de se faire un peu plus d’argent en vendant un livre.

    • Les problèmes français tournent essentiellement autour de notre tres gourmand système social
      La dépense sociale représente plus de 800 milliards en 2022 soit près d un tiers de notre pib
      Cette redistribution se fait largement au détriment de notre économie
      La bureaucratie francaise vient en second dans l ordre des priorités d actions

      • Cette dépense sociale est si élevée parce qu’il n’y a aucun contrôle sérieux sur les bénéficiaires. Les fonctionnaires en ont cure puisque ce n’est pas leur argent. Ils ne vont quand même pas se mettre au boulot pour quelques dizaines de milliards d’euros de fraude chaque année. Même nos politiciens ne légifèrent pas pour supprimer aux fraudeurs tout aide sociale pendant 10 ans. Pourtant, ce serait vite dissuasif.

        • Cette redistribution pantagruelique sclérose notre économie
          Son dynamisme est perpétuellement frêne par de nouveaux prélèvements
          Voir cette énorme dépense sociale uniquement par le petit bout de lorgnette de la fraude montre que globalement les francais n ont pas pris conscience de ce fléau

  • «Maintenant que j’affronte seul la machine administrative je mesure l’astuce et la ténacité dont doivent faire preuve les usagers des services publics ».

    Il manque une virgule, « maintenant que j’affronte, seul, la machine administrative.. ».
    Mais non, il n’affronte pas et n’est ni seul, enfin il ne sera jamais comme nous.

  • On dirait Valls regrettant, une fois sorti de Matignon, l’utilisation éhontée du 49.3 et promettant son abandon s’il revient au pouvoir…
    Des larmes de crocodile !

  • Un premier pas serait déjà que toute réforme soit évaluée : qu’est ce qui a marché, qu’est ce qui a été un échec, qu’est ce qu’on peut apprendre des échecs, etc. C’est ce que fait toute entreprise et c’est ce dont les politiques sont absolument incapables. Bilan des courses, l’état avance comme un canard sans tête au gré des sondages et c’est le citoyen qui paye toujours plus pour des services au mieux dégradés au pire inexistants.

  • « rendez l’argent » disait Montaldo je crois.

  • La remarque sur la fusion des régions m’a fait sourire. La seule façon de faire des économies avec la fusion des régions, aurait été de licencier en masse dans une des anciennes capitales de région et vendre les bureaux. Qui peut penser une seconde, que Hollande, président à gauche, ait envisagé cela? Ou que les futurs licenciés auraient accepté le projet sans broncher?
    Le projet était bien évidemment de créer une super structure, avec des nouveaux postes, pour chapeauter les sous directions régionales. C’est pour ça que l’administration a accepté le projet.

  • Nous avons notre chemin de Damas, c’est le chemin de Crépol.

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