Remettre en question ses modèles mentaux, nouvel avantage concurrentiel ?

C’est la capacité de l’organisation à faire évoluer son modèle mental aussi rapidement qu’évolue la réalité qui va devenir son avantage concurrentiel, voire la condition de sa survie.

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Remettre en question ses modèles mentaux, nouvel avantage concurrentiel ?

Publié le 18 décembre 2018
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Par Philippe Silberzahn.

Dans un monde qui change, la capacité à remettre en question ses modèles mentaux, c’est-à-dire la façon dont une organisation construit sa représentation de l’environnement, deviendra la clé de l’avantage concurrentiel. Cela vaut aussi bien pour l’organisation que pour l’individu.

En 1914, l’Armée française était parfaitement prête… pour la guerre de 1870. Les équipements et les doctrines étaient tous conçus pour une grande répétition de la guerre précédente. Le choc fut terrible et l’Armée dut effectuer une transformation radicale de sa stratégie et de ses modes de pensée dans la pire des conditions.

Il en va de même pour le management moderne : il est parfaitement adapté à un monde qui disparaît, celui de la fabrication de masse. Celle-ci a permis un formidable développement économique et une réduction massive de la pauvreté, en particulier des 20 dernières années. Il continuera encore longtemps à produire des effets positifs.

La production de masse, c’est fini

La grande entreprise multinationale et son mode de management sont les innovations qui ont permis cette révolution. La condition pour réussir la fabrication de masse et la réduction des coûts est la standardisation. La Ford T, la voiture pour tous, est le symbole de cette époque, qui nous a également donné la maison pour tous, le téléphone mobile pour tous, les voyages pour tous, etc.

L’enjeu pour réussir la production de masse était de définir des modèles d’affaire, et plus généralement des modèles mentaux la rendant possible, et de s’organiser pour que tout le monde (collaborateurs mais aussi partenaires, fournisseurs et clients) les partage dans un souci d’efficacité maximale. Le Toyota Production System, qui a révolutionné la production automobile à partir des années 60, est un exemple typique de modèle mental permettant cette efficacité. L’efficacité est donc une valeur-clé du modèle mental de cette période.

Mais nous arrivons au terme du cycle fordiste de fabrication de masse. Non pas que celle-ci soit sur le point de disparaître, nous aurons toujours besoin de produits bon marché, mais désormais, ce sont l’innovation et la créativité qui déterminent la réussite. Le management et l’organisation doivent répondre à ces changements profonds.

Évolution du management

Ce n’est pas la première fois que le management doit changer : les grandes ruptures, depuis la première révolution industrielle, ont toujours nécessité, pour en tirer parti, d’inventer de nouvelles pratiques managériales. Au XIXe siècle, la grande entreprise intégrée a été la réponse à la révolution technologique de la vapeur puis de l’électricité et des formidables possibilités qu’elle ouvrait. Le management moderne, avec sa structure hiérarchique, sa division du travail et ses principes de coordination, est une réponse au défi de la production de masse et de la complexité des nouvelles industries, comme le chemin de fer.

Quel est ce nouveau monde auquel le management doit répondre ? Bien malins ceux qui peuvent le prédire car il émerge, mais certains traits sont bien sûr facilement identifiables : l’importance d’Internet, qui abaisse les barrières à l’entrée, rend les organisations poreuses et permet facilement à des concurrents de venir sur notre marché ; une population mieux éduquée et moins crédule, donc plus autonome et moins prête à se soumettre à une grande organisation, qu’elle soit une religion ou une entreprise ; un développement de l’entrepreneuriat et du travail indépendant qui offre des portes de sortie aux collaborateurs insatisfaits.

Ce nouveau monde est également un monde de technologie. L’importance de la technologie n’a rien de récent, elle était déjà au cœur des deux premières révolutions industrielles (vapeur, acier, électricité, pétrole, téléphone, automobile, etc.) et l’innovation technologique est l’une des premières causes de rupture. Aujourd’hui, cette innovation se poursuit à un rythme soutenu, voire s’accélère dans des domaines aussi différents que l’intelligence artificielle, la biologie synthétique, les nanomatériaux, le big data, les drones, etc.

La technologie libère tant de possibles qu’elle remet en question nos modèles mentaux ; elle peut être un facteur d’ouverture important, mais le changement est difficile. Le microscope a permis de découvrir les microbes et de changer notre vision du monde du vivant, mais il a fallu presque 200 ans entre l’invention du premier microscope et l’émergence de la théorie des microbes ; 200 ans pour adapter notre modèle mental à la nouvelle technologie et ses possibles !

Nul ne sait ce que donneront ces évolutions, et certaines sont même en cours que nous n’avons pas identifiées, mais là n’est pas la question. Ce qui est sûr, c’est que nous allons vers un monde de surprise et d’instabilité, où le changement devient la norme. Dans ce monde, c’est la capacité de l’organisation à faire évoluer son modèle mental aussi rapidement qu’évolue la réalité qui va devenir son avantage concurrentiel, voire la condition de sa survie.

Production de modèles mentaux

Mais cela va plus loin : l’ancien monde était un monde de production de masse de produits et de services avec l’efficacité comme objectif principal. C’était un monde organisé autour de la rareté : rareté des ressources, rareté des produits, rareté des talents, rareté du capital, rareté des machines sophistiquées. Mais la rareté a disparu et nous sommes désormais dans un monde d’abondance : abondance de capital, abondance de talents, abondance de ressources naturelles. Nous sommes donc dans un monde de choix, avec deux linéaires entiers de yaourts dans votre supermarché offrant une liste presque infinie de variations.

Nous sommes dans un monde d’exit doors, de portes de sorties, où il est possible de ne plus rester enfermé dans un modèle pour aller dans un autre : quitter son entreprise pour devenir indépendant, vendre sa voiture pour utiliser BlaBlaCar, publier un livre sur Amazon pour contourner les éditeurs qui vous refusent, etc. La caractéristique de notre monde est la création de ces portes de sorties permettant de passer d’un modèle à l’autre.

Et dans ce monde, l’avantage concurrentiel ne sera pas seulement la capacité à faire évoluer son modèle mental, mais de produire des modèles mentaux à volonté, voire de permettre à ses clients de produire leurs propres modèles mentaux. Discutez quelques minutes avec un utilisateur d’iPhone ; il sera incapable de vous démontrer en quoi son téléphone est supérieur à un Samsung, mais en acheter un autre est inconcevable. Apple est l’une des entreprises qui a le mieux intégré l’utilisation des modèles mentaux. Quand on achète un iPhone, on achète un modèle mental, c’est le secret des grandes marques.

Le jeu en ligne Fortnite l’a également très bien intégré, en s’appuyant sur des modèles qui fonctionnent parfaitement auprès de son public pour la simple raison qu’ils sont profonds et existent depuis la nuit des temps : l’humour, le décalage, la compétition, le sens de l’absurde, notamment. Voici un jeu que les Américains appellent « Shoot’em up » où, en gros, il faut tuer tout le monde, et qui semble bien primaire à l’observateur distrait. Mais dans le jeu, vous pouvez utiliser vos crédits pour acheter… une danse ! Au milieu de la fusillade, votre avatar fait une pause et danse. Cela a un succès fou auprès du public de joueurs, typiquement des garçons d’une dizaine d’années. Lors de l’anniversaire du jeu, les avatars se baladaient avec un sac à dos en forme… de paquet cadeau. Il faut tuer un lama pour obtenir des objets utiles. Le jeu avec les modèles mentaux du public, qui reste suffisamment enfant pour jouer et accepter des choses apparemment absurdes mais finalement très riches, est fort bien fait.

Peut-être Fortnite est-il le modèle du management du futur : joueur, et créateur de modèles mentaux pour un monde de créativité et de surprise, très en phase avec ses clients qui sont aussi acteurs de son système. Un management organique et vivant qui succède au management figé et minéral du modèle producteur-consommateur.

On peut résumer le propos avec les trois situations suivantes en comparant la vitesse de mise à jour des modèles mentaux (∆MM) de l’organisation et celle de l’évolution de la réalité (∆R) :

  • ∆MM/∆R > 1 : l’organisation développe de nouveaux modèles mentaux en avance du changement de l’environnement. Elle transforme celui-ci de façon visionnaire (exemple : AirBnB).
  • ∆MM/∆R = 1 : l’organisation arrive à changer ses modèles mentaux suffisamment vite pour garder le lien avec la réalité de l’environnement. Elle s’adapte.
  • ∆MM/∆R < 1 : l’organisation ne met pas ses modèles mentaux à jour assez vite et perd progressivement pied avec la réalité. Elle vit dans un modèle du passé. Le monde évolue sans elle et bientôt évoluera contre elle.

Bien sûr, l’attractivité des startups est que, en théorie pour elles, ∆MM/∆R > 1 (en pratique, pour beaucoup d’entre elles il en va autrement mais c’est un autre débat). Dans quelle catégorie se trouve votre organisation ?

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  • Attention aux raccourcis historiques mal fondés, en 1914, c’est parce que l’on a compris la leçon de 1870 que l’on pu colmater les brèches et convertir l’offensive de Falkenhayn en échec.
    En 1970, les déplacements armés par chemin de fer ont été défectueux, pas en 14, et pas en 16 pour tenir à Verdun.

  • « la rareté a disparu et nous sommes désormais dans un monde d’abondance »…
    Hum. Dans un monde d’abondance il n’est nul besoin de pensée économique (la science de l’allocation des moyens rares à des fins complexes, je cite de mémoire…). L’abondance que nous vivons n’est que relative. Si les ressources étaient abondantes, elles seraient moins chères (non, le pétrole n’est pas vraiment moins cher), de même pour le talent qui est de plus en plus cher , au point que cela creuse la différence entre ceux qui ont du talent, et ceux qui n’en ont pas (ou qui n’ont pas de talent monétisable)…
    Quant à la population « mieux éduquée », c’est sans doute vrai globalement mais pas nécessairement localement, en France en particulier…

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