Le conflit de modèles mentaux, clé de la transformation organisationnelle

La transformation consiste à changer de modèle mental individuel et collectif. C’est déjà difficile en soi, mais ça l’est encore plus lorsque le modèle actuel, que l’on doit changer, est perçu comme valable car cela va entraîner un conflit entre les deux.

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Le conflit de modèles mentaux, clé de la transformation organisationnelle

Publié le 27 novembre 2018
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Par Philippe Silberzahn.

L’une des raisons les plus importantes pour lesquelles la transformation organisationnelle échoue réside dans le fait qu’il existe un conflit entre ce que l’organisation veut faire et qui elle est réellement. Ce conflit peut être aisément compris au moyen de la notion de modèle mental qui correspond à la façon dont l’organisation conçoit son environnement et se conçoit elle-même.

La transformation consiste à changer de modèle mental individuel et collectif. C’est déjà difficile en soi, mais ça l’est encore plus lorsque le modèle actuel, que l’on doit changer, est perçu comme valable car cela va entraîner un conflit entre les deux. Identifier ce conflit et le traiter explicitement est la clé d’une transformation organisationnelle réussie.

Plus agile dans la prise de décision

Regardons ce conflit au travers du cas semi-fictif mais tout à fait typique d’une entreprise familiale du secteur pharmaceutique. Elle se porte bien et s’est beaucoup développée ces dernières années. Mais elle a également conscience des changements profonds de l’environnement concurrentiel et surtout de l’évolution rapide de celui-ci. Or l’entreprise a une forte culture du consensus. Les décisions mettent donc longtemps à être prises ce qui entraîne une forte frustration des dirigeants et surtout une inquiétude face aux évolutions de l’environnement. Sans changement dans les modes de décision, l’entreprise risque de perdre pied. « Il faut donc être plus agile dans notre prise de décision » intime le dirigeant.

Malgré cette injonction, après quelques mois rien n’a vraiment changé et ce bien que beaucoup de collaborateurs aient conscience de la nécessité d’aller plus vite. Pourquoi ? Pour une raison simple : parce que l’impératif d’agilité, qui suppose une simplification des procédures de décision, remet en question la culture du consensus. En d’autres termes, il y a un conflit entre le modèle mental « agilité » et le modèle mental « consensus ».

Qui va gagner ? très probablement le consensus. Pourquoi ? Certainement pas parce que les collaborateurs sont « résistants au changement » ou parce qu’on communique mal ni même parce que « c’est toujours comme ça qu’on a fait ». Le consensus va gagner parce qu’il est vu par les collaborateurs comme l’une des raisons du succès de l’organisation jusque-là. L’entreprise est active dans un domaine très régulé, l’industrie pharmaceutique, et elle sait que la moindre erreur peut se transformer en catastrophe sanitaire, mettant en danger des vies humaines. Or, et sans surprise, la contribution à la santé humaine figure en bonne place dans les valeurs portées par l’entreprise. De manière innocente, le modèle « agilité » vient donc attaquer un modèle « consensus – sécurité » très profond et touche à la dimension existentielle de l’organisation, ce sur quoi elle s’est bâtie depuis a fondation il y a de nombreuses années.

Sans surprise, cette attaque déclenche donc une réaction immunitaire très forte. Cette réaction est d’autant plus forte que le modèle mental attaqué est profond, c’est à dire qu’il est considéré comme une évidence, ou une vérité. L’impératif d’agilité reste donc au niveau du discours incantatoire, et la frustration monte au niveau de la direction générale qui ne prend pas conscience du conflit et donc du fait qu’elle envoie une injonction paradoxale, qui peut se résumer de la façon suivante: décidez de façon plus simple et plus rapide mais sans remettre en question le consensus qui a fait notre force. Or décider de façon plus simple et plus rapide est perçu par les collaborateurs comme précisément remettant en question le consensus qui a fait la force de l’organisation.

Le blocage dans les programmes de transformation vient donc très souvent de ce que les objectifs énoncés, comme devenir plus agile ou plus innovant, ne tiennent pas compte de ce que ceux-ci viennent attaquer des modèles mentaux profondément ancrés qui ont démontré leur intérêt parfois depuis des années, et qui sont vu, souvent sans que les collaborateurs en aient même conscience, comme les raisons du succès de l’organisation jusque-là.

Dans certains cas, le modèle mental s’effondre brutalement et le conflit n’existe pas vraiment. C’est le cas d’IBM en 1991 : son activité de mainframe, qui avait fait sa force à partir des années 50 devient rapidement obsolète et l’entreprise manque de faire faillite au début des années 90. Elle réussit une transition rapide vers l’Internet en grande partie parce qu’elle n’est pas bloquée par son ancien modèle. A contrario, l’activité film argentique de Kodak reste longtemps très rentable et continue de faire espérer aux dirigeants de l’entreprise une transition assez lente vers le numérique qui sera donc menée sans grande conviction. Ce recouvrement entre deux modèles est le cas le plus courant.

Dépasser le conflit

Il n’y a pas de solution facile au conflit. A minima, il faut le reconnaître et l’expliciter. Le plus important est donc d’identifier l’intention stratégique (vitesse, simplification) de la direction générale, ainsi que le conflit qui risque d’empêcher cette intention de se traduire dans les faits. Le conflit étant identifié, et la raison pour laquelle il existe (consensus) étant reconnue comme légitime, alors on peut travailler sur sa résolution. Par exemple, comment peut-on aller plus vite sans sacrifier la participation que nous reconnaissons comme importante ? Tout le monde doit-il nécessairement participer à une prise de décision? Peut-on avoir des décisions moins participatives que d’autres ?

Il est important également d’explorer la notion de consensus en jouant avec le terme : qu’entendez-vous par consensus ? On verra que les définitions peuvent fortement varier d’un collaborateur à l’autre, du « Il faut que le jeune stagiaire Dupond soit là, c’est un bon élément » à « Il faut que quelqu’un de la fabrication soit présent en amont pour s’assurer que notre emballage est fabricable facilement ». Cette variation dans la notion peut ouvrir de nouveaux possibles tout en respectant la culture du consensus. Entre autres exemples, on distinguera participation et consensus. Si l’idée du consensus est de diminuer le risque, on développera une capacité d’alerte.

On pourra également trouver que le mot consensus n’est pas forcément celui qu’utilisent tous les collaborateurs pour qualifier la culture de l’organisation. Là encore, cela milite pour qu’il y ait une action délibérée d’exploration des modèles mentaux individuels (les collaborateurs) et collectifs (équipes, départements, organisation) car ceux-ci constituent des points d’entrée dans la culture de l’organisation.

Une fois ceux-ci identifiés, on pourra mettre à jour les conflits. Là encore, leur résolution n’est pas facile, mais le seul fait de les mettre au jour et d’habituer l’organisation à parler ouvertement de ses modèles doit permettre une évolution plus facile sans quoi l’organisation restera bloquée dans des injonctions paradoxales et on accusera les collaborateurs de résistance au changement.

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  • Un article intéressant qui concerne aussi la plus grande entreprise français

    Le consensus
    – Nous avons le meilleur système social.
    – Nous avons le meilleur service public
    – Nous sommes une grande nation qui a de l’argent, les riches, les entreprise et la dette peuvent continuer à financer.
    Quel est le dirigent qui nous fera quitter le chemin de Kodac pour nous emmener sur la difficile voie d’IBM?

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