Transformation : en finir avec la notion de résistance au changement

Si notre époque change radicalement, il ne faut pas juste changer ce que nous faisons, mais la façon dont nous le faisons et, surtout, la façon dont nous concevons ce que nous faisons.

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Transformation : en finir avec la notion de résistance au changement

Publié le 28 août 2018
- A +

Par Philippe Silberzahn.

Chacun s’accorde à reconnaître que la plupart des programmes de transformation échouent à atteindre leurs objectifs ; ils ne respectent pas leurs délais ; ils ne vont pas assez loin. Les grandes organisations dépensent beaucoup d’énergie mais font du sur-place. Et pendant ce temps-là les barbares, entendez les startups, avancent. Est-ce une question de résistance au changement ? Est-ce, d’ailleurs, la bonne question ?

C’est logique, mais ça ne marche pas

Ces programmes, conçus par les plus grands cabinets de conseil et théorisés par les chercheurs des plus grandes écoles de commerce, sont d’une grande logique, découpant parfaitement le problème en une série de tâches cohérentes. Ils appliquent le dicton de Henry Ford : rien n’est particulièrement difficile si vous le découpez en petites tâches.

Ainsi, exemple parmi tant d’autres, le prestigieux cabinet de conseil McKinsey propose une approche de la transformation en cinq étapes :

  • d’abord établir la trajectoire de changement
  • puis planifier des actions pour les haut-dirigeants
  • passer ensuite à la phase de mise en œuvre à l’échelle de l’organisation
  • agir pour changer l’état d’esprit
  • puis enfin mettre en place les gens, les processus et les outils pour permettre une exécution sans faille

Ces plans sont parfaitement logiques : ils préconisent de bien définir l’objectif à atteindre avant de commencer, puis de planifier les actions avant de les mettre en œuvre. Ils sont logiques, mais ils ne fonctionnent pas. Ils sont logiques mais rien ne se passe.

Les spécialistes du changement, et plus généralement “l’industrie de la transformation” qui depuis des années conçoivent ces programmes qui ne marchent pas se sont naturellement inquiétés. D’après eux, la principale raison pour laquelle le changement échoue est la résistance au changement. En d’autres termes : c’est la faute des gens, c’est-à-dire des collaborateurs de ces organisations. Oh les méchants !

Dans un article précédent je montrais que parler d’un problème d’exécution pour un plan stratégique traduisait une erreur de conception de ce qu’est un tel plan : un plan qui n’a pas anticipé un problème d’exécution est un mauvais plan car il est conçu sans tenir compte des spécificités de l’organisation le mettant en œuvre. Plus généralement, la distinction entre conception et mise en œuvre traduit une vision cartésienne du monde et du management dans laquelle il y a les penseurs, qui ont toutes les informations et savent où il faut aller, et les exécutants qui sont simplement là pour faire ce qu’on leur dit.

De la même façon, le plan qui n’a pas anticipé la « résistance au changement » est un mauvais plan car il est conçu sans tenir compte, et donc souvent sans comprendre voire sans même s’intéresser à ce que pensent les collaborateurs. Cette « résistance au changement », à supposer qu’elle existe, est souvent la traduction d’un problème plus profond.

Mal nommer les choses…

Comme souvent, les termes que nous employons pour qualifier un problème traduisent notre façon de concevoir le monde et contraignent les solutions que nous apportons au dit problème. Ils peuvent même créer des problèmes qui n’existent pas. Par exemple, un policier verra la consommation de cannabis comme un crime, un médecin comme un problème de santé publique tandis qu’un libertaire la verra comme un non problème. Tous les trois auront une définition différente de la question et proposeront donc des solutions différentes.

Le terme même de “résistance au changement” traduit ainsi un modèle mental selon lequel il y aurait un groupe, la direction générale, qui aurait tout compris à ce qu’il faut faire, et le reste de l’organisation qui, pour des raisons inexpliquées, ou inavouables (sabotage !), s’opposerait à ce que le bon sens semble réclamer. On sépare le monde en deux, les intelligents et les imbéciles, nous et les autres, les cadres et les agents, les pro et les anti, comme on le sépare entre riches et pauvres oubliant que 80% de la population est dans un 3e groupe intermédiaire qui n’est plus pauvre mais pas encore riche.

Souvent, la façon dont la transformation est présentée est elle-même source de blocage : dans ce modèle, la direction explique généralement que la situation actuelle est insatisfaisante, mais que l’avenir peut être radieux à condition de souffrir beaucoup pendant un certain temps. Ce modèle conçoit donc la transformation comme traumatique, un épisode bien identifié dans le temps, et partant d’un présent insatisfaisant dont il faudrait avoir honte (soyez comme Google !) pour aller vers un futur souhaitable.

Mais peut-être les collaborateurs ont, eux, un modèle différent : la direction leur impose un énième plan conçu en secret avec des consultants en vue sur la place de Paris. Ce plan est générique, on a vu le même dans toutes les entreprises du CAC 40. On sait ce qu’on va perdre avec la transformation mais pas ce qu’on va gagner. Le programme de transformation perturbe notre travail à partir duquel nous sommes évalués à la fin de l’année.

Quoi qu’il arrive, les grands dirigeants empocheront leur bonus, tandis que les échecs nous seront imputés. On ne nous a pas demandé notre avis (ou pire : on a fait semblant en nous envoyant des consultants juniors dont l’arrogance n’avait d’égal que la méconnaissance de notre métier). La direction générale ne comprend pas comment l’organisation fonctionne, car de toute façon ce sont des mercenaires qui viennent d’arriver et repartiront bien vite. Et ainsi de suite.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas des collaborateurs hostiles au changement, naturellement (y compris au plus haut niveau c’est fréquent). Le changement dérange, il force à sortir du confort douillet du déclin. Il remet en question des situations acquises. Il nécessite un effort. Mais formuler le problème en termes de résistance au changement plaque un modèle de culpabilisation d’un groupe par un autre alors même que l’engagement du groupe culpabilisé est nécessaire au changement. C’est contre-productif.

Ce que l’on nomme “résistance au changement” peut en fait être reformulé avec un autre modèle mental dans lequel l’absence de progrès traduit un manque de confiance des collaborateurs envers la direction générale, le manque de légitimité interne des managers supposés relayer la stratégie (autre modèle mental) ou peut-être le caractère inapplicable du plan car conçu sans tenir compte de la réalité quotidienne des collaborateurs.

Changer de modèle mental, clé du déblocage

La question n’est évidemment pas qui a raison avec son modèle : chacun un peu, bien sûr, car si chacun reste campé dans son modèle, rien ne changera. On continuera à travailler plus dur dans un système bloqué.

On aura donc intérêt à poser ces modèles mentaux de façon explicite pour les confronter et essayer de les accorder. La transformation est certainement indispensable, mais la façon de la concevoir doit faire l’objet d’un large accord. Le partage d’un diagnostic commun est essentiel. Il est surprenant de constater que dans beaucoup d’entreprises, lorsque je demande les véritables raisons pour lesquelles un plan de transformation a été engagé, tout le monde n’est pas capable de me répondre, y compris au plus haut niveau, et les réponses, quand il y en a, varient énormément. Souvent, j’obtiens le « Ah ben à cause du digital. » Mais si je presse en demandant « Comment le digital vous impacte-t-il ? », j’ai rarement une réponse.

La réussite ne tiendra pas nécessairement à un accord parfait sur tous les aspects du modèle mental, c’est impossible ; le simple fait de rendre explicites les hypothèses et de les discuter sera déjà un énorme progrès. Chacun pourra comprendre que la direction, au cours de cet exercice, doit trancher en cas de désaccord. Les recherches sur la notion de fair process (processus équitable) ont montré que les gens sont souvent plus sensibles à l’équité dans le processus (la façon dont ils sont traités, le fait qu’ils soient réellement consultés, que leur avis soit pris en compte et même qu’ils soient co-créateurs de la décision) qu’à la décision elle-même, y compris si elle leur est défavorable.

Les grands programmes de transformation butent en effet sur une contradiction : d’une part, la transformation est rendue nécessaire par l’avènement d’une société plus entrepreneuriale dans laquelle la réussite et la performance futures reposeront sur la créativité et l’autonomie. Mais d’autre part, ils restent piégés dans des modèles mentaux anciens : un but fixé par la direction générale, un plan d’exécution, une méthode, des exécutants… des notions bien éloignées du monde entrepreneurial…

Un changement de modèle permettra de considérer les choses différemment, de mieux identifier les problèmes et d’ouvrir des possibles inimaginables. Il ne peut advenir qu’en repensant complètement la façon même de procéder. Si notre époque change radicalement, il ne faut pas juste changer ce que nous faisons, mais la façon dont nous le faisons et, surtout, la façon dont nous concevons ce que nous faisons. C’est donc la façon même de se transformer qu’il faut changer.

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  • Drôle de changement ! taper sur ceux qui ont travaillé toute leur vie pour en offrir davantage aux fainéants et profiteurs du RSA !
    Les retraites sont issues de cotisations qui n’ont rien à voir avec le budget de l’Etat à moins que ces dernières tapes régulièrement dans les caisses ne serait-ce que pour renflouer les caisses de la SNCF, EDF et toutes les caisses des services publics qui sont en pleine déconfiture mais qui donnent des avantages encore très loin au-dessus des caisses privées dans lesquelles l’Etat tape régulièrement pour renflouer ses caisses. Politiques, Ministres, Sénateurs, Députés et autres Présidents des collectivités locales qui se goinfrent sur les autres alors que sur 1 seul mandat de 5 ans ils ont une retraite supérieure à un cadre du privé. Mais chez ces escrocs il ne faut rien prendre bien au contraire après chaque élection ils se votent un peu plus de fric. Avec l’argent des autres ils font ce qui leur plait « Je suis élu s’ils ne sont pas contents ils n’ont qu’à venir me chercher » ! La République Démocratique à la Française ! Un pays en pleine dérive mais les Français méritent ce qu’ils ont voté.

    • Sauf que les retraites d’aujourd’hui sont payées par les actifs d’aujourd’hui. Nous avons payé les retraites de ceux qui nous ont précédés ! C’est cela la REPARTITION. D’ailleurs, les français n,ont jamais voulu de la CAPITALISATION.

      • Les Français sont parmi ceux qui mettent le plus possible en épargne donc en capitalisation, ce sont leurs grandes gueules pas représentatives pour un sou qui tiennent à conserver et augmenter la répartition, qu’ils gèrent à leur grand profit.

  • vous croyez que faire des heures supplémentaires sans cotisations maïs fiscaliser va résoudre le chômage !!! il faut être naïf !!!
    Supprimer les impôts locaux va réduire la dépense public… diminuer le permis chasse à des fins électoraux !!! c’est vraiment une bande de charlots ..d’un coup de baguette magique hop ,la croissance arrive en claquant des doigts !! vous mettez l’excellent Bruno Lemaire a la tête de là SNCF la dette disparaît 20 % de bénéfice à la fin de l’année !!!
    l’arnaque de 1ére..je vous donne 1% et je vous en prend 15% tout est réglé ..formidable !!!
    au final :nous nos approchons 100% dette du PIB …la dépense publique s’approche du 60%..
    vive la nouveauté !!! RESISTANCE…AUX VOTENT LES CITOYENS !!!

  • Philippe Silberzahn tient comme très souvent des raisonnements justes sur des bases fausses. Il écrit:  » 80% de la population est dans un 3e groupe intermédiaire qui n’est plus pauvre mais pas encore riche » sans se rendre compte que les classes moyennes ne sont plus riches mais pas encore pauvres.

    • C’est relatif aussi. Comment vous définissez « riche » et « pauvre » ?
      Pour ma part, j’ai l’impression que la classe moyenne n’est pas assez pauvre pour bénéficier en masse de la redistribution (allocations, etc), mais pas assez riche pour pouvoir optimiser ses impôts…
      et en prend plein la g*****.

  • Excellent article, merci !

  • Il y a quelque chose de particulier avec les commentaires.
    Erreur de manip quelque part?

  • Les commentaires sont fermés.

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