« La spirale du déclassement » : classes moyennes à la dérive

L’auteur de « La Spirale du déclassement » fait un constat sans appel : les dégâts sociaux ont été minimisés et il est urgent de prendre conscience du problème.

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« La spirale du déclassement » : classes moyennes à la dérive

Publié le 30 octobre 2016
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Par Jean Senié.

La Spirale du déclassement
La Spirale du déclassement

Louis Chauvel dénonce une pratique française : ne pas voir qu’il s’opère aujourd’hui un déclassement massif des classes moyennes : il se concentre sur les plus jeunes générations et génère une « spirale du déclassement ». Cette dynamique descendante fait l’objet de son dernier livre. Si le tableau est sombre, la lecture de l’ouvrage montre qu’il ne s’agit en rien des rêveries pessimistes d’un intellectuel trop inquiet mais bien des fruits d’une recherche de plus de vingt ans, présentés ici de manière pédagogique.

Le déclassement des classes moyennes : une analyse générationnelle

Les classes moyennes constituent l’objet de l’analyse de Louis Chauvel1. Il désamorce d’emblée toute critique qui l’accuserait de mettre de côté les difficultés des classes populaires, qui constituent une réalité qu’il ne nie pas mais qui n’entre pas dans son étude. À cette première remarque, méthodologique, s’en ajoute une seconde. Pour Louis Chauvel, les classes moyennes forment le noyau d’une société. La dégradation de leurs conditions sociales et le creusement des inégalités traduisent une atteinte aux fondements même de la société, prise dans son ensemble.2

Il s’insurge contre les travaux qui viseraient à nier le réel et à instaurer une « société des illusions », livrant au passage une intéressante réflexion épistémologique sur ce qu’est sa matière.3

Or ce déclassement se concentre sur les jeunes générations, instaurant une fracture générationnelle toujours plus accrue.4 L’année de naissance est un facteur social aussi déterminant que la catégorie socio-professionnelle des parents. À travers l’écart des conditions de vie entre les différentes cohortes générationnelles, l’auteur montre l’existence d’un déclassement générationnel, particulièrement net pour les enfants des classes moyennes.

Le fonctionnement de la spirale

Loin de se contenter d’une analyse des inégalités basées sur le revenu, qui offrirait un biais égalisateur, l’auteur met en avant les effets d’une « repatrimonialisation », c’est-à-dire le redressement de la valeur du patrimoine. Désormais, le revenu ne permet plus à lui seul de combler les écarts et la méritocratie ne remplit plus son rôle d’harmonisation. Cela se traduit tout d’abord dans l’accès au logement. Il existe ainsi un déclassement résidentiel qui est bien mis en valeur, a fortiori lorsqu’on ne dispose pas de l’aide de parents ou de proches.

À ce premier facteur, s’en ajoute un deuxième, à savoir le déclassement des diplômes. Louis Chauvel démontre que l’inflation scolaire n’a pas été suivie d’effets en termes d’emploi. À diplôme égal avec leurs aînés, les plus jeunes générations exercent des emplois moins qualifiés et ne correspondant donc pas à ce qu’elles étaient en droit d’attendre. Cette dégradation suscite du ressentiment et des « traumatismes sociaux ». Les bacheliers d’aujourd’hui accéderaient ainsi à des métiers que leur ouvrait autrefois le BEPC.

Enfin, il faut ajouter une « aliénation politique ». Cette situation de la jeunesse fait l’objet d’un déni. Parmi les explications avancées par l’auteur, le vieillissement du corps représentatif révèle bien cette fracture. L’auteur analyse bien la rupture de transmission qui s’instaure ainsi, tout en déplorant que cette rupture annonce des lendemains sinon violents, tout du moins lourds d’intenses tensions.

Un tableau noir du déclassement

Au final, et c’est peut-être le plus inquiétant à la lecture de l’essai, le noir tableau qui se dégage suggère l’existence d’une génération sacrifiée, celle née dans les années 1950. Arrivée sur le marché de l’emploi au moment du tournant de la rigueur des années mitterrandiennes, c’est elle qui connaît un chômage de masse pour un niveau d’étude supérieur. La mobilité des classes moyennes dans leur ensemble s’exerce ainsi vers le bas de l’échelle sociale.

Or la question des inégalités est une question brûlante. Une situation de déclassement systématique entraîne des réactions violentes. Face aux dégradations sociales et aux blocages institutionnels, la gestion de la situation reste à définir. Les promesses du candidat François Hollande, à savoir mettre la jeunesse au centre de son action diplomatique, n’ont pas été assumées par le même président devenu durant son quinquennat.

Que faire contre le déclassement ?

La première remarque que l’on peut formuler à propos de l’essai et de ses 40 graphiques est qu’il faut prendre au sérieux le déclassement que connaissent aujourd’hui les classes moyennes. Que l’on apprécie ou pas la posture, il semble trop facile de balayer d’un revers de la main le constat que fait Louis Chauvel.

Le lecteur peut être gêné du ton apocalyptique que prend parfois l’auteur et de ses appels incessants à un discours de vérité. Il nécessite, néanmoins, une discussion de la situation pour se mettre d’accord sur le diagnostic et arrêter de constamment minimiser les dégâts sociaux. Il semble à tout le moins un peu léger de parler de peur du déclassement sans s’interroger sur sa réalité. À cet égard, les classes moyennes et la question d’une fracture sociale générationnelle constitueront, plus que jamais, un des enjeux de l’élection présidentielle de 2017.

Sur le plan des mesures concrètes, l’auteur appelle les jeunes générations à prendre leur destin en main. Cela passe notamment par le départ à l’étranger et par le souci d’impulser une dynamique à la jeunesse, de retrouver une « jeunesse inventive ». L’important est avant tout de sortir du syndrome de Stockholm qui bloque la société française.

Sur le web

  1. Louis Chauvel, Les Classes moyennes à la dérive, Paris, Seuil, 2006.
  2. On se permettra ici de faire référence aux travaux de la Fondapol sur les classes moyennes, particulièrement suggestifs.
  3. Les travaux de l’économiste Éric Maurin sont ici particulièrement visés. Éric Maurin, La peur du déclassement. Une sociologie des récessions, Paris, La République des idées / Seuil, 2009 ; Id. (avec GOUX Dominique), Les nouvelles classes moyennes, Paris, La République des idées / Seuil, 2012.
  4. Louis Chauvel, Le Destin des générations : structure sociale et cohortes en France du XXe siècle aux années 2010, Paris, Presses universitaires de France, 2010.
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  • Petite coquille dans la partie « Tableau noir du déclassement » : il s’agirait plutôt de la génération des années 1980, non ?

  • Le phénoméne me parait vrai et se renforce de génération en génération voir de décade en décade…et même pire le bac d’aujourd’hui n’a pas plus de valeur que le certificat d’étude même plus le bepc..
    Selon mon point de vue, nous avons crée une sorte de systéme pyramidale (comme celle de ponzi), depuis la reconstruction d’aprés guerre…
    Ce systeme a enrichi les premiers entrants et appauvri les derniers pour continuer à enrichir les premiers…
    (Sur le plan patrimoniale la valeur des biens immobilier à décuplée, une quasi garantie de l’emploi, santé à volonté, hier même avec un bepc, on pouvait acheter un bien immo et une voiture neuve à crédit et partir en vacances et consommer …)
    Cette argent « facile » a rendu ces générations capricieuses et égoïstes, hors de question de renoncer à quoi que ce soit le problème s’accroit d’autant que vivant plus longtemps la fameuse transmission patrimoniale ne se fait pas, les jeunes continuant à se faire racketter par leurs ainés..et oui il faut bien payer leur retraite (avec cette angoisse pour ceux qui cotisent, que probablement eux même n’en auront pas….)…
    Le problème devient encore plus épineux quand on sait que l’argent de ce patrimoine est parti, via les contrats en assurances-vie, ou les fonds de pensions, , dans le capital des entreprises, nos ainés sont devenus (sans le savoir pour beaucoup) d’affreux rentiers capitalistes exigeant des reversements de dividendes de plus en plus exhorbitants (reversions des dividendes de 40% du bénéf en 1980 à 85 % en 2010…ce qui comprime les salaires, voir les fait baisser…)
    En clair les parents rentiers exploitent (sans le savoir) leurs enfants travailleurs (devenant aujourd’hui autoentrepreneurs tacheron, le cdi devenant exceptionnel)
    Observez les conducteurs de voitures neuves, au volant vous verrez des personnes d’ages avancés, les statistiques des constructeurs indiquent que plus de 70% de ventes sont faites à des retraités, ceux ci amenant leur voitures anciennes aussitôt revendu aux jeunes générations qui s’en servent pour aller travailler….

  • L’ennui est ce déclassement se vérifie encore plus fortement aux Etats Unis, et plus généralement dans tous les pays développés. Comment l’expliquer ?

    • Exacte, ce phénomène de déclassement n’est pas franco – français.
      PGM plus haut à très décrit le processus.
      Alors comment renverser la situation ? c’est la question sans réponses aujourd’hui !

    • C’est l’impact de la libre concurrence qui met en concurrence des systèmes très différents.
      La baisse des secteurs industriels face à la concurrence libre mais souvent injuste notamment de la Chine fait peur : quand on a peur, on épargne, on essaie de rentabiliser les investissements au maximum.
      La mondialisation et le libre échange tels qu’ils sont envisagés actuellement,  »sans contrepartie » ne sont pas bénéfiques pour les travailleurs des pays développés : une concurrence déloyale et une chute d’activité ne font jamais le jeu des travailleurs.
      Dans un système mondial, les entreprises qui survivent (et qui vivent) ont une implantation  »au moins cher  » : pourquoi s’étonner ensuite du déclassement des populations locales ?
      Ce qui est bon, au moins à court terme, pour les populations  »mondialisées » ne l’est pas pour les autres, ancrées dans le territoire national, soumis à certaines régulations.

    • Exact – Je pense que cela s’explique par un ensemble de facteur, dont 4 importants :

      – D’abord la robotisation et l’informatisation de la plupart des métiers, fait que la société peut tourner avec moitié moins de travail, coté production, et coté idée, le système produit beaucoup moins de nouveaux besoins qu’après guerre. (Ces nouveaux besoins devant combler la rationalisation de la production).

      – L’individualisation du travail, la sous-traitance, l’effondrement des conventions collectives, fait que le peu travail restant va être monopolisé par la partie la partie de la population la plus productive et par les corporations, les autres devront se contenter de petits boulots précaires.

      – L’accumulation du patrimoine chez les classes aisés et sa rareté fait que les enfants des classes moyennes ne peuvent pas entreprendre et prendre part au système. En effet, quand les études, la maison, les crédit sont payés ou garanti par la famille, on peut prendre plus de risque, on peut entreprendre.

      – Le vieillissement de la population : les nouvelles générations doivent soutenir 2 générations de retraités, mais aussi réparer tous les dégats sociaux engendrés par les 3 points précédemment cité. Le tout avec un coût de la vie toujours plus chère. forcement le niveau de vie s’en trouve d’autant diminué.

  • Les vieux exploitent involontairement, ou du moins passivement, les jeunes, en ne le voyant pas, ou en faisant semblant de ne pas le voir.

    • Ne généralisez pas. Beaucoup de retraités audent financièrement leurs enfants et petits-enfants, même parfois pour l’achat d’un logement. Tout en devant prendre soin de leurs vieux parents parfois…

  • Je constate personnellement ce déclassement au niveau des chefs d’entreprises de tailles moyenne qui assument tous les risques et n’ont aucune considération en retour. Ce n’est pas un hasard si les jeunes ingénieurs choisissent des métiers de financiers en lieu et place des métiers pour lesquels ils ont été formés.
    Etre responsable d’une usine aujourd’hui en France, c’est être particulièrement exposé à l’administration et son code du travail délirant, au juge d’instruction qui instruise toujours à charge lorsque hélas un accident du travail se produit. Ce sont des semaines de 60 heures et être montrer du doigt par des politiciens qui n’ont jamais rien fait que de la politique.
    Nos jeunes ingénieurs quittent la France et réussissent très bien ailleurs. Cherchez l’erreur.

    • Bonjour,
      La France n’est effectivement pas optimisée pour une concurrence mondiale. L’équilibre de société est brisé par l’ouverture a la concurrence mondiale, qui n’a que faire des considérations sociales et du  »systeme » français.
      La compétitivité tant recherchée est synonyme d’un déclassement social des populations locales.
      Cette ouverture mondiale, sans règle du jeu, est naturellement pénalisante.
      Mon propos, qui peut sembler militant, n’est en fait que le constat d’une phénomène  »mécanique ».

      • Pour une famille française déclassée, trois familles ailleurs dans le monde accèdent à la classe moyenne. Je trouve ce ratio très bien N en déplaisent aux déclassés

  • Le baccalauréat pour tous a dévalorisé ce diplôme qui n’est plus représentatif d’un acquis de connaissances. La fiscalité confiscatoire détruit les patrimoines, en particulier les logements.

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