SNCF : comment surmonter le paradoxe du coût du conflit ?

SNCF : la négociation de la réforme doit être plus que jamais à l’ordre du jour du gouvernement. Mais attention, si celui-ci ne peut pas reculer, aucune partie ne doit être humiliée et perdre la face.

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SNCF : comment surmonter le paradoxe du coût du conflit ?

Publié le 19 avril 2018
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Par Michel Ghazal.

Suite au plan Juppé1 (et son inoubliable « je suis droit dans mes bottes »), tout le monde garde en mémoire les grèves à la SNCF fin 1995 début 1996 qui ont fini par paralyser le pays et obligé le gouvernement à reculer.

Vingt trois ans après, le gouvernement d’Édouard Philippe lance un nouveau projet de réforme de la SNCF en s’appuyant sur des enquêtes d’opinion indiquant que les français ont évolué et que l’opinion aujourd’hui serait favorable à des transformations en profondeur concernant cette entreprise.

Mais les syndicats, et notamment la CGT et SUD Rail, ne l’entendent pas de cette oreille. Après la Loi Travail qui, à leur grand dam, est passée quasiment sans encombre, ils souhaitent cette fois montrer qu’ils ont bien leur mot à dire et qu’ils sont les mieux placés pour défendre les droits acquis des cheminots. D’autant plus que des élections se profilent à l’horizon et la position de premier syndicat à la SNCF de la CGT est pour la première fois sérieusement menacée.

Du coup, ils se sont enfermés dans une position rigide en déclarant que seul un retrait pur et simple du projet de réforme lancé par le gouvernement les ferait arrêter leur mouvement de grève. Avec un calendrier pré-défini allant jusqu’à fin juin et encore plus s’il le faut, la manière choisie par les syndicats pour déployer leurs grèves alternant jours travaillés et jours de grèves est très innovante. Elle vise à en limiter le coût pour les grévistes mais, malheureusement, du fait que la reprise du travail se fait à chaque fois avec un certain décalage, accroît sensiblement le coût pour la SNCF.

De son côté, le gouvernement affiche de manière constante sa détermination à aller jusqu’au bout de cette réforme tout en déclarant être ouvert au dialogue. Le Président Emmanuel Macron l’a confirmé à l’occasion de ses deux interventions télévisées, cette réforme notamment sur le statut des cheminots, est indispensable pour faire face à l’ouverture imminente à la concurrence. Il a dans le même temps, assuré que l’entreprise ne sera pas privatisée, tel que le dénoncent à tort les opposants à cette réforme, et que la dette sera reprise graduellement par l’État.

Les protagonistes se retrouvent donc dans une véritable guerre de tranchées où tout changement serait inévitablement perçu et vécu comme une reculade. Ce qui le rend très difficile. D’où le blocage actuel et l’impasse dans ce conflit.

Le paradoxe du coût du conflit

Conséquence : les syndicats sont pris par le piège d’escalade qui les pousse à rejeter complètement toute proposition effectuée par le gouvernement ou bien à la minimiser. De quoi s’agit-il ?

Plus la durée de la grève s’allonge, plus le coût encouru par les grévistes, compte tenu des retenues sur les salaires, va augmenter. Ceci devrait normalement les pousser à stopper leur mouvement. Mais l’aggravation du coût subi pousse, bien au contraire, ces derniers à poursuivre leur mouvement en espérant que la partie adverse finira par céder. Ce faisant il l’aggrave encore davantage.

C’est le paradoxe du coût du conflit : en se surengagent au-delà de la raison pour éviter que les sacrifices consentis ne soient vains, les grévistes tombent ainsi dans le piège d’escalade. C’est la conscience de s’être tellement engagé qu’il devient difficile de faire machine arrière. Le choix se situe entre risquer un peu plus de temps et d’argent ou accepter une perte certaine. Ainsi, afin de ne pas concrétiser une perte, on l’augmente encore plus. Certains l’appellent le piège abscons.

Comment s’en sortir ?

Les deux parties disent haut et fort qu’elles agissent pour sauver la SNCF. Elles poursuivent donc a priori un objectif commun. Mais l’illusion d’antagonisme les empêche de le voir et de le prendre en compte.

Le conflit n’est pas dû à un problème de compréhension des propositions de l’État mais à un désaccord et une divergence de point de vue. Dès lors, le gouvernement ne doit pas considérer qu’il s’agit d’un simple problème de communication et d’un manque d’explication. Pour s’en sortir, il doit trouver une approche appropriée de négociation avec des partenaires obligés et multiples dont une partie a une culture plutôt conflictuelle de la négociation.

Pour cela, il faut commencer par trouver des alliés prêts à avancer (CFDT, UNSA …) et s’ingénier à trouver des incitations les aidant à trouver une porte de sortie honorable. Concrètement, il ne s’agit pas de céder sans contreparties en abandonnant tel ou tel point du cadre général défini et considéré comme vital. Il s’agit d’être inventif dans la recherche de solutions apportant aux syndicats un gain qui ne soit pas au détriment des intérêts portés par la réforme que le gouvernement cherche à concrétiser. Sinon, si ce dernier lâche, il encouragera à coup sûr les grévistes à la dureté, confortés qu’ils seront que durcir la grève est le seul moyen de le faire reculer.

En parallèle, bien évidemment, il doit faire un véritable effort de pédagogie et de communication vis-à-vis cette fois de l’opinion publique qui subit les effets de cette grève. Dans ce type de réforme, le gouvernement a grand besoin de ce soutien.

En conclusion

Alors que la grève à la SNCF entame sa quatrième séquence de débrayage de deux jours, le projet de loi de réforme ferroviaire a été plébiscité à l’Assemblée Nationale par 454 voix pour et 80 contre. Cette partie du texte voté porte essentiellement sur les modalités d’ouverture à la concurrence.

Pour autant, le chantier sur le plan social demeure entier car beaucoup de points restent encore à préciser. La négociation de cette réforme doit être plus que jamais à l’ordre du jour du gouvernement. Mais attention, si celui-ci ne peut pas reculer, aucune partie ne doit être humiliée et perdre la face.

Encore une fois, et quitte à nous répéter, la négociation que nous évoquons n’est pas un simple exercice technique, et ne doit être confondue avec une consultation ou une concertation. Elle est avant tout un processus politique de prise de décision, c’est-à- dire de partage de pouvoir. À bon entendeur… Il est temps qu’une nouvelle culture de la négociation puisse prendre forme au niveau social en France.

Et vous, cher lecteur et négociateur, si vous étiez leur conseil, quelles idées créatives pouvez-vous soumettre aux protagonistes de ce conflit qui les aidera à sortir de l’impasse ?

Sur le web

  1.  Circulez y a rien à négocier ! par Michel Ghazal et Yves Halifa, 1997, éditions du Seuil.
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  • Je propose une méthode simple : les négociateurs sont dans l’impasse, il suffit de les y laisser, de les désavouer et de négocier ailleurs avec de nouveaux négociateurs, représentatifs eux des salariés (ce que ne sont pas les syndicats) et des financeurs contribuables (ce que ne sont ni les dirigeants de la SNCF ni l’exécutif).

  • Se retirer totalement du capital en donnant aux cheminots la part de l’état (coopérative)… Et laisser la société vivre sa vie (ou plutôt sa mort) La coop assurera le statut et les retraites associées !

  • le problème en France quand on parle de négociations face à une entité publique ça signifie généralement renonciation et faux semblants..tenter de négocier avec des syndicats c’est comme pisser dans un violon…faut taper dedans, et ça serait marrant de voir des CRS foutre une branlée aux cheminots grévistes.

  • Le piège abscons, le gouvernement, tout comme les cheminots, est en train de tomber dedans. Il se dit qu’il ne peut pas reculer, ce serait un signe de faiblesse, et risquerait de porter atteinte à la capacité réformatrice du président. Cependant, ce faisant, l’intransigeance du gouvernement, son incapacité à sortir par le haut du conflit, de manière rapide, porte un sérieux coup aux valeurs sur lesquelles LREM s’est fortifiée : bienveillance, écoute et « enmêmetemps-isme »…
    Le duo Macron-Philippe n’a hélas plus rien à envier à Juppé.95 et plus rien à voir avec le succès de la loi Travail.
    Le problème est qu’en France, le mot « négociation » est un gros mot pour le gouvernement. Il lui préfère, et encore sous la torture, le mot « concertation ».
    D’une manière générale, la démocratie fonctionne de manière discontinue en France : quelques semaines autour des élections et puis après, pffuit !

  • Quelles idées créatives à soumettre aux protagonistes de ce conflit pour les aider à sortir de l’impasse ?

    LE MIEUX EST QUE CHACUN CAMPE SUR SES POSITIONS AFIN DE :
    -1- LEGITIMER LE RECOURS À DES SOCIÉTÉS PRIVÉES CONCURRENTES POUR LE TRANSPORT FERROVIAIRE ET LAISSER EMERGER LES SOLUTIONS ALTERNATIVES DE TRANSPORT.
    Avec l’ouverture à la concurrence, les lignes et les horaires seront décidés en fonction de l’affluence des clients qui seront capables de payer le prix qui permet d’équilibrer le coût de leur voyage, afin de ne pas avoir besoin de subvention (et donc d’impôt) pour rester économiquement viable.
    Avec des lignes rentables, et moins de trains vides qui circulent, les conducteurs de trains pourront être mieux payés, et le prix des billets pourra rester économiquement concurrentiel par rapport aux autres modes de transport.
    -2- LAISSER LA SNCF FAIRE FAILLITE ET EN FINIR UNE BONNE FOIS POUR TOUTE AVEC LA GESTION DEFICITAIRE ETATIQUE (qui est la cause principale des déficit accumulés année après année) ET LES RÉGIMES SPÉCIAUX DE LA SNCF (qui ruine la compétitivité de la SNCF et ne lui laissera aucune chance au moment de l’ouverture à la concurrence).

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