Idée reçue : « Il nous faut un État stratège »

Tous les candidats à la présidentielle ne parlent que d’État-stratège : mais qu’est-ce que l’État stratège ? Est-il vraiment nécessaire à la conduite de notre économie nationale ?

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Idée reçue : « Il nous faut un État stratège »

Publié le 15 mars 2017
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Par Eddie Willers.

L’actualité nous a offert son lot de mesures prises à la va-vite censées répondre à la grogne de certaines franges de la population (enfin du moins celles qui arrivent à se faire entendre). L’exemple le plus criant a peut-être été celui d’Alstom. Afin d’éviter non pas le licenciement mais le déplacement de 400 emplois de Belfort vers l’Alsace voisine, le gouvernement avait décidé de dépenser 500 millions d’euros et d’acheter de magnifiques rames TGV qui rouleront sur des lignes jusque-là couvertes par des TER ou des Corails.

Faites un rapide calcul vous obtenez un coût par emploi « protégé du déplacement » de 1,25 millions d’euros. Le gouvernement rétorquera que ce sont aussi les emplois chez les sous-traitants qui ont aussi été sauvés. Sauf que rien ne dit que ces sous-traitants n’auraient pas continué à travailler avec le site alsacien du Groupe. Nous sommes donc bien face à des montants faramineux face à ce que nous appellerons abusivement des « sauvetages d’emplois ».

Après moi le déluge

Le tout ne règlera que la situation pour 3 ans, temps estimé pour mener à bien la construction de ces rames commandées. Rendez-vous dans 3 ans avec la même situation !

Alstom est donc le symbole de ce que l’État fait de pire en tant qu’actionnaire : le déplacement de site était prévu depuis plusieurs mois mais nous avions l’impression que le gouvernement découvrait l’annonce. Confronté à cette situation et face à la pression médiatique, l’État réagit, bricole et propose une solution coûteuse pour le contribuable, et qui ne règle pas le problème (encore une fois faut-il parler d’un problème d’ailleurs…).

Tous les candidats à la présidentielle dont j’ai eu l’occasion de lire/entendre les programmes ont tous appelé de leurs vœux une refonte de l’État stratège. Qu’entend-on par État stratège ? Nous considèrerons que l’État en tant qu’actionnaire impulse par sa vision de grands projets industriels qui permettront à la France de rayonner à travers le monde et de créer des emplois et de la croissance de façon durable.

L’État actionnaire détruit la valeur

Nos hommes politiques de tous bords invoquent les succès du TGV, du Concorde et des programmes nucléaires civils pour étayer leur thèse qu’un État stratège est nécessaire pour rétablir la France sur la voie de la prospérité. En réalité, loin de permettre cette croissance, l’État actionnaire détruit de la valeur par son manque de vision et des objectifs désalignés avec ceux de l’entreprise.

Reprenons les exemples cités ci-dessus. On nous annonce le TGV comme une réussite française. En réalité sur les 650 TGV commandés dans le monde entre 1981 et 2009, 540 l’ont été par l’État français. Peut-on réellement parler d’une réussite quand 83 % des acquisitions ont été financées par le contribuable français ? D’autre part, la France du tout-TGV est aussi celle qui a peu à peu délaissé des petites gares de provinces inadaptées au géant des rails.

Abordons maintenant le cas du Concorde, superbe réussite qui est malheureusement rentrée au hangar en 2003 après avoir été vendu à… 20 exemplaires en l’espace de 27 ans d’exploitation.

Le gaspillage du nucléaire

Parlons enfin du savoir-faire français en matière de nucléaire pour lequel la situation actuelle peu enviable d’EDF et Areva, les deux mastodontes du nucléaire français ne sont peut-être que la partie émergée de l’iceberg. Les coûts d’allongement de la durée de vie des centrales et de leur possible démantèlement ont été largement sous-provisionnés par EDF. Le lancement du projet Hinkley Point dont nous savons déjà qu’il sera largement hors-budget ne devrait faire qu’accroître la déconvenue.

Ce que les médias nous présentent comme des réussites de l’État stratège ne sont en réalité que des écrans de fumée. Ils masquent des ratés encore plus énormes comme le Plan Calcul ou le Cloud Souverain. Au travers de Cloudwatt et Numergy, l’État voulait faire émerger deux acteurs français dans le secteur du cloud-computing afin de protéger les données des utilisateurs français face aux méchants américains Google, Microsoft et Amazon. 150 millions d’euros injectés en 2012 pour un dépôt de bilan 3 ans après. Une réussite fantastique !

Epic fails chroniques

Pourtant une rapide analyse du marché du cloud aurait permis de se rendre compte rapidement que l’avance prise par les géants mondiaux était irrattrapable du fait de leur rapport coût/capacité de stockage ridiculement faible et leur simplicité d’utilisation.

Ces epic fails chroniques étaient prévisibles pour une simple et bonne raison : l’État ne peut être un bon actionnaire ni un bon investisseur. Pourquoi ? Parce qu’il n’investit pas son argent mais celui d’un contribuable auquel il ne rend aucun compte.

Un actionnaire n’a qu’un seul but : maximiser son rendement sur un investissement soit au travers du versement de dividendes soit au travers d’une appréciation du cours de bourse. Pour cela, la société doit adopter une stratégie génératrice de croissance et de cash-flows sur le long terme.

Plusieurs lièvres à la fois

L’État court, lui, après plusieurs lièvres à la fois. Il souhaite recevoir des dividendes pour améliorer son budget, il doit dans le même temps préserver les emplois en France au risque de s’attirer la grogne des syndicats. Il doit aussi limiter la rémunération des dirigeants afin d’éviter qu’elle ne choque l’opinion, même si cela implique de ne pas pouvoir recruter/garder les meilleurs talents. L’équilibre entre tous ces éléments est impossible.

À titre d’exemple, l’État est actionnaire à la fois d’Airbus, fabriquant d’avions vendus à…  Air France dont il est aussi actionnaire. Vendre des Airbus plus cher impactera négativement Air France et inversement. Quelle participation favoriser dans ce cas ? Les dirigeants des deux sociétés seront en permanence dans le flou et ne pourront jamais établir un plan à long terme face à la versatilité de celui-ci.

Un investisseur collectant de l’épargne auprès de particuliers doit leur rendre des comptes. Si les investissements ne rapportent pas assez aux goûts de ces derniers, ils peuvent lui retirer la gestion de leur épargne et aller voir ailleurs. Cela pousse ces derniers à donner le meilleur d’eux-mêmes pour offrir les meilleurs placements à leurs clients. Pour l’État il n’en est rien, les contribuables sont obligés de payer leurs impôts, l’État n’a donc aucun incentive à correctement gérer l’argent qui lui est confié. Il peut alors le dilapider à sa guise.

Alternance électorale et clientélisme

D’autre part, l’État qui se présente comme un actionnaire de long terme doit jouer avec l’alternance entre gouvernements de gauche et de droite n’ayant pas la même vision du rôle d’une entreprise. Rajoutez à cela une dose de clientélisme électoral qu’il faut satisfaire à l’approche de chaque élection et vous obtenez un actionnaire sans vision stable, ni ambition pour une société.

Plus l’État s’immisce dans la gestion d’une société plus il désaligne les intérêts. S’opposent alors un management qui doit réaffecter des ressources entre différents sites pour préserver la croissance à long terme d’une société et des salariés qui utilisent le levier étatique pour s’y opposer.

Alors qu’il est censé représenter l’intérêt général, l’État ne représente que son propre intérêt. En fonction des circonstances, il peut demander des dividendes lorsque les déficits dérapent, des maintiens d’emplois pour préserver sa cote de popularité dans l’opinion, d’investir dans un projet non rentable pour améliorer son image à l’étranger. Parfois les trois en même temps…

Il est enfin surprenant de remarquer que les sociétés qui défraient le plus souvent la chronique pour leur apparente mauvaise ambiance de travail ont l’État comme actionnaire : Orange, SNCF, Alstom, Air France… Encore une fois, les employés ne comprennent pas la stratégie de leur groupe, les intérêts des uns des autres ne sont pas alignés, tout cela ne permet pas de travailler dans la sérénité.

Au final, les politiques qui affirment que l’État actionnaire est au service de l’intérêt général se trompent/vous mentent (rayez la mention inutile) : il n’est qu’au service de son intérêt propre, variable en fonction des circonstances. De toute façon, il n’est absolument pas au service du contribuable que vous êtes.

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  • Excellent article! Je serais peut-être un peu moins dur sur le nucléaire (du moins pour l’orientation qui avait été prise et qui visait à favoriser cette technologie). Mais il s’agirait en tout état de cause de l’exception qui confirme la règle!

    • Sur le nucléaire je pense qu’il y a clairement 2 époques. Dans la première, il y a eu création de capacité et acquisition de compétences, certaines étant uniques au monde.
      Dans la seconde, qui est celle dans laquelle nous sommes, le sujet n’est absolument plus géré, une bonne partie des connaissances acquises sont sacrifiées au nom de la réduction des coûts ou suite au départ à la retraite non anticipé de ceux qui les avaient, les technologies sont vendues pour récupérer rapidement du cash sans aucune vision de long terme, bref, on assiste à la grande braderie d’un patrimoine constitué depuis les années 60.
      Pour le futur il sera toujours temps d’acheter la technologie chinoise. À ce moment, les pastèques auront gagné sur toute la ligne.

  • Combien l’Etat-stratège gagne en dividendes des 44 milliards de dette de la SNCF ? Il doit bien se servir sur le dos de quelqu’un, non ?

    « Etat-stratège » : avec 2000 milliards de dettes, et encore plus à venir… Y en a qui n’ont pas honte. « Etat-stratosphérique », plutôt.

  • Amusant le détail sur les TGV vendus (83% à l’état !), c’est un peu comme si Appel annonçait le succès de l’Iphone et qu’au final nous nous apercevrions que +80% des ventes auraient été faites avec une filiale d’Appel. Bref, c’est ridicule.

  • C’est amusant de lire cet article sur l’état français, car j’ai lu pratiquement la même chose sur l’Europe dans un éditorial hollandais.
    Et les raisons de l’échec sont les mêmes ici que dans l’analyse faite part le journaliste sur Bruxelles (clientélisme politique, manque de compétence des décideurs et dans la mise en oeuvre, destruction de valeurs par méconnaissance, vision à court terme ou limitée)
    Qui a copié sur qui?
    Les résultats (ou leur absence) sont identiques et éloquents!!

    • @Bago
      Bonjour,
      L’Europe souffre du même mal que la France : le communisme.
      L’Europe, ou L’Union Européenne est une entité communiste : la libre circulation des biens et marchandises, des capitaux, des personnes, n’est plus d’actualité. C’en était pourtant le fondement.
      Et comme en France, aucun compte à rendre, vu qu’à Bruxelles, ils sont encore plus haut perchés.

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