Quand les politiques veulent décider de l’heure de début du film du soir

Une proposition de résolution veut réguler l’horaire des films en soirée. Mais est-ce vraiment le rôle de l’État de s’immiscer dans notre vie privée ?

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Quand les politiques veulent décider de l’heure de début du film du soir

Publié le 18 septembre 2023
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« En 12 ans, l’heure de début du film du soir a été repoussée de 29 minutes, de 20 h 38 à 21 h 09. »

C’est inadmissible. Enfin, pour le député du Loiret Thomas Ménagé, c’est inadmissible. Tellement inadmissible qu’il a décidé de proposer une loi pour y mettre fin.

 

Enfin, non, pas une loi : une « proposition de résolution, visant à enrayer la tardivité de la diffusion des programmes audiovisuels de première partie de soirée. »

La tardivité, ça claque, ça fait savant. Sauf que, dans le dictionnaire, la tardivité, c’est la qualité d’un végétal tardif, sa capacité à s’épanouir quand on le plante en fin de saison. Mais passons sur cette bizarritude, tardivité, ça sonne mieux que : règlement, formulaire, déclaration, verbalisation, amende, menotte, prison.

Un problème : une loi. Une loi : des fonctionnaires pour la mettre en application. Des fonctionnaires : des procédures absconses et le chausse-pied qui va avec pour y faire entrer les Français.

 

Le rôle de la politique

Passons rapidement sur le fait que pratiquement plus aucun film n’est diffusé en soirée, et que les séries et divertissements raflent largement l’audience : sur la semaine du 28 août au 3 septembre 2023, les cinq principales chaînes ont diffusé cinq films, dont deux le dimanche soir…

Passons également sur le fait que l’on compte plus d’abonnements internet que de foyers, que 65 % des Français sont abonnés à au moins une plateforme de streaming, et donc qu’une large majorité de la population a donc accès à la vidéo à la demande, soit sous forme de location, d’achat, d’abonnement ou de replay, ce qui lui permet de fixer l’heure de visionnage du film…

Passons enfin sur le fait qu’on est loin du temps où les sirènes des usines annonçaient l’embauche à 6 heures du matin et la cloche de l’école sonnait à 7 heures et demie : même en dehors du clair décalage des horaires de travail, les Français ne travaillent pas tous de 9 heures à 17 heures

Passons sur ces évidences qui indiquent qu’en réalité, seule une minuscule minorité est réellement gênée par l’heure de diffusion tardive des rares films diffusés à la télévision, pour nous poser finalement cette question : est-ce effectivement le rôle de la politique de s’occuper de la vie privée des gens ?

 

Hiérarchisation des problèmes

N’y a-t-il pas d’autres problèmes, plus importants, plus impactants, plus graves ?

Ceci dit, il vaut peut-être mieux que les députés passent leur temps à s’occuper des horaires de télévision, plutôt que de problèmes plus importants, compte tenu des résultats qu’ils peuvent parfois obtenir (ou ne pas obtenir) lorsqu’ils se piquent d’en trouver et de les régler.

À quand une proposition de résolution visant à fixer l’heure du petit-déjeuner et le nombre de tartines pendant qu’on y est ? On a déjà eu droit à l’organisation du plan de table à Noël !

C’est vrai quoi : c’est inadmissible cette mode anglo-saxonne de manger des céréales le matin et de risquer ainsi de voir disparaître à terme la bonne baguette française ! Sauf que c’est sans doute plus le prix actuel de la baguette (et le prix de l’électricité pour la cuire) qui risquent de la faire disparaître, mais passons, encore une fois…

 

Hiérarchisation des solutions

Ou restons sur le sujet, justement ! Voilà sans doute un exemple qui illustre parfaitement comment les pires maux découlent des meilleures intentions.

Le prix de la baguette, voilà un sujet qui intéressait les Français et qui inquiétait le gouvernement. Vous vous souvenez ? Il y a à peu près un an ? Nous allions tous mourir de faim, et de froid le matin : la hausse du prix du blé et la dépendance au gaz russe allaient mettre sur la paille des milliers de boulangers et faire disparaître la fameuse baguette qui venait juste d’entrer au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Les politiques ont donc décidé quasi unanimement qu’il fallait donner un coup de main aux boulangers en péril. Résultat un an plus tard : les rares artisans boulangers survivants sont loin d’être sortis du pétrin, et en dehors des chaînes et de la grande distribution, la baguette est presque devenue un signe extérieur de richesse.

Personne n’avait prévu qu’obliger de renégocier les contrats en y ajoutant une clause de continuité de service allait déboucher sur une augmentation des prix…

 

Économie administrée 

Idem pour les produits de grande consommation et la mise en place d’un mécanisme de régulation des prix (les lois ÉGAlim 1, ÉGAlim 2, ÉGAlim 3, etc.) censé pallier les errances du marché…

Comparaison n’est pas raison, et simultanéité n’est pas causalité, mais depuis le 1er novembre 2018 et la mise en place de ce mécanisme censé « équilibrer les relations commerciales dans le secteur agricole et produire une alimentation saine et durable » on constate la typique courbe en U des prix alimentaires que l’on constate à chaque tentative d’administration économique : baisse des prix dans un premier temps, puis envolée subite.

Mais ce n’est pas grave me direz-vous : à chaque problème une solution.

On connaît la solution politique : quand ça marche : taxez ; quand ça commence à tousser : régulez ; quand c’est dans la panade : subventionnez ; on pourrait ajouter, quand il n’y a plus rien à faire : cherchez un coupable pour embrouiller les explications.

La prochaine fois que vous verrez le prix de votre caddie s’afficher, ouvrez grand vos poumons pour sentir la bonne odeur de l’économie régulée !

 

Le rôle de la politique (2)

Ne l’oublions jamais, le rôle, la fonction, la charge de l’État est de combattre la violence dans la société. Il dispose pour cela d’un monopole légal afin de répondre aux violences faites aux citoyens et ainsi garantir les droits de l’Homme : la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. Tout cela est explicité en termes très simples dans la Constitution, plus précisément dans les articles 2 et 12 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen.

Il n’est prévu nulle part d’utiliser la violence légale pour autre chose.

Déjà que ces principes sont d’immenses concessions faites à ce qui est admissible d’un point de vue moral ! Admettre l’existence d’un maître qui disposerait de la coercition et de la violence selon son bon vouloir, même si ce dernier est soumis à des processus de limitation et de vérification, même si le but de l’usage de cette violence est précisément d’empêcher la violence… tout cela est vraiment discutable.

Mais dans le cas présent, pourquoi une loi ? Pourquoi faire une loi, et donc mettre en œuvre tout l’arsenal répressif et juridique qui l’accompagne, afin de régler l’horaire de diffusion des films à la télévision ? Quelle menace fait peser sur la société, sur la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression, le décalage de 29 minutes du film du soir ?

 

Droits et devoirs

L’État possède des droits que les individus n’ont pas.

Il a le droit de les priver de leur liberté, de confisquer une partie de leur propriété, de les faire taire, de les contraindre à certaines tâches, de les faire travailler sans rémunération… L’État a le droit d’utiliser ces contraintes parce que son recours à la violence est codifié et régulé par la règle de la loi qui fait que toutes ses actions doivent se placer dans le cadre légal, et uniquement dans ce cadre.

Cette légalité est faite pour limiter les débordements, pour éviter que l’État ne dérive et ne devienne arbitraire, pas pour écorner petit à petit cette condition, et lui donner des mandats étendant chaque jour un peu plus son action.

L’usage de la violence est toujours discutable, même quand il est légal, même quand il est justifié, même quand il est contrôlé, même quand il semble objectivement indispensable.

Les droits consentis à l’État appellent à des devoirs. Et le premier d’entre eux est d’utiliser avec retenue, parcimonie et modération cette violence légale : d’éviter de s’en servir pour tout et n’importe quoi, au gré des campagnes électorales ou des réactions à l’actualité.

La première des qualités que l’on demande à ceux qui sont appelés à des postes de pouvoir, c’est de mesurer l’ampleur de la responsabilité qui leur est dévolue.

 

Populisme et démagogie

Il n’est nullement question de faire un procès en démagogie ou en populisme.

Tous les partis, tous les politiciens veulent prouver l’utilité de leur action. On mesure bien le procès en impuissance qui frappe l’État et la classe politique, chaque jour depuis des années.

Mais si l’État est si vivement critiqué pour son impuissance, si les politiciens sont aussi avides de prouver leur utilité, c’est peut-être tout simplement parce qu’il a pris au fil du temps d’immense liberté avec sa mission initiale, et que dès qu’il sort du périmètre de la régulation de la violence, il entre directement en concurrence, voire en conflit avec les individus.

Est-ce vraiment raisonnable de mobiliser la force publique, de faire appel à tous les moyens de contraintes dont l’État dispose au moindre problème qui surgit, à la moindre revendication, à la moindre lubie, à la moindre indignation ?

Non, la force publique doit impérativement rester dans le domaine qui lui a été dévolu et les représentants élus devraient être les premiers à veiller à ce que l’État ne déborde pas du cadre qui lui a été fixé.

Il faut remettre l’État à sa place.

Et sa place n’est clairement pas d’utiliser la violence légale pour contraindre les acteurs économiques à respecter les lubies des uns et des autres, de permettre à certains nostalgiques d’obliger la population à se coucher avec les poules, comme au bon vieux temps des soirées aux chandelles au coin du feu dans la chaumière perdue au milieu des champs.

Tout le monde a le droit d’être nostalgique. Mais il y a des séries télévisées dans des manoirs anglais et des parcs d’attraction en Vendée pour revivre ça.

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  • Pour que Macron passe à 20h sur toutes les chaînes en même temps, il suffit d’un claquement de doigts, et pour que le film commence à 20h30, il faudrait une loi ?

  • La Résistance à l’oppression est [comme les 3 autres] un Droit de citoyen, pas celui de l’Etat qui n’a que des devoirs.
    L’Etat exerce une partie du pouvoir : la branche Exécutive. L’Etat français s’est accordé l’exercice des autres branches via le 49.3, des décrets, pour la branche Législative, plus la main mise sur la branche Judiciare en la mettant sous sa tutelle via le ‘ministère’ et son ministre.

    Vu que la Résistance à l’oppression est un des Droits et que l’Etat a le devoir de garantir, de conserver, ces Droits, il ne peut pas disposer de monopole de la violence ce dernier empêchant les citoyens de résister à toute oppression eux-mêmes. Or, il n’y a jamais rien eu de plus dangereux, néfaste pour un Peuple que son propre gouvernement/État (le siècle dernier en est une quintessence et fourmille d’exemples).
    La plupart des gouvernements du monde ont été prompts à retirer à leurs populations le droit aux armes, mais ils sont très prompts à les armer dès que ca sent le roussi pour leurs seants.
    Le rôle de l’Etat, sa seule mission, est de protéger la population des menaces, des ennemis intérieurs (police) et extérieurs (armée, diplomatie).

  • Il fut un temps où le film, ou autre émission du soir, commençait à 20h30. Il n’y avait pas de publicités et autres émissions destinées à retarder le début de la première partie de soirée. Si vous n’aviez pas encore sommeil au moment d’aborder la seconde partie de soirée et si vous pensiez que rester devant votre écran pour la voir vous pousserait trop tard, vous pouviez toujours ouvrir un bouquin. Et vous n’arriviez pas « zombifié » au boulot le lendemain matin.
    Heureusement, de nos jours, beaucoup d’émissions bénéficient du « replay ».

  • C’est l’avantage d’être élu. Remettre l’heure du début du film à 20:30 permet à notre élu couche tôt de se coucher à 22:30. Il y a quand même des problèmes importants à régler en France !

  • certes ridicule MAIS…
    l’essentiel de l’action politique relève du même mécanisme…
    si ce n’est e pas arbitraire pas besoin de politique…

    il faut supposer que le téléspectateur ne peut pas jouir de son droit de boycott..et qu’il regarderait le film même si il passe à deux heure du mat..

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