« Les dix mille commandements » et le coût de l’inflation normative

Le coût de la réglementation fédérale américaine a été évalué à 1939 milliards de dollars pour 2022, mettant en évidence l’omniprésence de l’État dans la vie quotidienne.

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« Les dix mille commandements » et le coût de l’inflation normative

Publié le 22 décembre 2023
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Un article de Pierre Garello

Les inflations législative et réglementaire se payent cher. Combien au juste ? Il est difficile de le dire mais toute politique publique qui se veut raisonnable devrait a minima tenter d’anticiper et d’évaluer ces coûts assimilables par leur nature et leurs effets à un impôt. Le Competitive Enterprise Institute basé à Washington D.C. a évalué à 1939 milliards de dollars le coût de la réglementation fédérale américaine pour 2022, et identifie les mécanismes qui permettraient de juguler cette inflation.

L’État est omniprésent dans nos vies. Un chiffre en donne la mesure : celui du montant des dépenses publiques rapporté au PIB. Il est pour la France tristement connu : 58,3 % en 2022 ! En pratique, cela signifie que 58,3 % des richesses créées en France au cours de cette année ont été affectées à tel ou tel usage sur décision d’une instance publique, que ce soit un conseil municipal, l’Assemblée nationale, un conseil départemental, ou encore un organisme de gestion de la Sécurité sociale. Un type de décisions qui s’impose donc à tous les citoyens. Autre chiffre parlant : celui du montant des prélèvements obligatoires. Il est souvent – à jamais semble-t-il dans le cas de la France ! – inférieur au chiffre des dépenses publiques, c’est-à-dire que le pays s’endette pour financer ses dépenses (45,4 % en 2022).

Ces chiffres sont déjà impressionnants, mais ils ne suffisent pas à donner la pleine mesure de l’omniprésence de l’État. Il y a d’autres constats au plus haut point inquiétants. Car l’État ne se contente pas de taxer et de redistribuer, il utilise également son pouvoir pour règlementer la quasi-totalité de nos activités.

 

Des études d’impact… sans aucun impact

Le parallèle entre réglementations et prélèvements obligatoires est clair. Dans les deux cas il y a coercition, et donc potentiellement baisse du bien-être du citoyen. Des permis de construire suspendus pour raisons pas toujours très bien justifiées, aux obligations diverses et variées surgissant comme des champignons sous la pluie, la vie quotidienne se trouve de plus en plus encombrée de contraintes dont il n’est pas toujours aisé d’évaluer les effets. Ceux-ci sont d’ailleurs parfois imperceptibles, ou enrobés de tellement bonnes intentions, santé, sécurité, qu’on finit par les trouver presque normaux. Ils sont surtout, dans un très grand nombre de cas très mal évalués, les dysfonctionnements nombreux que tout un chacun peut constater, dans tous les domaines, le prouvent.

Ce laxisme conduit à une multiplication de réglementations inefficaces, celles dont les coûts sont supérieurs aux bénéfices. Le législateur français en est d’ailleurs vaguement conscient puisqu’il a voté en 2009 une loi organique qui instaurait l’obligation de joindre une étude d’impact à certains projets de loi. Ces études ont montré leurs limites : elles ont servi beaucoup plus à encenser un projet de loi et faire ressortir ses potentiels effets positifs, qu’à en évaluer les inconvénients et les risques. Ainsi, dans l’exposé des motifs d’une nouvelle loi organique préparée par le Sénat en 2017 (qui, semble-t-il, n’a pas abouti) pouvait-on lire le constat suivant :

« Les effets de [la loi organique de 2009] sont loin d’être concluants. [On] relève la « désinvolture  fréquente avec laquelle les études d’impact de nombreux projets de loi sont élaborées » et estime que les nouvelles obligations n’ont « nullement remédié à la crise de la production législative ». Le Conseil d’État a reconnu que « l’étude d’impact est généralement élaborée après le texte normatif ». Dans son rapport intitulé Simplifier efficacement pour libérer les entreprises, la délégation sénatoriale aux entreprises a précisé le diagnostic et déploré que les études d’impact soient « conçues comme une formalité juridique plutôt que comme un outil d’aide à la décision publique » … »

En réalité, la contrainte introduite par la loi organique du 15 avril 2009 s’est révélée plus formelle que réelle.

 

Le coût des réglementations fédérales aux États-Unis

Face à cette impuissance des pouvoirs publics il est urgent que la société civile, par le biais notamment de ses think tanks, prenne le relai. C’est pourquoi nous sommes reconnaissants aux économistes du Competitive Enterprise Institute (CEI) de l’immense travail qu’ils réalisent et qui leur permet, pour la 28e année consécutive, de publier leur rapport sur le coût de la réglementation fédérale aux États-Unis, un rapport fort habilement intitulé « Les dix mille commandements ».

On y apprend qu’à Washington, l’inflation normative se porte bien. Pour l’année 2022, le nombre préliminaire de pages du Federal Register est 80 756, en augmentation de 10 % par rapport à 2021. Depuis 1976, première année de publication du Federal Register, 215 405 règlements ont été publiés. Parallèlement, le Code des réglementations fédérales, bien que ne comptabilisant pas certaines règles, ne comporte fin 2021 pas moins de 188 346 pages (contre seulement 22 877 pages en 1960 !), et cela en sus du Code des États-Unis qui comptabilise de son côté toutes les lois, permanentes et générales. Le nombre total de règles adoptées au cours de la deuxième année du mandat Biden s’élevait à 3168 ; avec 2964 règles en 2019, Donald Trump avait atteint le plus bas record depuis le début de la tenue de ces registres, le seul qui ait été inférieur à 3000.

Plus intéressante que le nombre de pages et de règlements est l’évaluation du coût pour les ménages et les entreprises qu’impose le respect de ces innombrables textes fédéraux. Le CEI l’évalue à 1939 milliards de dollars, soit près de 7,4 % du PIB des États-Unis ; et lorsqu’il s’ajoute aux dépenses (6270 milliards), la part du gouvernement fédéral dans l’ensemble de l’économie atteint 31,4 % du PIB.

Ainsi, ce que les auteurs baptisent du nom de « taxe réglementaire cachée » rivalise avec les recettes de l’impôt sur le revenu des particuliers (2263 milliards de dollarspour 2022) et dépasse très largement les recettes de l’impôt sur les bénéfices des sociétés (382 milliards de dollars). Pour les ménages, cette taxe réglementaire représente 14 514 dollars par an, un montant qui dépasse tous les postes du budget des ménages, à l’exception du logement.

 

Comment combattre cette inflation

Le rapport du CEI ne se contente pas de dresser un bilan de la réglementation, il pointe aussi l’une des sources principales du problème : les législateurs n’effectuent plus leur travail et délèguent leurs pouvoirs à une légion d’agences en tout genre.

« Au cours de l’année civile 2022, alors que les agences ont publié 3168 règles, le Congrès a promulgué 247 lois. Ainsi, les agences ont publié 13 règlements pour chaque loi adoptée par le Congrès. Cet « indice d’inconstitutionnalité » – le rapport entre les réglementations émises par les agences et les lois adoptées par le Congrès et signées par le président – met en évidence la délégation bien établie du pouvoir législatif aux responsables non élus des agences. Le ratio moyen au cours des 10 dernières années est de 22 règlements pour chaque loi. »

Le président Biden affirmait en 2022 devant la Convention de l’AFL-CIO qu’il ne voulait plus entendre « ces mensonges sur les prétendues dépenses insouciantes car (sic) nous sommes en train de changer la vie des gens ! ». Pour lui c’est évident : quand on aime on ne compte pas. Mais il a tort. Si nous voulons retrouver une nation prospère, il est grand temps de se mettre à compter, y compris ce que nous coûte la réglementation. Alors, messieurs les législateurs : au boulot !

Sur le web.

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  • « Alors, Messieurs les législateurs : au boulot ! »
    Comme le disait Einstein, on ne peut résoudre un problème avec ceux qui en sont à l’origine.
    Seul un trublion complètement hors système accompagné de toute une équipe de même provenance pourrait peut-être changer la donne. Et encore, il devra s’opposer à la quasi totalité de la structure administrative qui vit de cette inflation normative. C’est pour cela qu’une évolution « douce » me paraît impossible. Il faudra plutôt renverser la table pour ne pas laisser la possibilité aux structures étatiques de saboter le travail. Un peu ce qui semble s’amorcer en Argentine. Cependant, même en Argentine, il va y avoir de telles pressions et oppositions de la forte minorité de ceux (intra ou extra nationaux) qui avaient avantages à faire perdurer le système que c’est très très loin d’être gagné.
    Et pour que la population d’un pays comme la France biberonnée au socialisme accepte un renversement de la table, il faut que la situation sociale et économique soit proche de l’effondrement (comme en Argentine). On y est pas encore et de loin même si on s’en rapproche. La classe moyenne française a de gros soucis à se faire…

    • L’évolution au cours des 3 années passées laisse penser que pour les présidentielles, dans 3 ans aussi, on y sera.

      • Pour certaines choses, peut-être.
        En matière d’inflation et de dégradation économique, il faudra encore un peu de temps. Ne serait-ce que parce que la France est dans l’EU qui a les moyens de la contraindre à prendre qq demi-mesures qu’elle-même ne respectera qu’à moitié mais qui retarderont l’échéance. Demi-mesures qui, vu l’indigence des connaissances économiques de nos concitoyens, permettront à nos gouvernants de faire reporter leur responsabilité de la situation sur l’EU. Ce sera tjrs du temps de gagné pour eux.
        J’espère me tromper mais quand je regarde ces 20 dernières années, je ne trouve pas bcp d’éléments pour espérer.

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