L’enfer est pavé de bonnes intentions (18) : la loi, ennemie du droit

À trop légiférer, ne finit-on pas par nuire à la justice et aux libertés ? Lorsque la loi devient l’ennemie du droit, un sujet traité par Patrick Simon avec brio.

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daumier gens de justice credits jean-lous mazières (licence creative commons)

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L’enfer est pavé de bonnes intentions (18) : la loi, ennemie du droit

Publié le 23 octobre 2014
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 Par Johan Rivalland

Ainsi que nous avons déjà eu l’occasion de l’évoquer ici-même au cours de deux de nos volets précédents sur des sujets voisins, on a de plus en plus tendance, en France, ces dernières années, à prendre conscience puis à déplorer la multiplication erratique des lois en tous genres, réglementant tous les aspects de la vie des gens jusqu’à l’excès, tout en ne cessant dans le même temps de proposer chaque jour de nouvelles réglementations.

En 2005, Patrick Simon éditait un ouvrage qui est resté, pour moi, une référence. Une réflexion de fond et fort utile de la part d’un praticien en la matière, mais dont je ne saurais résumer suffisamment bien les éléments essentiels, n’ayant pas pris de notes à l’époque de sa lecture. Un essai que je serai probablement amené à relire un de ces jours, si je parviens à en trouver le temps ou si l’opportunité se présente ; ce que je sais que je referai d’ailleurs avec le plus grand des plaisirs.

 

Les dérives du droit moderne

S’appuyant sur de nombreux exemples concrets, l’auteur part du constat que les dérives du droit moderne aboutissent à une certaine sclérose de la société française, responsable de beaucoup de ses blocages, pour démontrer que la loi est l’ennemie du droit, et se soucie finalement peu de la pratique et de la justice par ses aspects trop théoriques ou bureaucratiques.

Il démontre également comment les meilleures intentions et les apparences peuvent se révéler trompeuses, à travers notamment l’exemple de la Cour de Justice Internationale, et dont les développements se révèlent réellement très convaincants.

À la coercition, la réglementation et au positivisme, peuvent s’opposer le consentement, la liberté contractuelle et la responsabilité.

Au relativisme des sophistes s’opposait déjà l’existence de valeurs universelles selon Socrate et de règles non écrites. Et si Platon tentait d’opérer une « impossible synthèse entre droit naturel et régime autoritaire », tandis qu’Aristote distinguait droit et morale, droit naturel et droit codifié, mais dans une conception non universaliste, il fallut attendre Cicéron pour reconnaître la supériorité du droit naturel, qui préexiste à la loi écrite et constitue quelque chose d’éternel :

Ce qui est juste… ne saurait naître ou disparaître avec les textes écrits sous lesquels on consigne les mesures adoptées.

[…]

Si le droit se fondait sur la volonté des peuples, sur les décrets des chefs ou la sentence des juges, on aurait alors le droit de faire le métier de brigand, de commettre l’adultère, de fabriquer de faux testaments, si de tels actes obtenaient l’agrément des votes ou des résolutions de la masse…

C’est en fin de compte à une critique intellectuelle profonde que se livre brillamment Patrick Simon, en remontant aux grands auteurs philosophes qui ont forgé notre manière de penser et d’agir, en en révélant surtout les dérives idéologiques.

 

Les conceptions positivistes du droit

Ainsi en va-t-il de Hobbes, à travers son « Léviathan », dont il décortique les raisonnements, après s’être intéressé dans le chapitre précédent au droit musulman, dont le caractère impératif et figé aboutit à la « régression islamiste contemporaine », pour mieux en montrer le caractère fallacieux, s’appuyant sur de multiples exemples postérieurs au philosophe, qui prouvent en quoi il avait pu commettre certaines erreurs de raisonnement.

C’est ainsi que le principe de la raison d’État, source de tant de tyrannies, inspirera notamment Machiavel, un peu plus tard.

Citant Frédéric Bastiat, Patrick Simon résume ainsi la principale critique envers Hobbes :

Ce n’est pas parce que les hommes ont édité des lois que la liberté et la propriété existent. Au contraire, c’est parce que la liberté et la propriété préexistent que les hommes font des lois.

Mais si Hobbes ne conteste pas le droit naturel, et entend simplement en révéler les insuffisances, au prix de dangereuses dérives absolutistes, Jean-Jacques Rousseau va, lui, beaucoup plus loin et substitue purement et simplement le concept de « volonté générale » à l’idée du droit naturel, qu’il récuse.

Dès lors, l’individu doit se soumettre entièrement à l’État, qui progressivement peut ne plus connaître de limites à l’exercice de son action, avec tous les dangers que l’on imagine et dont le vingtième siècle en a tristement apporté des illustrations. Le législateur étant présumé disposer d’une « intelligence supérieure » à celle des individus, les totalitarismes, enfants de la Révolution française, ne sont pas loin.

 

L’héritage de Friedrich von Hayek

À la conception rousseauiste, fortement ancrée dans nos esprits, l’auteur montre ensuite comment il a fallu attendre l’œuvre salvatrice de F.A Hayek pour mener à une lente redécouverte du droit naturel, principes exposés dans l’ouvrage, mais que je ne saurais dévoyer en me hasardant à en résumer quelques principes sans l’avoir relu auparavant et que je vous invite donc à découvrir, pour tous ceux qui s’y intéressent.

Dans un dernier chapitre, toutefois, Patrick Simon dresse l’état des lieux des nombreux obstacles qui demeurent encore avant que le droit ne revienne complètement à ses sources légitimes, s’appuyant là encore sur de multiples exemples contemporains.

Un ouvrage qui demeure absolument passionnant et nécessaire à une vraie réflexion de fond sur le droit et, au-delà, sur notre société, si on veut dépasser le sens commun et réfléchir à l’adaptation de notre conception actuelle de la justice et de la liberté. À conseiller sans réserve.

Patrick Simon, Le droit naturel, Ses amis et ses ennemis, François-Xavier Guibert, décembre 2005, 235 pages.

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