Crédibilité de l’ANSES : le coup bas est venu de l’intérieur

Doit-on s’inquiéter du décalage entre science et expertise au sein de l’ANSES ?

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Crédibilité de l’ANSES : le coup bas est venu de l’intérieur

Publié le 23 mars 2023
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Le président du groupe de travail du Conseil Scientifique de l’ANSES relaie l’article du Monde au titre qui pose question…

La science réglementaire est confrontée à la « science » parallèle qui poursuit des objectifs politiques et économiques, et au militantisme correspondant. L’Agence de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail (ANSES) a fait l’objet d’une attaque insidieuse venue de l’intérieur.

L’ANSES a publié le 10 mars 2023, sans tambours ni trompettes (c’est regrettable), un « Avis relatif au rapport du groupe de travail « Crédibilité de l’expertise scientifique » issu du Conseil scientifique ».

Il était assorti d’une réponse : « Note de positionnement de l’Anses suite à l’avis de son Conseil scientifique intitulé « Crédibilité de l’expertise scientifique : enjeux et recommandations » »

Le Conseil scientifique – majoritairement composé de « personnalités scientifiques compétentes dans le champ des missions de l’Agence, nommées par arrêté ministériel » – est indépendant des organes de fonctionnement de l’Agence. Il se présente comme le « garant de la qualité de l’expertise scientifique et de l’indépendance de l’ANSES », ou encore « de l’excellence et de la cohérence des travaux scientifiques de l’Anses ».

Il a donc constitué un groupe de travail de huit membres, lequel a produit un avis, lequel a été entériné par le Comité scientifique in corpore.

 

Deux lectures possibles

Il y a deux lectures possibles de cet avis.

Selon la première, sincèrement préoccupé par la situation actuelle, « soucieux de limiter les risques de mise en cause de l’expertise », le Comité scientifique aura formulé une série de recommandations visant à améliorer le fonctionnement de l’ANSES, gage d’une crédibilité accrue.

Selon la deuxième, il aura instrumentalisé sa fonction pour faire avancer une conception particulière de l’expertise menant à des recommandations ou à des décisions sur, notamment, l’autorisation ou la non-autorisation d’une substance ou de son usage pour une application particulière.

 

Une médiatisation « orientée »

Sauf erreur, la primeur de la médiatisation est revenue au Monde Planète, sous la signature de M. Stéphane Mandard, « La crédibilité de l’Anses questionnée par son propre conseil scientifique ». En chapô :

« Dans un rapport sur l’Agence nationale de sécurité sanitaire, les experts indépendants s’inquiètent du décalage entre science et expertise au sein de l’institution et préconisent une réforme de son fonctionnement. »

Le ton a été donné ! L’« angle » a été défini, les éléments de langage énoncés, pour les médias suiveurs.

L’Agence France-Presse a publié une dépêche, reprise par exemple par La France Agricole sous le titre : « La crédibilité de l’Anses de plus en plus contestée ».

À voir le catalogue des recommandations du Conseil scientifique, on peut considérer que c’est faire un mauvais procès à l’ANSES.

 

Glyphosate, néonicotinoïdes, fongicides SDHI

Pour étayer ses constats, allégations et recommandations – le cadrage général étant que « les expertises produites par l’Anses ont été contestées, voire violemment attaquées, directement ou par médias interposés » – le groupe de travail a produit trois études de cas : le glyphosate, les néonicotinoïdes et les fongicides SDHI (inhibiteurs de la succinate déhydrogénase).

Le glyphosate est quasi invariablement taxé de « cancérogène probable selon le CIRC » (l’OMS dans les pires cas d’impéritie journalistique) ; dans l’article princeps du Monde, c’est « le célèbre herbicide controversé de Monsanto ». Les néonicotinoïdes sont immanquablement qualifiés de « tueurs d’abeilles » ; ce fut bien sûr le cas dans Le Monde. Et les fongicides SDHI, des substances affectant une fonction respiratoire des mitochondries que l’on trouve chez presque tous les organismes, ont été accusés, sans preuves tangibles, d’avoir également un effet néfaste, au moins potentiel, sur les humains. La baudruche s’est dégonflée entretemps, mais la saga est un thriller captivant.

La description des événements qui ont jalonné les relations tumultueuses entre activistes et instances d’évaluation et de décision est remarquable. Mais tout comme les thèses activistes, ils ne sont à aucun moment mis en perspective.

Par exemple, le cas des SDHI aurait pourtant offert une occasion remarquable de montrer les manipulations et comment différentes instances ont été instrumentalisées. C’est le cas de la Commission Nationale de la Déontologie et des Alertes en Matière de Santé Publique et d’Environnement (cnDAspe) et de l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST) – où l’audition des principaux protagonistes activistes a tourné à la pantalonnade. Le groupe de travail aurait aussi pu montrer comment l’ANSES a été grossièrement attaquée et diffamée.

Faisant preuve d’un remarquable jésuitisme, les membres du groupe de travail écrivent :

« Ces cas, rares mais pertinents pour une analyse approfondie de la crédibilité scientifique de l’Anses, ne sont pas représentatifs des centaines d’avis rendus chaque année par l’agence. Pour autant, l’analyse de tels cas est opportune et nécessaire lorsque l’on s’intéresse à la crédibilité de l’expertise scientifique. Par ailleurs, l’intensité des controverses et des polémiques permet de collecter un matériau très riche, indispensable pour une telle analyse. »

En bref, dissertons sur la base des cas les plus pourris, les plus invraisemblables… en auditionnant aussi les contempteurs les plus acharnés du système.

 

La dérive vers la « science Facebook »

Ce sont toutefois les recommandations qui doivent nous intéresser. En résumé :

« Soucieux de limiter les risques de mise en cause de l’expertise, le Conseil scientifique formule quatre groupes de recommandations visant à améliorer les procédures, à mieux éclairer le processus de décision, à intensifier les interactions avec les parties prenantes et à renforcerla séparation de l’évaluation et de la gestion des risques au sein de l’Anses. »

La première recommandation spécifique est de « favoriser la diversité scientifique (pluridisciplinarité) ainsi que la double présence de chercheurs académiques et de chercheurs familiers de la réglementation ».

Il s’agit aussi d’ « informer les collectifs d’experts des attentes des parties prenantes exprimées dans les structures de dialogue de l’Anses ».

On s’écarte là de la science réglementaire, celle qui a pour fonction de produire des évaluations et des décisions fondées sur des faits objectifs – qui peuvent être des certitudes et des incertitudes – dans le cadre d’un modus operandi prédéfini : l’évaluation des dangers, des risques, des rapports bénéfices-risques, des moyens d’éliminer les risques ou de les réduire à des niveaux acceptables…

Selon les auteurs de l’avis, l’expertise scientifique est au cœur de trois tensions. La première est de nature fondamentale :

« L’expertise scientifique est soumise à une première tension : d’une part, la nécessité de prendre en compte les connaissances scientifiques les plus avancées et en même temps la nécessité de s’appuyer sur des règles claires et partagées par l’ensemble des acteurs concernés, de façon à réaliser une évaluation des risques transparente, robuste et reproductible. Il peut en résulter un décalage entre connaissances scientifiques et résultats de l’expertise, source de controverses publiques. »

La réalité sous-jacente, quasiment zappée par les auteurs de l’avis : les « connaissances scientifiques les plus avancées » ne s’inscrivent pas dans les « règles claires et partagées ». C’est en grande partie la problématique de la « science » militante instrumentalisée dans les « controverses publiques ».

On s’approche aussi, voire plonge dans ce que le directeur exécutif de l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments, Bernhard Url, a qualifié d’« âge Facebook de la science » devant le Parlement européen : « … vous avez une évaluation scientifique, vous la postez sur Facebook et vous comptez combien de personnes l’aiment. »

Ici, il faudrait ouvrir le processus à une « diversité scientifique » qui devrait sans doute inclure les « chercheurs académiques » militants, producteurs d’une « science » parallèle qui poursuit des objectifs politiques et économiques. Et comme il faudrait aussi « veiller à la traçabilité des discussions et avis minoritaires dans les comptes rendus de séances » (un objectif louable en soi), ce serait en définitive alimenter les « controverses publiques ».

Et qu’est l’information des collectifs d’experts sur les « attentes des parties prenantes » sinon une invitation à peine camouflée à décider dans le sens des éléments les plus bruyants de la société ?

La recommandation détaillée est encore plus explicite :

« Favoriser la pluridisciplinarité et notamment quand cela est pertinent, l’implication d’experts en sciences humaines et sociale ».

Pourtant, les expertises de l’ANSES font déjà largement appel au vivier de l’enseignement supérieur et de la recherche.

 

Un étonnant groupe de travail

Le résultat est-il probant ? Il faut voir les réalités en face.

Le groupe de travail a ainsi pris pour base de travail les polémiques relatives aux néonicotinoïdes et négligé de creuser ce qu’il convient bien d’appeler un fiasco : l’avis de l’ANSES et rapport d’expertise collective « Efficacité des traitements disponibles pour lutter contre les pucerons de la betterave ».

Selon le communiqué de presse du 2 juin 2021, « l’Anses a identifié vingt-deux solutions pour lutter contre les pucerons et la maladie de la jaunisse dans les cultures de betteraves sucrières », dont quatre solutions à court terme, immédiatement utilisables.

Fiasco disions-nous ? Les événements récents – à la suite de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne mettant fin, par décision gouvernementale interposée, à l’enrobage des semences de betteraves avec de l’imidaclopride ou du thiaméthoxame – ont montré que cette expertise collective relevait d’un mélange de vantardise et de complaisance crasse envers un gouvernement empêtré dans ses stupides décisions démagogiques.

Mais ce cas caricaturalement représentatif d’un risque de dérive n’entrait pas dans le script du groupe de travail…

Faut-il s’en étonner ?

« L’Anses a identifié un lien d’intérêt majeur dans la déclaration d’intérêt de M. Bonmatin au sujet du cas spécifique des néonicotinoïdes. Au vu du caractère gérable de ce lien majeur, une mesure de déport a été adoptée : M. Bonmatin n’a ainsi pas participé à l’écriture du cas des néonicotinoïdes. »

Mais il a été nommé dans le groupe de travail. Le déport n’a concerné qu’un élément descriptif de l’avis. Il a pu participer à l’élaboration générale de l’avis et des recommandations, malgré notamment son implication connue, largement affichée, dans les efforts de la « science » parallèle, irréfutablement documentés, et du militantisme pour faire interdire les néonicotinoïdes.

Une autre membre de ce groupe s’est aussi signalée par des commentaires acerbes, suintant le militantisme, sur des études scientifiques qui n’épousaient pas les thèses anxiogènes de l’« insectocalypse ».

Ironiquement, ce groupe de travail a recommandé d’« affiner le traitement des liens d’intérêt, notamment en appliquant les lignes directrices guidant l’analyse des liens intellectuels proposées par l’Anses ».

 

Non, tout ne va pas bien !

La réponse de l’ANSES est, sans surprise, diplomatique et à juste titre rassurante et lénifiante sur plusieurs points. Mais c’est un peu court.

Elle écrit notamment :

Impartialité, compétence, transparence : pour l’Anses, ces qualités de l’expertise scientifique ne restent pas lettre morte ou ne relèvent pas de slogans a priori.

L’intérêt principal de l’avis examiné ici réside sans aucun doute dans la preuve éclatante de la difficulté à faire régner l’impartialité, la compétence et la transparence. Elle a été administrée tant par le Conseil Scientifique, de par la sélection des membres de son groupe de travail, que par l’ANSES elle-même, de par sa décision de « déport » a minima de M. Jean-Marc Bonmatin.

Il y a aussi le naufrage intellectuel illustré par le choix des études de cas et leur traitement. Elles sont devenues les supports de thèses comme « la crédibilité est une affaire de réduction du décalage entre l’expertise et les attentes des audiences concernées » et « la crédibilité est une affaire d’impact socio-économique de la mise en œuvre des mesures de gestion des risques ».

Il n’y a rien à redire sur ces thèses en tant que telles. Mais l’analyse aurait gagné à prendre en compte, d’une part, la vraie consistance des critiques impactant la crédibilité des évaluations et décisions et d’autre part la relative absence de réponse à ces critiques et de pédagogie.

Quelle crédibilité fallait-il accorder aux manœuvres de bas étage qui émaillent certains dossiers, aux stratégies de lobbying et d’influence de « parties prenantes » dont certaines font essentiellement prospérer un fonds de commerce, ou encore aux productions de journalistes militants ?

Les « audiences concernées » sont-elles représentatives du grand public ou constituent-elles des petites tribus actives et bruyantes auxquelles on a tendance à accorder une importance généralement démesurée, mais de plus en plus efficaces de par l’attention bienveillante qu’elles suscitent et qu’on leur accorde avec beaucoup de naïveté ?

L’analyse n’a pas été faite.

La littérature citée par le groupe de travail et le choix des personnes auditionnées (par exemple les seuls Stéphane Foucart et Fabrice Nicolino dans la catégorie « journalistes », et aucune source média favorable à l’ANSES) suggère, voire démontre, que le groupe de travail a succombé à des biais cognitifs et des biais de confirmation, lesquels ont été entérinés par le Conseil Scientifique in corpore.

Il y a plus important : la « science » parallèle subtile et même grossière représente un véritable défi pour la science réglementaire et, partant, le processus décisionnel qui doit être fondé sur les preuves.

C’est un défi auquel on peut penser que les instances d’évaluation et de réglementation, dont l’ANSES, ne répondent pas suffisamment. Pourtant, quand on veut, on peut (voir par exemple ici).

« Les chiens aboient, la caravane passe » n’est plus une attitude responsable en ces temps de prolifération des fake news dans les médias et sur les réseaux sociaux. Voilà un sujet qu’il aurait été intéressant et utile de traiter dans l’avis et dans la réponse…

En outre, le processus d’évaluation et de réglementation confié à une instance indépendante est lui-même soumis à des influences diverses et chahuté et balloté par les gros temps, voire les tempêtes, activistes, médiatiques et politiques.

Cela nous est par exemple rappelé par le fameux tweet du président Emmanuel Macron sur la « sortie » du glyphosate, ou encore la récente référence contestable de la Première ministre Élisabeth Borne au chlordécone.

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  • Avatar
    jacques lemiere
    23 mars 2023 at 8 h 04 min

    la science ne cherche pas à être crédible..

    c’est en effet souvent de l’ expertise ..
    et ce n’est pas le problème un garagiste comme un médecin sont des experts. .avec à la clef des erreurs. de diagnostics.. tout à fait acceptables..

    le problème est l’idéologie qui fausse la communication. .le fameux « narratif »..
    ai je confiance dans la neutralité de l’anses? non.. et c’ets très bien
    quand je veux savoir je vais voir..

    l’argent public corrompt aussi…

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