Fusion nucléaire pour produire de l’électricité : mythe ou réalité ?

Bien que cette expérience américaine de fusion soit un progrès, la fusion par laser ou par un autre moyen est encore loin d’être utile pour produire de l’électricité.

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Fusion nucléaire pour produire de l’électricité : mythe ou réalité ?

Publié le 24 décembre 2022
- A +

Par Jacques Foos et Michel Gay.

Pendant que la crise énergétique de l’Union européenne s’aggrave avec de potentielles coupures d’électricité en France, les États-Unis ont fait ce 5 décembre 2022 un (petit) pas de plus vers la fusion nucléaire.

Cette avancée technique leur permettra-t-elle de conforter leur position de leader dans l’énergie nucléaire ou la fusion nucléaire est-elle un mythe ?

 

La fusion nucléaire

L’histoire de la fusion est vieille comme l’Univers puisque les premières réactions nucléaires démarrent un millionième de seconde après le Big Bang !

Aujourd’hui encore, les étoiles, dont notre Soleil, se nourrissent de réactions nucléaires de fusion.

Plus de 90 % des étoiles de l’Univers brûlent leur hydrogène pour le transformer en hélium par des réactions de fusion.

Le Soleil consomme 460 millions de tonnes d’hydrogène chaque seconde ! Il en contient cependant assez pour briller encore environ 5 milliards d’années et même davantage avec d’autres réactions nucléaires…

Depuis des décennies des équipes de recherche du monde entier essaient de développer la fusion nucléaire dans le but d’en faire une source d’énergie propre, abondante et sûre. Elle pourrait permettre à l’humanité de rompre sa dépendance aux énergies fossiles.

Cette technologie qui fusionne deux noyaux d’hydrogène (en réalité, deux isotopes appelés deutérium et tritium) apparaît à certains comme le Graal pour une production illimitée d’énergie propre.

 

Un long chemin

Le chemin reste toutefois long avant que cette solution ne soit viable à l’échelle industrielle et commerciale. L’un des auteurs de la percée technique du 5 décembre 2022 a averti :

« Pour transformer la fusion en source d’énergie, nous devrons augmenter encore le gain d’énergie. »

Mais si la fusion nucléaire représente le Graal de l’énergie, il va probablement le rester longtemps (sauf en laboratoire en consommant plus d’énergie qu’il n’en produit) car c’est une impasse industrielle pour au moins le siècle à venir…

Produire de l’électricité au moyen de la fusion est inatteignable avec les matériaux actuels et prévisibles. Le prix Nobel Georges Charpak ne croyait pas non plus en cette filière…

Certains antinucléaires doivent le savoir aussi, ou s’en douter, car ils semblent étrangement pousser dans cette voie sans issue avec peut-être l’arrière-pensée de mieux effondrer le nucléaire actuel par effet d’évictions des financements et de dispersions des talents…

D’autres y trouvent une source de financements car ça plaît aux politiciens totalement ignorants du sujet…

L’argent gaspillé dans cette voie serait beaucoup mieux employé dans le développement des réacteurs actuels et des réacteurs à neutrons rapides (RNR) surgénérateurs de quatrième génération…

 

De quoi s’agit-il ?

Les réactions de fusion sont les plus énergétiques connues aujourd’hui, soit sept fois plus que les réactions de fission utilisées dans nos réacteurs nucléaires.

Toutefois, pour que des noyaux atomiques puissent fusionner, il faut les faire « se toucher », ce qui nécessite, même pour les plus petits d’entre eux, des températures considérables de plusieurs dizaines voire centaines de millions de degrés !

Si ces températures sont possibles juste après le Big Bang ou au sein des étoiles, c’est une autre affaire de recréer sur Terre de telles conditions, surtout pour contrôler la réaction et maîtriser la production de chaleur au sein de matériaux et ensuite produire de l’électricité.

 

Le contrôle !

Aucun matériel connu ne résiste aujourd’hui à ces températures extrêmes de plusieurs centaines de millions de degrés, ce qui explique pourquoi la première utilisation de ces réactions de fusion a été militaire, sous forme d’une bombe dite « à hydrogène » (bombe H) car dans ce cas il n’y a pas à contrôler la réaction.

Au contraire, il s’agit de la rendre la plus chaude en un minimum de temps et donc la plus explosive possible.

De plus, une bombe nucléaire « classique » à fission (bombe A) est utilisée initialement en interne dans la bombe H pour obtenir la très haute température nécessaire au déclenchement de la réaction de fusion entre les deux autres formes de l’hydrogène appelé deutérium (un proton + un neutron) et tritium (un proton + deux neutrons).

Mais contrôler la réaction dans une enceinte nécessite de trouver comment produire cette énergie gigantesque au départ dans des matériaux qui ne supportent pas, à l’état solide, des températures dépassant quelques milliers de degrés alors qu’il faut atteindre des centaines de millions de degrés !

D’où l’idée de confinement magnétique.

 

Le confinement magnétique

Les premières expériences pour tenter de confiner la chaleur (dans un état désordonné de la matière appelé « plasma ») avec des champs magnétiques ont eu lieu aux États-Unis dès 1938. Le premier brevet de réacteur à fusion a été déposé au Royaume-Uni en 1946 (par Thomson et Blackman).

Les premiers modèles expérimentaux de confinement de la chaleur de fusion dans des « tokamaks » prennent leur essor dans la décennie 1958-1968.

De 1968 à 2009, divers tokamaks fonctionnent dans le monde.

Le tokamak français TFR installé au centre du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Fontenay-aux-Roses est le plus performant au monde de 1973 à 1976.

Depuis cette époque, quatre tokamaks : JET (Culham, Angleterre), JT60 (Japon), TFTR (Princeton, USA) et Tore Supra (Cadarache, France) ont apporté leur contribution scientifique. La puissance thermonucléaire produite a dépassé le mégawatt et la durée de l’impulsion a frôlé la minute.

 

ITER

En 2010, le projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor) doit démontrer la faisabilité industrielle d’un réacteur utilisant les réactions de fusion contrôlée. Ce n’est donc même pas encore un prototype ! C’est le premier réacteur qui devrait produire d’avantage d’énergie qu’il n’en consomme pendant environ… cinq minutes ! Mais toujours pas d’utilisation de la chaleur ni de production d’électricité… Aujourd’hui, alors que le coût du projet dépasse les 26 milliards d’euros (!), les premiers résultats ne sont pas attendus avant 2035 au moins !

Certes, la fusion du deutérium et du tritium n’engendre pas de produits de fission mais du tritium (peu radiotoxique mais difficile à confiner car c’est le plus petit des éléments de la nature) et des produits d’activation à cause des neutrons qui s’échappent dans tous les matériaux de structure (ce qui n’est pratiquement pas le cas dans les réacteurs d’aujourd’hui).

De nombreux physiciens s’interrogent sur ce projet gigantesque à l’avenir incertain. Certains, dont le Prix Nobel Georges Charpak, demandaient même en 2010 l’arrêt du projet ITER dont le coût assécherait les autres filières nucléaires plus prometteuses.

Si ce projet ITER aboutit, les retombées technologiques bénéficieront au monde entier, même à ceux qui n’ont pas payé pour voir. Et la France paie un lourd tribut.

À l’heure où d’importants sacrifices sont demandés aux Français, est-il raisonnable d’engloutir des milliards d’euros dans cette technologie à l’avenir très lointain (quelques siècles) et qui est probablement une impasse ?

 

Une énergie inépuisable

L’argument d’une source d’énergie inépuisable qui prévalait il y a quelques décennies ne vaut plus aujourd’hui.

L’avènement des réacteurs de quatrième génération, en particulier les réacteurs à neutrons rapides (RNR), font de l’uranium une source d’énergie pour plusieurs millénaires dans des délais beaucoup plus proches qu’un hypothétique réacteur à fusion qui ne produira peut-être jamais d’électricité. La France possède déjà sur son sol un stock d’uranium appauvri pouvant alimenter cette filière pendant plus de 7000 ans !

La France avait 30 ans d’avance sur les autres pays avec le RNR Superphénix capable de produire de l’électricité et de « régénérer » du combustible nucléaire avant d’être arrêté pour de sombres raisons d’alliances politiques… Il avait même la capacité de régler le problème des déchets radioactifs à vie longue : un réacteur presque idéal.

Il a été fermé en 1997 par Lionel Jospin (alors Premier ministre) qui voulait dans son gouvernement l’antinucléaire déclarée Dominique Voynet pour rallier les Verts. Cette fermeture a été la condition sine qua non exigée pour participer au gouvernement. Lionel Jospin n’a pas hésité !

Une timide reprise des recherches sur ces réacteurs surgénérateurs a été tentée avec la décision de Jacques Chirac en 2006 de lancer la construction d’un nouveau réacteur de ce type appelé Astrid (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration).

Malheureusement, après avoir décidé la fermeture de la centrale de Fessenheim et ses 1800 mégawatts électriques qui seraient bien utiles aujourd’hui, Emmanuel Macron a décidé l’arrêt définitif de ce projet, laissant ainsi les mains libres aux Américains et aux Chinois !

 

Une avancée… relative

Dans l’expérience américaine du 22 décembre 2022, les lasers du « National Ignition Facility » ont déposé une énergie de 2,05 mégajoules (0,58 kWh) dans leur cible libérant ainsi 3,15 mégajoules (0,88 kWh), soit un facteur d’environ 1,5. Certes, c’est le rapport sortie/entrée le plus élevé jamais atteint dans une expérience de fusion mais il faut tout de même noter que pour déclencher la réaction de fusion les lasers ont nécessité d’extraire environ… 300 mégajoules (84 kWh) du réseau !

Le processus global est donc loin d’être positif (il est même très négatif…). Il a fallu produire ailleurs au minimum 100 fois plus d’énergie pour récupérer ces 3 mégajoules (moins de 1 kWh) !

Avant d’arriver à produire de l’électricité (et pas seulement un peu de chaleur) dans des centrales à fusion qui parsèment le paysage, de nombreux obstacles rédhibitoires ne seront probablement pas surmontés au cours de ce siècle et peut-être jamais !

Bien que cette expérience américaine de fusion soit un progrès, la fusion par laser ou par un autre moyen est encore loin d’être utile pour produire de l’électricité et la fusion restera peut-être à jamais un mythe coûteux.

La France serait bien avisée de se concentrer sur la réalité et particulièrement sur ce qu’elle sait (ou savait) faire et de financer le nucléaire de troisième et quatrième génération (EPR et RNR), alors qu’aucun réacteur n’a été mis en service depuis 20 ans et que le projet ASTRID de quatrième génération a été abandonné début 2019.

Jacques Foos est l’auteur du livre  : Regard sur la Société d’aujourd’hui pour préparer efficacement celle de demain. Chroniques du XXIe siècle. (Éditions HDiffusion – Paris – mai 2019)

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  • ça m’a en effet toujours amusé de voir les écologistes épargné cette filière… mais je doute que ça repose sur leur maitrise du sujet…
    ceci dit la vraie interrogation sur la réalisation de cette filière n’est pas théorique..d’autant plus que les projets de recherche ne sont pas de prototypes de réacteurs ( comment récupérer l’énergie) fonctionnels mais « juste » des démonstrateurs de fusion contrôlée ..avec des ambitions somme toute modestes
    donc ils peuvent régulièrement annoncer de « grand pas »..

    Iter est vu comme de la recherche pure..et DONC ne repose pas sur une condition de rentabilité économique;.
    ça coute cher..mais a recherche publique coute cher en général. Ce n’est donc pas un argument.. pourquoi fiance t on l’archéologie??? l’histoire? pour savoir des vérités.. parfois dérisoire Neanderthal a couché avec sapiens..

    La recherche publique repose sur l’arbitraire politique!!!! et sur un mensonge la recherche conduit mécaniquement et proportionnellement au progrès technologique et à la prospérité..
    nous assistons d’ailleurs aux dérives annoncées depuis belle lurette de la science publique en collusion avec le pouvoir politique!!! je te paye tu apportes ton  » crédit ».

    on va le répéter la « science » sert la vérité et donc davantage la justice.. les science’s appliquées conduisent au progrès mais aussi des loustics curieux et entreprenant..avec parfois juste un peu de temps à perdre pour bricoler..

    non si on utilise le mot gaspillage… il faut aller jusqu’au bout du raisonnement..
    Oui on SAIIT bien faire des réacteurs reposant sur la fission.. ils marchent..sont rentables et SI ON MISE sur une raréfaction des fossiles… sont un choix économique pertinent… on sait meme faire de la surgénération.

    donc sans risque politique ce serait un bon truc dans lequel investir.. car c’est surtout du capital.. resterait à choisir la bonne technologie;.les techniciens et ingénieurs compétents notez qu’une centrale nucleaire qui serait construite par des chinois…

    l’idée c’est de produire non pas le moins cher possible… mais vendre moins cher que le concurrent et être rentable…

    sortir le poltique…

    • Je me rappelle pourtant de michele rivasi qui disait que le divertor allait fuir du tritium radioactif car on ne sait pas le faire, que les aimants contenaient une énergie similaire à la bombe d’hiroshima. Et aussi le collectif stop Iter, ça serait mieux d’investir dans les éoliennes etc… Je n’ai pas l’impression que la fusion soit épargnée par les écologistes.
      D’un point de vue pratique, il est essentiellement impossible que la fusion soit concurrentielle vis à vis de la fission: c’est encore plus de couts de capitaux, et pas sûr que la production de tritium soit moins chère que l’extraction d’uranium (qui représente déjà un très petite part du cout d’une centrale à fission). Et cela ne calmera pas la haine écologiste.

  • Article intéressant, toutefois il ne faut pas oublier les coréens avec leur « Kstar » qui eux aussi avancent : https://siecledigital.fr/2022/09/12/le-reacteur-coreen-kstar-etablit-un-nouveau-record/
    Manifestement , avec « l’avancée » américaine, nous sommes dans les déclarations, et l’article nous rappelle que le sujet n’en n’est qu’à ses débuts. Il est légitime de se poser la question de la faisabilité, en particulier les délais de réalisation….. c’est manifestement une énergie d’avenir mais qui pourrait le rester. La question du choix des investissements se pose : entre réacteur à neutrons rapide plus facile s’accès et fusion en cours d’expérimentation sans calendrier, ce n’est pas évident. (il faut quand même reproduire les conditions de températures ET de pression qui règnent au sein d’une étoile avec un champ magnétique qui doit remplacer des forces gravitationnelles comment dire , colossales…)

    • Merci de cette intéressante information : on ignore ou sous-estime souvent la Corée (du sud, évidemment).
      En mèêêêême temps, Freluquet 1er – qui fut de 2014 à 2016 le « Ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique » juste avant qu’il se déclare candidat à l’élection présidentielle de 2017 : il est donc pleinement responsable du bilan catastrophique du nullissime et néfaste M. Hollande – a fermé Fessenheim et donc également Astrid et il continue à gaspiller massivement (des dizaines de milliards d’euros) dans la construction des néfastes installations d’énergies intermittentes (éolien et solaire).

  • Je remercie chaleureusement les auteurs de l’article de fournir cette vue d’ensemble tout à fait lisible par un profane sur l’avenir de l’énergie électronucléaire, en distinguant le possible de l’impossible (du moins actuellement) et ce qui relève de la recherche par rapport à ce qui relève (prochainement) de la production d’énergie à grande échelle.
    Au passage, cela montre une fois de plus la nécessité de cesser l’effarant gaspillage de dizaines de milliards d’euros dans les énergies intermittentes (bien avant d’être renouvelables), à savoir l’éolien et le solaire, qui relèvent de la recherche et de la veille technique et non de la production d’énergie à grande échelle, avec toutes les conséquences désastreuses, notamment écologiques, que chacun devrait savoir.
    A peste escrologica libera nos Domine ! [De la peste escrologiste, libère-nous, Seigneur !]

  • faute de frappe à corriger
    §ITER 2e alinéa
    1ère ligne lire tritium et deutérium engendrent hélium (et non tritium)

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