Renouvellement du glyphosate : chaos au niveau européen

La Commission européenne a prolongé par un règlement d’exécution l’autorisation du glyphosate pour un an.

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Berlaymont_Commission_Europeenne_2 By: Gérard Colombat - CC BY 2.0

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Renouvellement du glyphosate : chaos au niveau européen

Publié le 13 décembre 2022
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Les États membres ne s’étant pas accordés, il est revenu à la Commission européenne de prolonger par un règlement d’exécution l’autorisation du glyphosate pour un an. Des eurodéputés français se sont illustrés par des commentaires étonnants.

 

Rappels des faits

L’autorisation en cours de la matière active glyphosate arrivait à échéance le 15 décembre 2022. L’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) ayant annoncé qu’elle ne pourrait pas conclure sur le dossier de renouvellement avant juillet 2023, la Commission européenne a proposé aux États membres – conformément aux usages et au bon sens – de prolonger l’autorisation d’un an.

Comme nous l’avons rapporté dans « Renouvellement de l’autorisation du glyphosate : le barnum à Bruxelles », la double majorité (des États et des populations) n’a pas été trouvée le 14 octobre 2021 en raison de trois votes contre (Croatie, Luxembourg et Malte) et trois abstentions qui ont le même effet qu’un vote contre (Allemagne, France et Slovénie).

 

Rien ne change en appel

La proposition a été soumise à un nouveau vote en appel le 15 novembre 2022. À situation inchangée, résultat identique…

Contacté par EURACTIV, un porte-parole de la Commission a exprimé son « regret » que « malgré une majorité d’États membres soutenant la proposition de la Commission [21 sur 27], la majorité qualifiée nécessaire n’ait malheureusement pas été atteinte ».

Et d’ajouter que « la Commission a maintenant l’obligation légale de prendre une décision avant la date limite d’expiration de mi-décembre », en confirmant qu’elle allait adopter le règlement d’exécution de prolongation. Notons que des observateurs des événements à Bruxelles ont eu des doutes…

Six États membres – dont la France – nous aurons donc offert le spectacle affligeant de gouvernements refusant d’endosser, pour des motifs d’opportunité politicienne, une décision nécessaire.

« Toutes les autres substances actives phytopharmaceutiques qui ont eu besoin de ce type d’extension administrative temporaire dans l’UE ont obtenu cette extension », a déclaré le consortium Glyphosate Renewal Group dans un communiqué.

Et « faire tomber » le glyphosate en rendant caduque une procédure de renouvellement en cours, fondamentalement par la faute des autorités, serait un désastre pour le fonctionnement et l’image de l’Union européenne.

 

Le porte-parole des eurodéputés verts comprend…

Martin Häusling, eurodéputé allemand et porte-parole du groupe des Verts/ALE, a déclaré :

« Le glyphosate sera prolongé d’une année supplémentaire. C’était déjà une certitude avant le vote du comité d’appel d’aujourd’hui. La prolongation formelle d’un an est malheureusement nécessaire pour permettre à l’Autorité Européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) de finaliser son avis sur la sécurité du glyphosate (peer review).

J’espère que l’EFSA mettra ce temps à profit pour examiner tous les points critiques, par exemple si le glyphosate est cancérigène et si les effets du glyphosate sur l’environnement ne sont pas beaucoup plus importants qu’on ne le pense.

Même si c’est difficile, nous donnons ce temps à l’EFSA pour un examen approfondi. Cette prolongation d’un an est, nous l’espérons, le début de la fin de l’autorisation du glyphosate. »

 

… mais des eurodéputés français…

Laissons M. Martin Häusling à ses rêveries. Des eurodéputés français se sont au contraire exprimés avec véhémence.

Benoît Biteau – qui se présente comme paysan bio et agronome sur Twitter – a été astucieux dans un tweet du 15 novembre 2022:

« Va-t-on réautoriser le glyphosate [dans l’Union européenne] ? Les États devaient donner leur avis mais préfèrent se cacher derrière la décision de [la Commission européenne]

Avec [les Verts/ALE], on assume : le glyphosate doit sortir de notre environnement et nous ferons tout pour qu’il ne soit pas réautorisé. »

C’est une déclaration martiale qui reste donc au niveau des généralités. Mais compte tenu des éléments de l’évaluation à notre disposition c’est en quelque sorte « le glyphosate doit gicler, car tel est notre bon plaisir ». Pour M. Martin Häusling, au contraire, la fin de l’autorisation du glyphosate doit (ou devrait) résulter des éléments de l’évaluation finale.

Éric Andrieu, du Groupe des socialistes et démocrates, et grand contempteur des pesticides (de synthèse, cela va de soi) et des lobbies de l’agrochimie, s’est exprimé à plusieurs reprises sur Twitter et dans la presse régionale méridionale.

L’Indépendant a repris en titre une déclaration qui paraît curieuse le 16 novembre 2022 :

« Le glyphosate autorisé un an de plus en Europe : le député européen PS Eric Andrieu dénonce un « manque de courage, pour ne pas dire de lâcheté » ».

Cela donne dans le texte :

« Je suis très déçu du manque de courage, pour ne pas dire de lâcheté, de certains États membres et de la Commission européenne qui, par leur manque de considération pour la santé humaine et la biodiversité prolongent l’autorisation du Glyphosate pour une année encore […] Le manque de sérieux des quatre États rapporteurs dont fait partie la France est aussi à dénoncer […] Il est inacceptable que la Commission européenne ait pu renouveler cette substance potentiellement cancérigène, comme il est inacceptable que depuis quatre ans, le travail d’études sur le Glyphosate ne soit pas terminé. Le principe de précaution et l’intérêt général sont à nouveau les victimes principales des lobbies de l’agrochimie, de la lâcheté de certains États membres et, à travers elle, de la Commission européenne. »

La déclaration est aussi incohérente. À l’heure où j’écris, le renouvellement n’est pas encore acté. Et à quoi bon un « travail d’études » si un principe de précaution mal interprété doit prévaloir selon un Éric Andrieu qui aurait été ravi par une décision scélérate.

Mais pourquoi ce malencontreux « manque […] de lâcheté » ? Dans Presse Agence – la lettre économique et politique de PACA, M. Éric Andrieu fait erreur sur le mécanisme des votes et la signification pratique de l’abstention :

« Alors certes, les États membres de l’Union Européenne n’ont pas soutenu la proposition de la Commission européenne de renouveler pour un an l’autorisation du glyphosate, mais ils ne l’ont pas non plus rejetée ce qui a permis à la Commission européenne de faire plaisir aux industries agrochimiques ! […] Il faut arrêter l’hypocrisie !!! De nombreux gouvernements nationaux avaient donné comme consigne de s’abstenir dans le vote pour le renouvellement du Glyphosate. S’abstenir ou voter en faveur du Glyphosate donnait finalement le même résultat. Dès lors, honte aux États qui se sont cachés derrière l’abstention ; faire semblant de défendre l’environnement, la biodiversité et la santé humaine ne suffit pas. »

 

Fin de la blague (en attendant la prochaine)

La Commission a tenu parole. Son règlement d’exécution a été adopté le 2 décembre 2022 et publié le 5 décembre.

Il faudra donc patienter quelques mois avant de voir, sans doute, une nouvelle représentation du barnum.

Pour rappel, en 2016-2017, les États membres s’étant aussi trouvés en situation de pat, le président luxembourgeois de la Commission Jean-Claude Juncker s’était refusé à adopter le règlement d’exécution qui prévoyait initialement une réautorisation pour 15 ans (la durée habituelle) et avait entraîné les États membres dans des enchères descendantes. Celles-ci se sont arrêtées à cinq ans par la grâce d’un revirement allemand, le ministre de l’Agriculture Christian Schmidt ayant voté pour au lieu de s’abstenir, pour en quelque sorte se venger de Mme Barbara Hendricks.

 

En guise de post scriptum : quo vadis Francia ?

Il est assez plaisant – euphémisme – de voir la Commission européenne accusée de faire plaisir aux « industries agrochimiques » ou de sacrifier l’intérêt général au profit des « lobbies de l’agrochimie ». C’est un thème récurrent, alors même que Farm to Fork

La proposition de règlement sur l’utilisation durable des pesticides – avec comme objectif principal une réduction de 50 % à l’horizon 2030 – suscite de vives inquiétudes pour nombre d’États membres. Euractiv a rapporté à l’issue du Conseil « agriculture et pêche » du 26 septembre 2022 :

« « Par égard pour la qualité de la législation, je demande à la Commission européenne de procéder à une nouvelle évaluation d’impact fiable, en tenant compte des répercussions de la guerre en Ukraine, et de réexaminer les solutions juridiques proposées« , a déclaré le secrétaire d’État polonais, Ryszard Bartosik, au cours de la réunion. Il a également souligné que l’accent devrait être mis sur « la garantie de la sécurité alimentaire des citoyens de l’UE et la préservation de la souveraineté alimentaire« du bloc. »

Ils sont maintenant 18 à demander cette étude, l’Allemagne s’y opposant et soutenant les propositions de la Commission… La France ne figure pas parmi les dix-huit…

Nous avons donc un ministre, à Paris, dont l’intitulé du poste s’étend – innovation – à la « souveraineté alimentaire », un ministre qui, à Bruxelles, ne défend pas la souveraineté alimentaire…

 

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  • Le glyphosate….. N’est il pas fabriqué par Monsanto qui a été racheté par Bayer ? Donc fabriqué par l’Allemagne ?
    Donc où est le problème puisque l’Allemagne fait la pluie et le beau temps à Bruxelles en supportant son industrie (toujours polluante) avec l’accord des toutous franzosich.
    Le glyphosate, le charbon allemand, le gaz russe, les grosse cylindrées allemandes,… tout ça ne pollue absolument pas.

    • Depuis que le brevet du glyphosate est dans le domaine public, il y a environ 25 ans, les agriculteurs achètent essentiellement des fabrications chinoises. Même, probablement, les agriculteurs allemands.
      Cet herbicide est le plus économique et écologique. Il n’a pas de concurrent dans la catégorie des non-sélectifs.

      • Enfin quelqu’un qui semble savoir de quoi il parle. Le glyphosate est indispensable à de nombreux agriculteurs et l’un des produits les moins nocifs pour la biodiversité. Beaucoup moins que (par exemple) le cuivre ou le souffre préconisés par les écolos irresponsables et autorisés par le soi- disant Bio.

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