Nationalisation d’EDF : l’État est déjà à sa tête

La nationalisation totale d’EDF possède alors l’incomparable avantage pour l’État de supprimer l’évaluation désobligeante des marchés.

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Olivier Durand-EDF(CC BY-NC-ND 2.0)

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Nationalisation d’EDF : l’État est déjà à sa tête

Publié le 9 juillet 2022
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Vous connaissez évidemment Bruno Le Maire. Pour le dire vite, c’est notre ministre de l’Économie et des Finances depuis plus de cinq ans – et Dieu sait combien il a toujours brillé (à sa façon) à ce poste. Mais pour le dire dans le détail, il faut savoir que dans le gouvernement Castex formé à l’été 2020, il était ministre de l’Économie, des Finances… et de la Relance ! Et puis dans le tout récent gouvernement Borne, il est devenu ministre de l’Économie, des Finances… et de la Souveraineté industrielle et numérique !

On reconnaît ici l’attachement viscéral d’Emmanuel Macron à la magie des mots. Il suffirait de dire relance et la France se mettrait soudain à croître et embellir ; il suffirait de dire souveraineté et elle évoluerait soudain dans une indépendance économique idyllique. Dans la foulée du discours de politique générale de la Première ministre Élisabeth Borne, ajoutons qu’il suffirait apparemment de dire France Travail en lieu et place de Pôle Emploi et la courbe du chômage en serait immédiatement toute retournée.

Côté relance, l’incantation n’a pas vraiment fonctionné comme béatement prévu. Selon l’évaluation de la Cour des comptes (une de plus, toujours dans le même sens d’un État « super gaspi ») le plan France Relance à 100 milliards d’euros sur 2021 et 2022 s’est surtout révélé être un magma complexe, hétéroclite, brouillon et peu efficace de mesures empaquetées à la hâte sous un joli logo et moult opérations de communication.

Mais oublié, tout cela et tout le reste. Il est donc maintenant question de nationaliser EDF à 100 %. Souveraineté, Mme Mabrouk ! Indépendance énergétique ! martelait Bruno Le Maire ce matin sur Europe 1. Et l’indépendance énergétique, Mme Mabrouk, « ça n’a pas de prix ! » (début de la vidéo ci-dessous) :

 

 

La formule n’est pas très heureuse ; à moins que le ministre ne soit l’inconsciente victime d’un lapsus hautement révélateur. Je crains en effet que les contribuables ne s’aperçoivent assez vite que les grands projets de l’État stratège français n’ont pas de prix au sens où ils tendent assez rapidement à se transformer en puits sans fond. Rien n’est jamais trop ni trop beau pour assurer la splendeur de la France, ce pays tellement pas « comme les autres » dont ladite splendeur s’évapore à mesure que les dépenses publiques et la dette publique s’accroissent.

Du reste, concernant EDF, les contribuables présents et futurs ont déjà eu et auront encore l’occasion de constater qu’il leur revient de tenir à bout de bras une entreprise très endettée (42 milliards d’euros à fin 2021 et probablement bien plus que 50 milliards à la fin de cette année), perpétuellement au bord de la faillite et perpétuellement renflouée par l’État (notamment 3 milliards d’euros en 2016 et 2,7 milliards en mars 2022).

Une entreprise privée particulièrement mal gérée que l’État se doit de reprendre pour la sauver de la cupidité courtermiste du marché, notre EDF ?

Que nenni ! Une entreprise tout ce qu’il y a de très publique où l’État reste le grand décisionnaire du haut de sa participation de 84 % au capital. Un État juge et partie, et surtout apprenti sorcier, qui détermine des politiques publiques telles que le bouclier tarifaire sur l’électricité pour alléger la facture des consommateurs tout en mettant par la même occasion l’entreprise dont il est actionnaire, où plutôt dont les contribuables sont les actionnaires, en grande difficulté. Le tout dans un marché européen globalement concurrentiel.

Et puis, qui est responsable des mises à l’arrêt actuelles (qui tombent fort mal dans le contexte de la guerre russe en Ukraine) de 29 réacteurs sur 56 pour problèmes de corrosion ? Qui est responsable de la gestion de projet défaillante de l’EPR de Flamanville, si ce n’est l’État actionnaire tout-puissant ? Qui a décidé de ramener la part du nucléaire dans le mix électrique de 75 à 50 % ? Qui a décidé avant même que la nationalisation à 100 % soit effective que la succession de l’actuel PDG de l’entreprise était dorénavant engagée pour une entrée en fonction de la nouvelle équipe dès la rentrée de septembre ? L’Élysée, Matignon et Bercy, point.

Qu’on ne s’y trompe pas, l’État a toujours été le seul maître à bord d’EDF. Mais la nationalisation à 100% n’est pas sans apporter ses petits bénéfices politiques.

D’abord le terme lui-même. Pas sûr qu’il suffise à amadouer les opposants les plus collectivistes et/ou souverainistes du gouvernement, mais le fait est qu’Emmanuel Macron continue à se placer dans une sorte de filiation avec le Conseil national de la Résistance et avec les politiques publiques très étatiques mises en place au sortir de la Seconde Guerre mondiale, en l’occurrence les grandes nationalisations financières et industrielles de 1944 et 1945. Notre amie l’URSSAF, les Jours Heureux, le Conseil national de la Refondation, et maintenant la nationalisation d’EDF : on discerne comme une tendance que le profil politique de Mme Borne, socialiste de toujours, tend à confirmer.

Plus essentiel encore peut-être, le fait de passer de 84 % à 100 % va permettre de placer l’électricien intégralement hors marché. Les actionnaires privés n’étaient guère nombreux, mais leur existence donnait lieu à des échanges d’actions très éloquents quant à la valeur réelle de l’entreprise : après une introduction en bourse à 32 euros en 2005 et une période d’euphorie jusqu’en 2007, le titre n’a fait que perdre du terrain jusqu’à tomber à 7 ou 8 euros (8,90 euros aujourd’hui) :

En 2005, le ministre de l’Économie de l’époque Thierry Breton décrivait la privatisation de 16 % du capital de la façon suivante :

EDF a de très beaux actifs, de grands projets, un très bon management. C’est ce qui fera que, progressivement, le cours de Bourse pourra augmenter.

Force est de constater que l’État actionnaire très majoritaire n’a pas tenu ses promesses. Et qu’il a surtout utilisé l’entreprise dans une forme de pilotage à vue destiné à arranger ses bidons plutôt que ceux des autres actionnaires et des contribuables. Lorsqu’il a imposé à EDF le rachat de l’activité réacteurs d’AREVA, par exemple, ou lorsqu’il se versait de jolis dividendes bien dodus quitte à devoir recapitaliser ensuite.
La nationalisation totale possède alors l’incomparable avantage de supprimer l’évaluation désobligeante des marchés. La gouvernance ne changera pas, mais elle se fera dorénavant dans l’opacité de l’administration, derrière des portes fermées, hors de tout contrôle hormis celui d’une Cour des comptes jamais entendue. Ça promet.
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  • J’ai envoyé un E-mail au premier ministre italien de dégager au plus vite les groupes Français dont l’état Français serait actionnaire, d’éviter d’avoir des responsables Français qui seraient en réalité des hauts fonctionnaires en goguettes dans le secteur privé et qui pourraient avoir des consignes directement de Matignon, EDF et d’autres pourraient le tonneau des danaïdes pour les groupes Italiens.

  • Il s’agit de dépecer EDF pour satisfaire les verts allemands. Avec la nationalisation ce sera plus facile.

  • A quand des capitaines d’industrie, seuls maitres……..?

  • Pendant la présidence française de l’UE au second semestre 2008, Sarkozy a poussé l’idée de Mme Merkel de décarboniser l’UE en imposant l’obligation – l’obligation ! – de produire une énergie chère et rare alors que nous avions et avons encore besoin d’une énergie bon marché et abondante . Il avait en tête de pousser l’énergie nucléaire. Il ne savait pas que l’Allemagne dirige la Commission européenne et que François Hollande allait avoir un gouvernement de gauche pour pousser la France dans l’écologisme au point de déclarer que le changement climatique provoque des tsunamis. Et puis vint Macron qui donne le cout de grâce comme vous l’expliquer. Quant aux gauchistes de l’ADEME ils continuent à mentir sur l’avenir 100% renouvelable.
    Oui, EDF est victime de ces erreurs politiques (et non de  » ses « ) . Dans la géopolitique de l’énergie, les erreurs se paient cher et longtemps.
    Comment éviter que les politiques ne jouent plus les apprentis ingénieurs dans un monde hyper-communicatif ? Qu’ils quittent – comme Boris Johnson – la scène où leurs méfaits ont trop duré.

    • Sarkozy le président de gauche alors qu’il s’était fait élire sur des idées de « droite » : ce sont les pires !

    • ce n’est pas une question d’ingenieurs ou pas.. c’esl la question de l’interventionnsime politique..

      et la raison est l’absence stupéfiante de courage à s’opposer aux « écologistes » avec parfois l’idée de les utiliser.. non si vous acceptez leurs mantras vous êtes foutus..

      • mais la question est surtout POURUOI l’etat se mêle d’électricté!!????

        comme pour la santé souvent c’est maintenir les prix bas pour le consommateur ..en spoliant allègrement et forçant les gens à faire tous pareillement..

  • L’État sait gérer les budgets et équilibrer ses finances. Outre son budget, il a mis Areva en faillite grâce aux exceptionnelles compétences de sa protégée A. Lauvergeon, la SNCF qui est un monopole est en déficit de plus de 60 milliards et l’EDF, quasi monopole aussi, de plus de 50 milliards. Et ne parlons par de Renault dont l’état actionnaire majoritaire a refusé l’alliance avec Fiat. Qui dit mieux ?!?!
    On comprend pourquoi tant de voies de gauches veulent taxer le capital privé. C’est plus facile de taper dans la caisse des autres que de bosser.

    • le déficit… est consubstantial à l’action publique.si c’est  » économiquement fondé » pas besoin de l’etat…

      et c’est là le premier problème!!!!

      et c’est vrai à l’echlle locale, avec les mairies qui achètent des fonds de commerce!!!! et qui font de l’epicerie un service public..

      je pense que la vente d’lectricté et sa distribution est généralement rentable et un secteur d’avenir DONC l’etat est essentiellement inutile.

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