Par Jean-Pierre Riou et Michel Gay
Cet article est une synthèse « grand public » de deux articles plus techniques de Jean-Pierre Riou « Focus sur les loop flows » et « La fin des MWh clandestins »
L’implantation disséminée des énergies renouvelables électriques intermittentes (EnRi) implique de lourds investissements (plusieurs centaines de milliards d’euros) dans le réseau de distribution auquel ces EnRI sont majoritairement connectées.
En effet, les éoliennes et les panneaux photovoltaïques (PV) ne sont pas des énergies locales, contrairement aux déclarations de leurs promoteurs. Les 2/3 de leur production transitent par le réseau de transport qui doit adapter ses infrastructures pour répondre aux aléas et aux « bouffées » de productions de chaque zone suivant les conditions météorologiques.
RTE avait annoncé dans son rapport conjoint avec l’AIE qu’un développement significatif des réseaux de transport et de distribution était l’une des conditions préalables à tout mix électrique à forte proportion d’énergies renouvelables.
En Allemagne, malgré les dizaines de milliards d’euros consacrés à leur développement, le retard pris par les réseaux allemands a des conséquences sur la sécurité et sur le prix de l’approvisionnement français.
Des passagers clandestins
Afin d’optimiser les capacités d’interconnexion, Le couplage du marché européen de l’électricité permet de mettre aux enchères à la fois la fourniture électrique et la capacité de connexion correspondante.
Les flux physiques de ces transactions transitent sur le réseau européen en suivant la voie de la moindre résistance et non… le chemin le plus court.
Ainsi, en cas de congestion de ses propres lignes, des échanges prévus à l’intérieur d’une même zone d’enchère sont détournés vers les zones voisines (les réseaux voisins). Ces flux d’électricité (« flows ») non invités et non désirés, font donc une boucle clandestine (« loop »), par les réseaux voisins pour arriver à leur destination.
La part croissante de ces flux de boucle (« loop flows ») non programmés est dénoncée par les opérateurs du réseau électrique européen (Entsoe) car elle réduit les capacités d’interconnexion vitales pour tout système électrique à forte composante intermittente.
Ces loop flows proviennent des fortes productions des éoliennes du nord de l’Allemagne, combinée avec celles de Scandinavie, que les congestions du réseau allemand font transiter par les Pays-Bas, la Pologne, la République tchèque, l’Autriche, la Belgique et la France. Ces « passagers clandestins » peuvent mobiliser jusqu’à 50% de la capacité disponible, limitant d’autant les capacités d’importation de ces pays.
Or, chaque État membre doit assurer 70% de ses capacités disponibles pour les échanges aux frontières. Les pays les plus touchés par ces passagers clandestins dans leur réseau ne pouvant remplir plus cette obligation doivent faire de demandes de dérogation.
Le rapport accablant de la Cour des comptes allemande
La Cour des comptes fédérale allemande a publié un rapport sur l’Energiewende en mars 2024 stigmatisant particulièrement le réseau supposé permettre d’intégrer les EnRI.
Il constate que les besoins de ce réseau progressent plus vite que les investissements qui lui sont consacrés, avec un déficit croissant de lignes de transport chiffré à 6000 km pour 2023.
Le rapport dénonce : « Les coûts d’expansion du réseau à l’avenir seront nettement plus élevés qu’auparavant. Selon les premières estimations de l’Agence fédérale des réseaux, les coûts liés à l’extension du réseau pour la période 2024 à 2045 s’élèvent à plus de 460 milliards d’euros. De nouvelles augmentations de coûts sont à prévoir. »
Il relève également la lourde sous-estimation des coûts du réseau de distribution :
« Les Gestionnaires de réseau de distribution (GRD) prévoyaient un besoin d’extension du réseau de distribution de 93.136 km d’ici 2032 pour un coût estimé à  42,27 milliards d’euros. L’agence fédérale des réseaux a déclaré en janvier 2024 que les GRD devraient investir pas moins de 150 milliards d’euros d’ici 2045. Selon de nouvelles informations parues dans la presse, les besoins d’investissement pendant cette période pourraient même s’élever à  250 milliards d’euros. »Â
A ces coûts s’ajoutent ceux des services système qui devraient augmenter considérablement, « en particulier les coûts de gestion de la congestion du réseau, pour atteindre 6,5 milliards d’euros par an d’ici 2028. »
La Cour fédérale des comptes dénonce également le retard pris dans la construction de capacités de moyens pilotables de secours qui resteront indispensables pour les périodes sans vent ni soleil :
Ce dérapage des coûts du système électrique est tel qu’il lui fait craindre la délocalisation de l’industrie allemande :« Selon une enquête de la Chambre de commerce et d’industrie allemande, les entreprises allemandes sont de plus en plus sceptiques quant à la transition énergétique et envisagent de plus en plus de délocaliser leur production à l’étranger ».
La sécurité française menacée
Le 4 avril 2022, la France pulvérisait le record du marché à 2987,78 €/MWh entre 7 heures et 9 heures, en raison de la forte consommation liée au froid et de la faible disponibilité du parc nucléaire.
Les interconnexions avec l’Allemagne, prévues pour éviter une telle divergence de cours grâce aux importations, n’ont pas pu jouer leur rôle en raison des loop flows allemands provoqués par une production éolienne particulièrement élevée.
Dans son rapport de juin 2022, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) montre la corrélation systématique entre production éolienne allemande et baisse de la capacité d’import allant jusqu’à la moitié des capacités d’importation française en raison des loop flows.
Parallèlement, Sia Partners constatait en 2020 : « les pics de prix dans la zone d’enchères belge ne se produisent que lorsque les flux de boucle dépassent une certaine valeur (500 MW). »
Les interconnexions sont destinées à permettre la coopération entre États pour faire converger les cours par des importations tant que… les réseaux ne sont pas saturés. Les promoteurs des EnRi misent sur une mutualisation toujours plus large pour refouler loin les surplus des productions pour compenser les périodes sans vent ni soleil.
Le coût de développement des réseaux est exponentiel et laisse augurer des jours… sombres.
 Répartition du coût des congestions
Les flux de boucle non planifiés et clandestins sont dénoncés par l’Agence pour la coopération des régulateurs d’énergie (ACER) dans son rapport du 3 juillet 2024 sur les congestions du réseau.
En 2015 déjà , France Stratégie relevait que les pays traversés n’étaient même pas rémunérés par l’Allemagne pour l’électricité qu’elle faisait transiter sur leurs lignes pour acheminer la production de ses éoliennes de l’Allemagne du Nord vers sa consommation par l’industrie d’Allemagne du Sud, en raison des congestions structurelles de son propre réseau.
La fin de l’électricité clandestine
Pour éviter ou diminuer ces flux de boucle, l’ACER envisage deux zones d’enchères distinctes en Allemagne. Les flux provenant des éoliennes d’Allemagne du Nord vers l’Allemagne du Sud ne pourraient plus être considérés comme transaction interne à une même zone d’enchères. Leur transit devrait être négocié, y compris par les réseaux voisins. Toute production abondante des éoliennes de la Mer du Nord entraînant alors une différence significative de prix du MWh entre les 2 zones allemandes. La Cour des comptes allemande chiffre à plus de… 460 milliards d’euros (!) les investissements nécessaires au réseau allemand.
Séparée en deux zones d’enchères distinctes, l’Allemagne ne pourrait ainsi plus masquer les coûts induits sur le réseau européen par l’intermittence de la production de ses ruineuses EnRI en la faisant transiter clandestinement (« free-riding flows ») sur les réseaux de ses voisins.
En mai 2007, Marcel Boiteux expliquait déjà dans Futuribles : « En théorie économique, l’électricité cumule pratiquement toutes les exceptions aux heureux effets de l’économie de marché. D’où suit qu’on peut militer avec conviction pour la régulation par le marché, et en exclure l’électricité. ».
Il est regrettable que l’empilement des directives et règlements de Bruxelles en arrivent à de telles dérives pour n’avoir pas intégré ce point fondamental de l’économie de marché.
Merci pour ces précisions techniques.
Le bilan des énergies intermittentes est accablant mais ne décourage en rien nos gouvernants qui continuent d’enfoncer le clou, ce qui nous amène à nous poser les questions suivantes :
Sont-ils incompétents ?
Sont-ils corrompus ?
Sont-ils les deux en même temps ?
cela fait pas mal de temps que je me pose la même question
vous oubliez une troisième option, ce sont des imbéciles, n’oubliez pas l’épisode Greta
Parfaitement, mais dans leur cas ils cochent toutes les options en même temps…
Je pense surtout qu’ils sont intéressés avant tout à leur image et à leur propre communication politique.
Faire construire des éoliennes, ça va vite, ça donne un résultat visible rapidement (au-moins au niveau du paysage), et les problèmes induits viendront pendant le mandat du suivant – on ne me fera pas croire que le problème de sous-investissement allemand dans les réseaux dénoncé dans l’article date d’hier et a pris tout le monde au dépourvu. Mais construire des lignes électriques, c’est laid et ça ne permet pas de se vanter d’un bilan flatteur. De même, lancer la construction d’une centrale nucléaire… ou se souvient de qui a fait fermer SuperPhénix, mais qui avait lancé le chantier ? Qui a lancé le chantier de la nouvelle tranche de Flamanville ?
Bref : pour un politique qui privilégie le temps court, les “renouvelables” sont du pain béni, pourquoi s’en priveraient-ils ? De toute façon, ils ne feront pas face aux conséquences, et même si on leur demandait les comptes, il pourront toujours répondre que l’urgence du moment était de “sauver la planète”.
Les flux électriques ne suivent pas le chemin de moindre résistance !
Ils utilisent tous les chemins possibles, mais plus la résistance est faible, plus l’intensité du flux est élevée.
la faillite spectaculaire de la transition énergétique allemande devrait faire sonner l’alarme dans les pays voisins qui ,de façon parfaitement idiote, envisagent de rattraper leur” retard” sur ce modèle.
Il n’en est rien, les anglais , mêmes causes, mêmes effets, se précipitent vers la faillite, chez nous en parle de dette “écologique”, comme si on n’était déjà pas “lessivés” de dettes.
Le modèle allemand pouvait continuer avec le gaz russe bon marché, ils avaient même le culot de parler d’énergie de transition.Exit le gaz russe.Mais pas question de faire aveu d’échec, on envisage des plans de secours absurdes(comme tout ce qu’imagine un écolo), l’hydrogène vert venant d’Afrique, et autres calembredaines ruineuses, mais finalement on se retrouve devant le mur de la réalité physique et financière.
On a vu la chancelier teuton prendre contact avec Vlad, et de s’étonner? Les allemands qui se sont vendus aux russes(et nous avec par la même occasion) trahiront les ukrainiens sans remords ,pour sauver leurs usines, et leur accès au gaz russe, n’en doutez pas une seconde.
Pour nous, cela tient de la comédie burlesque avec un président qui tance Milei, qui envisage de se retirer des accords de Paris(que personne à part nos bien pensant occidentaux, beniouioui,ne respecte), et le patron de Total qui vante les énergies fossiles à la COP, et qui reste la seul opérateur occidental présent en Russie, alimentant dans les faits l’opération spéciale.
Un agriculteur en colère, dernièrement à l’antenne posait la question:ils sont où les écolos?
Tout est sous estimé, mal évalué, car les ENR sont supposées être parfaites….
Pourtant l’observation, confirme ce que les thermodynamiciens non idéologues pouvaient envisager : https://www.nature.com/articles/s41598-023-49650-9
J’avoue, je n’ai pas tout compris. Une synthèse ?
En gros, grâce aux ENR tu paie plus cher pour polluer plus, et en même temps pour éponger les dettes de nos voisins qui ont fait n’importe quoi.
on va rappeler une chose les allemands disent ne vouloir ni de nucléaire , ni de fossiles…
dès lors..le prix de l’électricité doit s’envoler.. vu de france..ils se démerdent avec leur choix “moraux”..
il ya un sujet en premier , l’UE repose sur la concurrence non faussée.. dès lors…si on estime que le politique doit contrôler le secteur électrique..ça doit se faire au niveau européen.. eh oui..
ou alors comment éviter les plaintes pour distorsion de concurrence si chaque pays fait sa soupe en interne..
je devine évidemment que les poltiques discutent ferment en coulisse pour le bien des peuples ça va de soi..
chacun semble découvrir que l’allemagne s’arrange..mais on ne me fera pas croire que les français par exemple ne le savaient pas et ont accepté pour des raisons internes en contrepartie de concessions allemandes sur d’autres points..
pas cons à ce point… non non non..
les poltiques je veux biens les conseillers, j’ai un doute.
au point qu’il est assez vain de regarder juste le secteur électrique et de crier au scandale.
l’
Le délire climatique intéressé mène à tout.