L’Allemagne veut retirer le nucléaire de l’Union européenne

Alors que la France et l’Allemagne avaient trouvé mi-janvier un consensus pour inscrire à la fois le gaz et le nucléaire comme énergies dites de transition dans la taxonomie verte européenne, Berlin vient de faire marche arrière.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 1
Olaf Scholz by SPD Schleswig-Holstein (Creative Commons CC BY 2.0)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

L’Allemagne veut retirer le nucléaire de l’Union européenne

Publié le 19 mai 2022
- A +

Alors que la France et l’Allemagne avaient trouvé mi-janvier un consensus pour inscrire à la fois le gaz et le nucléaire comme énergies dites « de transition » dans la taxonomie verte européenne, Berlin vient de faire marche arrière.

L’information est tombée ce mardi sur le média Contexte confirmée ensuite par Marianne : « l’énergie nucléaire n’est pas durable et ne doit donc pas faire partie de la taxonomie » a déclaré le porte-parole du ministère allemand de l’Économie et du Climat dirigé par le Vert Robert Habeck au sein de la coalition SPD/Verts d’Olaf Scholz. La présidence française du Conseil avait fixé la date butoir du 13 mai pour déposer un veto au texte.

 

L’Allemagne contre le nucléaire

Rappelons que la taxonomie fait référence à une notion de classification largement utilisée en biologie. Le concept a été repris par l’Union européenne pour classifier les différentes énergies par rapport à leurs émissions de gaz à effet de serre ou autres effets environnementaux nuisibles. Seules les énergies reconnues ou assimilées vertes peuvent alors bénéficier de subventions de l’UE.

N’avaient été classées initialement en taxonomie verte que les énergies renouvelables (solaire, éolien, biomasse et hydroélectrique). Mais, début 2022, l’Union avait décidé d’ajouter à titre temporaire (d’où le nom d’« énergie de transition ») le gaz (car faiblement émetteur par rapport au charbon et au pétrole) et le nucléaire (non émetteur mais critiquable car générant des déchets radioactifs). En filigrane, il s’agissait surtout de ne fâcher ni les Allemands (utilisant massivement du gaz) ni les Français (utilisant massivement le nucléaire). Dans le nouvel accord, les projets gaziers concernent des centrales de dernière génération dont le permis de construire doit être déposé avant le 31 décembre 2030 (comme par hasard dernière centrale construite en Allemagne). Pour le nucléaire, la date butoir est 2045 (dernières EPR françaises).

Ce consensus mou traduisait aussi un constat d’échec quant à la stratégie énergétique européenne : en donnant au gaz et au nucléaire un statut de « taxon vert », Bruxelles reconnaissait implicitement et sans le dire la croissance 100 % renouvelables comme une dangereuse utopie.

Dans un article publié dans Atlantico en janvier 2022 j’écrivais :

En inscrivant le gaz dans la taxonomie européenne, l’Europe prend le risque d’accroître de façon significative sa dépendance vis-à-vis de ses fournisseurs de gaz, Russie en tête.

Depuis, la guerre russo-ukrainienne est passée par là. Pour desserrer l’étau du gaz russe dont elle dépend à plus de 50 %, l’Allemagne, qui fermera sa dernière centrale nucléaire fin 2022, n’a d’autre choix que de se tourner vers le charbon. En conservant tel quel l’accord de janvier, le pays de Goethe donnerait à la France, dont le nucléaire couvre plus de 70 % de sa génération électrique, un avantage compétitif certain. Bien que la raison officielle invoquée par le porte-parole allemand soit environnementale et résulte aussi de la pression de collectifs environnementaux privilégiant le tout- renouvelable, on ne peut s’empêcher de déceler des raisons purement économiques derrière cette décision inattendue.

Un bras de fer s’était engagé au cours des dernières années entre membres opposants au nucléaire (Allemagne, Autriche, Luxembourg, Danemark) et ceux favorables à l’atome (Pologne, Hongrie, Finlande, Croatie, Roumanie…). Il s’était un peu relâché à la suite de l’accord mais risque de ressurgir de plus belle au cours des prochaines semaines. Ce désaccord structurel profond entre membres pourrait fissurer une Union européenne rendue très fragile par sa dépendance énergétique.

 

Une priorité pour le nouveau gouvernement

Ce dossier imprévu sera l’une des priorités de la nouvelle Première ministre Élisabeth Borne dont on connait par ailleurs le faible engouement pour le nucléaire. Pourtant, après avoir défendu durant son premier mandat l’arrêt de Fessenheim, la sortie d’Astrid et la réduction à 50 % du nucléaire en France, Emmanuel Macron a effectué depuis l’été 2021 un virage à 180°. Dans son discours de Belfort le 13 février, il avait annoncé supporter le grand carénage des réacteurs existants, le lancement immédiat de six nouveaux EPR ainsi que la planification de huit autres.

Le sujet pourrait aussi s’inviter dans la campagne des législatives. Principal opposant à la majorité présidentielle, la Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale est en effet favorable à la sortie du nucléaire en France. Ayant englouti socialistes, communistes et écologistes, l’extrême gauche, dorénavant dirigée sans partage par La France Insoumise, devrait instrumentaliser cette actualité brûlante pour conforter sa position antinucléaire.

Le veto allemand peut-il pour autant bloquer le projet porté depuis mi-janvier par la Commission ? Pour ce faire, il faudrait que 20 États sur 27 se joignent à l’Allemagne. Or, pour l’instant seuls le Luxembourg, l’Autriche et le Danemark sont solidaire du veto allemand. Seconde possibilité : le Parlement européen via un vote à la majorité simple avant le 2 juin.

Si aucun de ces deux leviers est mis en œuvre, le texte proposé mi-janvier sera alors adopté et entrera en vigueur au 1er janvier 2023.

 

Voir les commentaires (17)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (17)
  • Avatar
    jacques lemiere
    19 mai 2022 at 6 h 40 min

    bah est une volonté politique réelle ou une stratégie d’affichage, prise car on sait que ça peut ne pas passer..

  • En réponse que difficultés crées par le conflit Ukrainien (/Russie), l’Europe n’envisage pas la seule solution efficiente c’est à dire l’appel le plus précoce possible à l’énergie nucléaire.
    https://www.euractiv.fr/section/energie/news/leak-la-commission-europeenne-envisage-de-revoir-son-objectif-2030-pour-les-energies-renouvelables-a-la-hausse/

  • Il serait grand temps que notre gouvernement se déniaise et arrête de faire comme si tous les pays européens voulaient le bien de la France.
    Gouverner, c’est d’abord vouloir le bien de son propre pays et non de déclamer des concepts cul-cul à la manière de l’Eurovision !
    Il est urgent de désobéir à l’UE qui a failli dans tous les domaines.

    • Avatar
      jacques lemiere
      26 mai 2022 at 9 h 05 min

      il serait grand temps que les français se déniaisent et arrêtent de penser que leur voisin, ou le gouvernement veulent leur bien..

      ce genre de phrase est populaire mais fumeuse…

      d’abord il est douteux que le gouvernement français pense cela..!!!!

      il utilise le nucleaire comme levier poltique, c’est un atout français qu’il est prêt à sacrifier peu ou prou contre non pas l’interet des français mais ses objectifs propres..

      c’est je te donne mon nucleaire, tu finances ceci ou cela..

      TOUTE politique energetique mais aussi par exemple agricole st comme ça !!!!

      il faut en finir avec la pensée magique…du bon gouvernement.. qui serait nucleophile…ou je ne sais quoi??

      un gouvernement doit toujours être limité et scruté…

  • « Emmanuel Macron a effectué depuis l’été 2021 un virage à 180°. »
    Macron a effectué un virage à 180° mais rien ne l’empêcherait(a) d’en faire un second, les politiques n’ayant aucune vergogne ni honnêteté morale.
    Cependant suivre l’Allemagne (comme la france l’a toujours fait en général) sur le terrain du nucléaire en particulier serait une très grave erreur aux conséquences catastrophiques.
    Nous verrons si Macron a vraiment changé et sera digne de sa fonction.

    • En effet, il ne s’agit pas tant de virages que de cabrés et de plongeons, sachant qu’une fois le cap mis à 90° vers le bas, ça ne décide plus que de savoir si on atterrira sur la tête ou le Q.
      Et le gros problème avec Macron, ce sont ses ambitions personnelles de diriger l’UE à partir de 2027, quand il n’aura plus le droit de se contenter de diriger la France…

      • Tout à fait d’accord et d’ici là il faudra qu’il aille dans le sens de l’UE et valide ses décisions qui ne sont pas du tout cohérentes

  • On a bien d’autres soucis que de s’intéresser à l’énergie, gaz nucléaire ou autre, quand on n’a plus d’argent pour en acheter…… Et même le pain va se faire très rare… 50% des centrales françaises sont à l’arrêt et ne sont pas prêtes à redémarrer… Corrosion paraît il….. Quant à l’epr…… Ou d’autres epr…. On manque cruellement de milliards… On demandera à notre oncle d’Amérique…

  • Le nucléaire ne peut être qu’une solution temporaire : le risque est particulièrement élevé. Et dire que le nucléaire ne produit pas de gaz à effets de serre est tout bonnement faux : la construction, l’entretien, le transport des combustibles et des déchets, le démantellement, ne se font pas à dos d’âne … Et sans compter que le combustible vient bien de l’étranger … au même titre que le gaz ou le pétrole.
    Les allemands ne sont pas plus bêtes que nous. Au de-là des choix économiques, il y a bien des questions de fond : quelle société pour demain ? et surtout, quel avenir pour l’humanité ?
    Les visions à court terme sont obsolètes dès qu’elles apparaissent.

    -10
    • Le défaut originel, c’est que les politiques ont suivi un avis militaire, oui le réacteur militaire peut aussi produire de la chaleur et donc de l’électricité. La présidence de USA n’a pas compris comment ça marche !
      Le réacteur militaire à l’Uranium est une machine prévu pour produire du plutonium. Le réacteur civil au Thorium pour produire de la chaleur avec toutes les garanties de sécurité passive, rien ne peut venir à manquer… C’est diamétralement opposé au concept militaire.
      La technologie civile ne produit pas de déchets et elle permets de traiter ceux des militaires.
      La France a en en stock sur des terrains vagues plus de 500 ans d’électricité. Ce Thorium est issus du traitement des terres rares, un déchet. Ces stock sont surveillés, on en connaît la valeur stratégique.

    • Quels chiffres avez-vous pour le risque ?

    • Je peux me tromper mais vos arguments ne tiennent pas la route, il faudrait que vous réactualisiez vos connaissances en la matière

    • Octavo, la question de la construction, de l’entretien et du démantèlement est bel et bien prise en compte dans certaines études visant à qualifier les différents modes de production d’électricité.
      Et c’est sans appel, le nucléaire avec 6g / MWh se retrouve non seulement bien moins émetteur de CO2 que le gaz à 500g, mais également moins que l’éolien à 11g !
      Eh oui, la production est tellement plus importante avec le nucléaire que malgré l’importance de l’investissement initial, des déchets et du démantèlement en fin de vie que le nucléaire est moins polluant que l’éolien à tout point de vue (notamment l’empreinte au sol et aérienne qui est très important pour l’éolien et le solaire).
      La vision à court terme était la vision allemande, avec la guerre actuelle, même eux s’en rendent compte : charbon et gaz comme palliatifs pour pousser des technos pas au point et dépendance à un pays rival et impérialiste pour s’approvisionner qui peut vous faire du chantage.
      La vision à long terme implique d’être en capacité de produire de l’énergie sans dépendre de sources douteuses vous en conviendrez.

  • La bêtise est de ne pas faire de pédagogie, le nucléaire oui mais pas à l’Uranium, revenons aux années 60 et reprenons le fil des scientifiques :
    Un réacteur à Thorium sels fluorés à neutrons rapides éliminent tous les inconvénients des réacteurs à Uranium.
    Un démonstrateur a fonctionné 4 ans !
    Les chinois sont en train d’industrialiser la chose, les américains ont partagé les archives !
    Leur démonstrateur est construit en plein désert, refroidissement par air et fonctionnement avec essentiellement des sécurités passives. Un modèle exportable vers tous les pays.
    Sans oublier que le fonctionnement permet de brûler tous les déchets de la filière Uranium, les déchets ultimes de ce type de réacteurs est de 300 ans. C’est bien 300 ans, pas d’erreur.

  • Ce qui est énorme dans tout cela, c’est que le principal paramètre (les émissions de CO2) n’est absolument pas respecté, ni pris en compte dans le choix et la classification des différentes sources.
    Le gaz est mis comme moins nocif que le nucléaire, alors que le second n’émet aucun co2, contrairement au premier…
    Ils sont forts ! 🙂

  • On peut faire confiance à macron pour plier l’échine devant l’allemagne en en profitant pour essayer d’obtenir la popularité (auprès des dirigeants seulement) européenne propre à l’obtention du titre de président de la commission européenne (non élu par les citoyens).
    L’europe nous écrase sans que nous n’ayons même pas le sentiment (y compris par le vote tant les lobbies sont puissants à Bruxelles) d’avoir notre mot à dire.
    Si l’europe ne nous apporte que la descente aux enfers pourquoi y rester…

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don
7
Sauvegarder cet article

Notre nouveau et brillant Premier ministre se trouve propulsé à la tête d’un gouvernement chargé de gérer un pays qui s’est habitué à vivre au-dessus de ses moyens. Depuis une quarantaine d’années notre économie est à la peine et elle ne produit pas suffisamment de richesses pour satisfaire les besoins de la population : le pays, en conséquence, vit à crédit. Aussi, notre dette extérieure ne cesse-t-elle de croître et elle atteint maintenant un niveau qui inquiète les agences de notation. La tâche de notre Premier ministre est donc loin d’êtr... Poursuivre la lecture

Ce vendredi 2 février, les États membres ont unanimement approuvé le AI Act ou Loi sur l’IA, après une procédure longue et mouvementée. En tant que tout premier cadre législatif international et contraignant sur l’IA, le texte fait beaucoup parler de lui.

La commercialisation de l’IA générative a apporté son lot d’inquiétudes, notamment en matière d’atteintes aux droits fondamentaux.

Ainsi, une course à la règlementation de l’IA, dont l’issue pourrait réajuster certains rapports de force, fait rage. Parfois critiquée pour son ap... Poursuivre la lecture

Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles