À la veille de l’élection présidentielle, un libéralisme en ordre dispersé

Le libéralisme classique n’a pas disparu en France, il s’est fractionné, dispersé, presque dilué au sein des différentes formations qui ont réagi différemment aux derniers événements nationaux et internationaux en date.

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À la veille de l’élection présidentielle, un libéralisme en ordre dispersé

Publié le 25 mars 2022
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À la veille de l’élection présidentielle, aucun candidat ne défend de programme libéral. Le libéralisme classique, qui s’appuie sur une théorie -et une pratique- cohérentes qui placent la liberté individuelle au cœur du fonctionnement de l’ensemble des règles sociales, politiques et économiques, se trouve comme fractionné et dispersé à droite comme à gauche sans que personne n’en porte le flambeau comme projet normatif total.

Unité du libéralisme classique

On doit aux travaux de Ludwig von Mises, Friedrich Hayek, James Buchanan ou plus récemment Deirdre McCloskey la constitution d’un corpus d’idées qui font de la tradition politique et intellectuelle libérale un tout distinct de ses concurrents, qu’ils soient socialistes, conservateurs, populistes ou autoritaires. Si les éditorialistes et les journalistes tendent à débiter la liberté en morceaux, en distinguant libertés civiles, politiques et économiques, ces grands théoriciens ont eu l’immense mérite de rappeler que le libéralisme est un.

mises-hayek

L’ordre libéral repose sur des institutions juridiques, des pratiques politiques et une culture commune qui coordonnent l’action humaine sans interférence arbitraire de la part d’un État contenu dans ses fonctions régaliennes. La dignité de l’individu, le respect exigeant de sa propriété et des formes de la justice constituent les premiers principes de son existence, et les formes du droit sont là pour conserver et entretenir la culture et les vertus « bourgeoises », pour reprendre l’expression de McCloskey, pour son bon fonctionnement.

L’extension sans précédents depuis l’après-guerre de l’État, qui s’est mué sous la pression des guerres, des crises et de la demande de redistribution sociale, a érodé le cœur du libéralisme classique. En démocratie, la première place accordée à la liberté est bien souvent contestée par son éternel concurrent, l’égalité. Celle-ci, limitée à l’égalité en droit au sein des régimes authentiquement libéraux, s’est peu à peu étendue à l’égalité sociale et maintenant à l’exigence d’égalité de reconnaissance entre les cultures et les identités.

Au nom de cette pression égalitaire, l’État s’est non seulement instituée comme acteur politique majeur, mais aussi comme arbitre économique et social, le tout au détriment de la libre association des individus entre eux. Le poids de la puissance publique, en particulier en France, n’a cessé de s’étendre et a trouvé son incarnation constitutionnelle parfaite avec la Cinquième République.

Comme le rappelait Philippe Raynaud, le régime gaulliste s’est aussi pensé comme un régime de conduite de l’économie nationale, faisant de la France un pays au secteur économique semi-dirigé1. Et qui dit direction de l’économie dit organisation politique suffisamment puissante pour organiser l’ordre social selon sa convenance, faisant de l’hétéronomie politique propre à la technocratie le trait commun à toutes les formations politiques en compétition pour le pouvoir.

Marginalité française du libéralisme

De droite à gauche, des gaullistes jusqu’aux socialistes, les partis politiques nés dans le sillage de la Cinquième République se sont révélés plus ou moins dirigistes, n’acceptant qu’à la marge le libéralisme politique, et bien souvent sous pression de l’évolution du reste du monde occidental. D’abord sous l’influence culturelle des États-Unis, ensuite avec l’européanisation des institutions françaises, le pays s’est ouvert au libre-échange, a en partie réformé ses institutions pour les rendre plus transparentes et moins monarchiques. Certains observateurs, comme Jean-Philippe Feldman, ont toutefois remarqué que ces ouvertures restaient limitées au sein d’un pays à la culture profondément hostile au libéralisme, et cela depuis des siècles2.

Les temps ont changé, et l’influence des États-Unis est en net recul sur la scène internationale. L’Union européenne est en crise, et l’émergence de la Chine sur la scène internationale offre un contre-modèle de modernisation économique qui prétend s’affranchir des principes de la démocratie libérale. Avec la crise sanitaire, les gouvernements et les élites occidentales ont accepté de rogner plus encore les libertés publiques, faisant d’un état d’exception dont ils avaient déjà abusé au nom de la menace terroriste une pratique ordinaire de gouvernement en rupture avec l’état de droit libéral.

L’exception sanitaire, par bien des côtés, pourrait être une répétition générale de ce qui nous attend pour faire face à l’urgence climatique. Celle-ci pourrait justifier à l’avenir le rationnement, la sobriété énergétique, le contrôle des prix mais aussi le contrôle social pour éviter d’aggraver une situation écologique que beaucoup dénoncent à demi-mots comme incompatible avec le plein exercice de la liberté individuelle.

Le libéralisme en ordre dispersé

Cette glaciation anti-libérale internationale se conjuguant avec l’illibéralisme français traditionnel a un effet immédiat sur l’élection présidentielle qui vient. Le libéralisme classique n’a pas totalement disparu, il s’est fractionné, dispersé, presque dilué au sein des différentes formations qui ont réagi différemment aux derniers événements nationaux et internationaux en date.

D’abord, à la gauche de la gauche, les atteintes aux libertés individuelles portées par la législation antiterroriste puis l’état d’urgence sanitaire ont fait redécouvrir à certains les vertus de l’État de droit, de la protection de la vie privée et d’un gouvernement tempéré par des contre-pouvoirs qui fonctionnent. Le pass sanitaire et ses promesses liberticides, la vaccination à marche forcée jusqu’à la suspension des soignants récalcitrants et l’encadrement de la liberté de circulation ont fait réaliser à certains commentateurs, notamment Mathieu Slama, que l’ordre bourgeois des libéraux a du bon, et qu’il mérite même d’être défendu, y compris dans sa variante républicaine française.

À la droite de la droite, l’insécurité et le contrôle de la parole publique par les autorités sont devenus des sujets d’intérêt majeur, qui, là aussi, pointent dans la direction du libéralisme politique. L’État qui se disperse dans des missions n’est pas capable d’accomplir correctement ses missions régaliennes, en particulier le maintien de l’ordre public et la pénalisation des comportements hostiles à la dignité humaine, à la propriété et à la justice. Rétablir l’ordre républicain, c’est aussi revenir à son fondement essentiel libéral, et demande aussi une cure d’amincissement d’un État qui a perdu le sens des priorités dans ses interventions. La liberté d’expression totale va de pair avec l’idéal du gouvernement de citoyens éclairés, capables de s’informer et de participer de manière égalitaire à un débat public qu’il participe à élaborer par la confrontation des points de vue et la délibération rationnelle.

Au centre droit, certains ont compris que le capitalisme reposait sur l’innovation, et que l’économie numérique constituait un moteur de croissance essentiel. Faire de la France un environnement favorable au développement des nouvelles technologies a conduit plusieurs personnalités à s’interroger sur la nécessité de réduire des impôts de production, notamment grâce à réflexion essentielle qu’a eu l’Institut Molinari sur la question.

Au centre gauche, des voix se font entendre pour faire évoluer les mentalités afin d’étendre la sphère du consentement individuel et la liberté de conscience. Pour la reconnaissance des minorités, la liberté de conscience et en faveur de laïcité, une partie de la gauche défend l’émancipation individuelle au nom de l’inclusivité.

Même les manifestations de « démocratie sauvage », comme celle des Gilets jaunes, héritent d’un pan du libéralisme politique, à savoir l’exigence de responsabilité des gouvernants face aux gouvernés (le RIC) et la justice fiscale.

Un vote à reculons

Les thèmes du libéralisme classique se retrouvent dilués dans l’illibéralisme des factions politiques concurrentes : la fascination populiste des Zemmour, Le Pen et Mélenchon pour l’autoritarisme, le centre macronien devenu autoritaire et technocratique, la gauche d’Hidalgo à Jadot qui est devenue libertine pour faire passer son socialisme dirigiste. Face à cette offre électorale tristement uniforme, les libéraux se dispersent et voteront en fonction de leurs préférences personnelles.

Ceux qui valorisent la sécurité iront à droite, ceux qui valorisent le libéralisme culturel et les libertés publiques à gauche. Mais tous regretteront l’absence d’offre véritablement libérale, qui fait l’unité entre tous ces désirs de liberté. Les libéraux sont les seuls à défendre par principe ce que ces factions défendent par intérêt et de manière cosmétique. Ils sont les seuls à dénoncer dans la croissance sans frein de l’État un changement dans la nature même du régime politique démocratique.

Dans un entretien récent, Francis Fukuyama expliquait que la guerre en Ukraine allait peut-être avoir l’effet d’un électrochoc salutaire pour l’Occident. Face à l’agression russe, les consciences endormies vont peut-être prendre conscience du danger constitué par ceux qui prétendent détrôner le libéralisme au profit de l’autoritarisme. Face à la barbarie, les Français vont peut-être redécouvrir que les vertus du libéralisme classique sont non seulement désirables, mais indispensables à la vie bonne.

 

  1. Philippe Raynaud, L’esprit de la Ve république, Perrin, 2017.
  2. Jean-Philippe Feldman, L’exception française, Odile Jacob, 2020.

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