« On ne change pas les entreprises par décret » de François Dupuy

Eviter les faux remèdes en s’appuyant sur le fonctionnement réel des organisations pour travailler autrement et plus efficacement.

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« On ne change pas les entreprises par décret » de François Dupuy

Publié le 7 novembre 2020
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Par Johan Rivalland.

Savoir cultiver la confiance et développer l’intuition ne se décrète pas. Fort de nombreuses années d’expérience, d’observation et de connaissance, François Dupuy, sociologue des organisations réputé, qui a conseillé de nombreux dirigeants d’entreprise, prend le parti à travers cet ouvrage de dépasser le cadre de l’analyse et des constats (néanmoins nécessaires et qu’il avait établis à travers ses deux précédents ouvrages de cette série Lost in management) pour en venir à la phase de l’action, qui est ici l’objet de ce troisième volume. Et qui s’appuie, fidèle aux enseignements qu’il a reçus de Michel Crozier, sur les fondements de la connaissance.

Changer la culture des entreprises

François Dupuy montre que les tentatives, issues des théories des organisations des années 1960 et 1970 (école des relations humaines), de sortir des modes d’organisations tayloriens ont globalement échoué à favoriser le développement de la confiance dans les univers de travail.

Si l’horizontalité, la transversalité, les fonctionnements coopératifs ou en mode projet pouvaient paraître séduisants sur le papier, ils se sont bien souvent heurtés, sans que ce soit vraiment conscient ou voulu, aux résistances humaines et au désengagement.

Il s’en est suivi l’émergence d’un management que François Dupuy qualifie de « coercitif », en ce sens qu’il a été nécessaire de réinstaurer des règles, des procédures, et du contrôle, via notamment des systèmes de reporting.

Dès lors, cela a induit de nouveaux effets pervers, par excès de production de règles, contraignant les acteurs véritablement efficaces à l’être par le contournement de ces mêmes règles. Aptitude réservée à quelques-uns. Et en définitive, le désengagement n’a fait que s’accélérer, de même que la perte de contrôle.

François Dupuy met ainsi en cause la profonde inculture du monde managérial, qu’il accuse de porter en lui cette impuissance et ces erreurs récurrentes. Déficit de culture générale, tout d’abord, qui empêche de s’appuyer sur les leçons de l’histoire pour mettre en perspective ce qui est vécu dans l’instant de manière analogue, au profit de l’instinct et de l’émotion.

Et inculture en ce qui concerne les concepts et les méthodes issus des théories des organisations, qui permettraient pourtant de comprendre et d’interpréter des comportements récurrents en les contextualisant.

La prise de conscience et la recherche d’alternatives est cependant désormais manifeste. Le problème étant leur mise en œuvre.

En matière de transformation profonde des modes de fonctionnement et de management des entreprises on se trouve dans une situation comparable à celle de la réforme de l’État en France. Tout le monde (ou à peu près) sait ce qu’il faudrait faire, mais personne ne sait vraiment comment le faire.

Car il s’agit bel et bien, nous dit François Dupuy, de changer la culture des entreprises et de révolutionner les pratiques de travail, ainsi que les relations, en remettant en cause les hiérarchies obsolètes, mais pas seulement. Tout un tas d’autres éléments également. Sans céder pour autant à une quelconque naïveté.

Renoncer aujourd’hui à changer serait catastrophique. Car, depuis la première « poussée coercitive », le monde n’a cessé de s’ouvrir, la concurrence s’est durcie et elle oblige les entreprises à hausser toujours plus haut le niveau de leurs performances. Pour ce faire, elles s’engagent, de gré ou de force, dans un cycle de transformations permanentes qui tolèrent de moins en moins les erreurs ou les à-peu-près.

Investir dans la connaissance

Face à la percée des innovations technologiques, aux exigences croissantes des clients, et à la complexité de l’action collective, la littérature managériale foisonnante donne trop souvent le sentiment de disposer d’un patchwork hétérogène de solutions à des problèmes mal définis.

Or, nous dit François Dupuy, ce qui nous manque est la connaissance. Les solutions déterministes, toujours plus ou moins dérivées des approches d’Elton Mayo et de l’école des relations humaines, ou d’Abraham Maslow, se bornent trop souvent à alerter utilement sur les dérives du management contemporain.

Or, ce que François Dupuy estime nécessaire est l’émergence d’une véritable théorie et d’une pratique de l’action. Ce qu’il propose dans cet ouvrage, en s’appuyant sur son expérience dans l’activité de conseil.

C’est l’acquisition de la connaissance en premier lieu qui permettra ensuite la prise de décisions, puis leur mise en œuvre. Et, contrairement à ce que l’on croit, nous dit-il, ce sont la première et la troisième de ces phases qui sont les plus complexes.

Mais pour commencer, insiste-t-il, il convient d’avoir bien présent à l’esprit que l’on ne saurait confondre – comme c’est bien trop souvent le cas et mène à de trop nombreux échecs – organisation et structure. La première ne saurait se réduire à la seconde, et se compose d’un ensemble de comportements humains. C’est donc sur ce terrain-là qu’il convient de chercher à comprendre les problèmes, en s’appuyant sur la connaissance, avant de proposer des solutions et surtout d’anticiper les stratégies d’adaptation à leur mise en œuvre.

Un ouvrage riche et stimulant

Loin des recettes simples et séduisantes, cet ouvrage démontre donc que ce sont l’exigence de la connaissance et l’appréhension de la complexité qui mèneront à bien cerner un problème ou un ensemble de problèmes plutôt que de céder aux exigences de la rapidité (et du soi-disant management moderne).

Autrement dit, « se passer de la connaissance avant d’agir revient à confondre vitesse et précipitation », insiste l’auteur. Entraîner ses équipes, motiver ses salariés, ou rendre son organisation agile ne suffisent pas à résoudre un problème. Il faut déjà commencer par comprendre où il se situe vraiment.

À l’opposé des recettes toutes faites, qu’il ne faut surtout pas attendre ici et qui seraient inopportunes dans le cadre de référence de ce mode de raisonnement, c’est donc à une contextualisation que nous invite de manière passionnante et méthodique François Dupuy, avec exigence et en écartant au maximum les simplifications ou stéréotypes, et en s’écartant – ici comme ailleurs – de toute solution technocratique, ou fondée sur un excès de bureaucratie, qui n’aurait pour effet que de tuer toute intuition issue de l’expérience ou de paralyser la motivation.

Une approche rigoureuse et structurée, basée sur la connaissance, donc, mais aussi des outils (au premier rang desquels les études qualitatives, sous forme notamment d’entretiens semi-directifs ou de réunions de groupe), ainsi que des exemples concrets qui permettent un raisonnement fondé et tourné vers la pratique de l’action.

Car la compréhension d’un problème passe beaucoup par l’observation et la discussion, à tous les niveaux de l’entreprise, et doit tenir compte de la rationalité limitée des décideurs, avant de songer à une mise en pratique efficace des décisions qui résulteront de l’essentielle concertation, que ce soit en matière de résolution de conflits, par exemple, ou de transformations de l’entreprise.

Toute mise en œuvre de type technocratique risquant de se heurter à l’incompréhension, aux résistances, ou aux décisions absurdes.

Le changement est, en effet, davantage une question d’intelligence que de moyens financiers, nous dit François Dupuy. Et c’est par une véritable réflexion concertée que l’on parviendra à induire ces changements, grâce à une action engagée de manière harmonieuse, construite autour de l’idée d’effectuation (en référence aux principes développés par Philippe Silberzahn). Se fondant sur la confiance et la transparence.

Un ouvrage stimulant dont je conseille vivement la lecture à la fois aux décideurs, à ceux qui interviennent dans le conseil en stratégie, ainsi qu’aux universitaires, mais aussi à tous ceux qui veulent mieux comprendre et contribuer à leur manière à la transformation des idées et des pratiques.

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  • Connaissance, puis Décision, puis Action.
    Un bouquin que l’on souhaiterait voir entre les mains de nos politiques, qui semblent ne connaître que la 2ème phase.
    Il faut cependant reconnaître que c’est hélas la seule qui se voit, et donc la seule nécessaire et suffisante pour la course à l’élection.

  • De ma longue carrière comme employé puis chef d’entreprise, je retiens que loin des blablas et des belles théories, c’est surtout une affaire d’individus, de personnalités et de rapports humains.
    Sauf extrême, quelle que soit l’organisation, un bon chef peut mener une équipe vers la performance, un mouton noir peut la pourrir, une locomotive la motiver, une langue de vipère susciter des conflits et on passe évidemment sur les chefs faibles, idiots, autoritaires ou trop laxistes et les employés incompétents, feignants ou malveillants.
    Les bons chefs que j’ai connus étaient des personnalités (je n’ai pas dit « forte ») et les autres ont beau avoir lu tous les livres de théories possible il restaient ce qu’ils étaient, on ne fera jamais d’un âne un cheval de course.
    Le premier génie d’un bon chef c’est de savoir s’entourer et de faire coller ensemble les différentes personnalités pour que tous tirent dans la même direction (si possible la bonne).

  • Bravo, c’est d’autant plus vrai qu’on pourrait décréter réciproquement que ceux qui voudraient décréter sont eux mêmes plus que « décrétables »

  • Si ce sujet vous intéresse, je vous recommande « Le Mangement fertile » livre « terrain » d’Yves Golder, dont la carrière a commencé aux RH puis au Commercial puis comme patron de PME. Bien pensé et bien décrit. (edition Gereso)

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