Octobre 2019 : tour d’horizon des émeutes à travers le monde

Petit tour d’horizon de la fièvre qui s’empare des peuples contre leurs élites politiques et économiques.   

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Riot by Josephine Pedersen(CC BY-SA 2.0)

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Octobre 2019 : tour d’horizon des émeutes à travers le monde

Publié le 28 octobre 2019
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Par Florent Ly-Machabert.

Pendant ce seul mois d’octobre, les émeutes urbaines à caractère politique ou socio-économique ont fait plus de 300 morts à travers le monde.

Tout juste 102 ans après la Révolution d’Octobre, la fièvre s’empare à nouveau des peuples, mais à l’échelle mondiale cette fois, puisqu’on dénombre actuellement pas moins de dix pays, dont certains démocratiques, traversés par des soubresauts politiques ou socio-économiques d’ampleur, quand ce n’est pas les deux à la fois.

Les contestations purement politiques

Il y a d’abord les contestations purement politiques à l’encontre de dirigeants corrompus dont la représentativité est gravement mise à mal.

C’est le cas premièrement de la Bolivie, théâtre d’une fraude électorale du Président Morales qui a provoqué une grève générale dans le pays.

On trouve ensuite l’Éthiopie où la tentative du tout nouveau récipiendaire du Prix Nobel de la Paix, Abiy Ahmed, de museler l’opposition a dégénéré en affrontements ethniques qui ont déjà fait 67 morts.

En Guinée, les manœuvres d’Alpha Condé, 81 ans, pour inscrire dans la Constitution le principe d’une « présidence à vie » ont réveillé le FNDC (Front National de Défense de la Constitution) dont la répression a fait au moins 10 morts.

Sans oublier les soubresauts dont l’origine est antérieure à cet automne mais qui n’en finissent plus de secouer Hong-Kong, l’Algérie et la Catalogne : la première, une région administrative semi-autonome, contre un projet de loi dictatorial, désormais suspendu, qui visait à autoriser les extraditions vers la Chine ; la deuxième contre la fausse élection présidentielle du 10 décembre prochain, mouvement auquel s’est greffée une contestation contre certains grands intérêts économiques des multinationales du secteur des hydrocarbures ; la troisième enfin, théâtre un peu différent d’émeutes indépendantistes.

Contestations économiques et sociales

Il y a ensuite les contestations économiques et sociales qui ont fait parler récemment François Lenglet d’une « giletjaunisation » du monde : au Chili, considéré comme le pays le plus stable d’Amérique Latine, la hausse, pourtant fort modeste et suspendue depuis, du prix du ticket de métro à Santiago et l’annonce d’une réforme des retraites ont poussé plus d’un million de Chiliens (soit environ 6 % de la population) à emboîter le pas d’une grève générale le 23 octobre dernier qui a fait 18 morts et à contester l’autorité du Président Piñera, cinquième fortune d’un pays marqué par de très fortes inégalités.

Au Liban, c’est une taxe sur les appels WhatsApp, finalement annulée, qui a, pacifiquement cette fois, poussé la population à protester contre sa classe politique jugée spoliatrice.

En Équateur, troisième épicentre latino-américain, c’est la hausse du prix des carburants qui a mis le feu aux poudres, ce qui a conduit le Président Moreno à retirer son décret, la répression des foules faisant tout de même au moins huit morts.

Enfin, en Irak, les réseaux sociaux qui s’étaient d’abord fait l’écho d’une demande populaire à la fois de services publics et de travail ont donné une ampleur inattendue aux manifestations qui ont tourné à la contestation anti-gouvernementale sur fond de lutte contre les milices chiites et, coupure d’Internet oblige, dégénéré en bain de sang (près de 200 morts).

Le déclencheur des émeutes

Devant l’apparente diversité des conflits ou mouvements sociaux cités, auxquels nous devons bien sûr ajouter celui des Gilets jaunes en France et des Cinque Stelle en Italie, on trouve, en filigrane plus ou moins marqué, un niveau d’inégalités économiques et sociales perçu comme insoutenable, qu’une seule mesure, qu’elle soit anodine de prime abord (à l’instar de la hausse de 30 pesos – un peu plus d’un euro – du ticket de métro chilien) ou très significative (comme la hausse de 123 % du prix du diesel et de 30 % pour l’essence en Équateur), a suffi à transformer en émeutes d’ampleur, et le plus souvent doublé d’un procès en illégitimité contre les élites politiques (la fameuse crise de la représentativité des élus), voire économiques (comme en Algérie).

Les classes populaires au premier rang

Mais les points communs ne s’arrêtent pas là. Ces crises sont en effet à chaque fois urbaines ou périurbaines et portées par les classes populaires ou la fraction inférieure des classes moyennes, que la bulle immobilière, en rognant leur pouvoir d’achat, a muées en « perdants de la mondialisation », expression que nous empruntons à Anne-Catherine Wagner dans un texte de 1998, bien qu’elle présente l’inconvénient d’occulter le recul historique de la pauvreté permis par ailleurs par ce processus à l’échelle globale.

Ces conflits contestent, le plus souvent, la création ou la hausse d’une taxe ou du tarif d’un bien réglementé par l’État, signe d’une saturation fiscale qui rappelle que le consentement populaire à l’impôt d’essentiel pour la gestion du bien commun est devenu accessoire.

De plus, à l’exception notable du Liban, ces mouvements sociaux sont empreints d’une singulière violence et de brutalité, tant de la part des manifestants que des forces de répression gouvernementale.

Une émergence spontanée des émeutes

Par ailleurs, tous ces sursauts sont apparus spontanément, les réseaux sociaux jouant à chaque fois un rôle décisif dans leur cristallisation, à laquelle les syndicats sont restés totalement étrangers dans chacun de ces pays.

Cette émergence spontanée permet cependant de rendre compte de leur manque relatif de cohérence idéologique, comme en atteste cette revendication pour le moins paradoxale d’un informaticien chilien en colère dont certains organes de presse se sont fait l’écho : « Nous demandons justice, honnêteté, éthique au gouvernement. Nous ne voulons pas le socialisme, le communisme, nous voulons moins d’entreprises privées, plus d’État. »

À l’ère de la mondialisation, comment vouloir échapper au collectivisme tout en réclamant davantage d’interventionnisme étatique ? À moins que cela ne consiste à revendiquer un recentrage de la puissance publique sur ses fonctions régaliennes (police, armée, justice, diplomatie, trésor), le soutien aux territoires les plus abandonnés (ruraux, périurbains) et quelques services publics (éducation, santé), qu’elle délaisse partout un peu plus au profit d’une passion égalitariste et d’une fièvre redistributive qui n’ont, par nature, et comme l’a montré Hayek, aucune limite.

Enfin, à l’heure du retour des grands impérialismes – eurasiatique russe, sunnite radical djihadiste, chiite iranien, dirigiste chinois et ottoman des Frères Musulmans, ne faut-il pas voir dans la multiplication de ces réactions populaires à travers le monde le salutaire réveil des États-nations ?

Seule l’Histoire, toujours en marche, saura répondre à cette dernière question.

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  • Quad la democratie n’a plus la capacité de résoudre les problèmes pour des questions électoralistes/ou les affaires sponsorisent les dirigeants , la revolte n’est pas loin..
    De plus c’est un conflit générationnel on vit plus longtemps , les jeunes veulent tout bouffer et ne peuvent pas le faire ..

    • pas faux. Les dirigeants elus n arrivent pas a resoudre les problemes ou meme les nient ) : exemple en France (le chomage ou le PS puis les LR se sont succedes en promettant la lune. ou les problemes lies a l immigration que toute la classe politique sauf le FN s emploie a nier)

      Le cote generationnel existe aussi. Vous avez d un cote une generation qui a bien vecu et qui arrivé a la retraite possede un niveau de vie elevé. Et a l opposé leurs petits enfants a qui on explique qu ils doivent se serrer la ceinture et qu ils ont de la chance d avoir un travail qui leur permet juste de payer les factures. L article met bien en evidence l effet deletere de la bulle immobiliere. Quand j ai commence a travailler (1990) jeune Ingenieur, je devais payer environ 1/3 de mon salaire pour me loger. Aujourd hui la personne au meme poste que moi qui voudrait vivre au meme endroit devrait y laisser environ 50 % -> impossible

      • votre obsession contre les retraité vous mène tous droit à la paranoïa

      • Sauf qu’aujourd’hui vous pouvez emprunter, dans la trentaine, à un taux imbattable de 1 %, ce qui était impossible en 1990. Ne vous plaignez donc pas, à la rigueur, plaignez les plus de 50 ans auxquels les banques ne prêtent plus, déjà trop âgés, et pourtant sensés travailler jusqu’à 70 ans.

        • en 1990 les prix etait nettement inferieur. C est pas pour rien que les duree moyen des prets sont passés de moins de 15 a presque 20 ans

          PS: vous etes sur que les banques ne pretent plus aux plus de 50 ans ? j ai une cousine qui a reussi a fair eun pret a plus d e60 ans. et pourtant elle est pas particulierement argentee (litote). Etre retraité etait probablement un plus pour la banque: elle a des revenus sur contrairement a un employe qui peut se faire virer

      • D’autres postes de dépenses étaient beaucoup plus élevés…

  • Le dernier paragraphe me semble porter une contradiction aussi amusante que celle de cet informaticien chilien : a l’heure du retour des grands impérialismes (…) le salutaire réveil des états-nations !? Une contradiction dans la confusion du type « La Grenouille qui se veut faire aussi grosse que le Boeuf». Déjà, la Turquie n’a pas les moyens de son impérialisme (PIB : 706 Mds USD), ni la Russie (PIB : 1 630 Mds USD), de même que tous ces pays qui salueraient le réveil de l’état-nation. Si impérialisme il y a, les USA (PIB : 21 345 Mds USD), et la Chine (PIB : 14 217 Mds USD), sont les deux seules entités qui, pour l’instant, peuvent soutenir la comparaison, de part leurs influences financières, leurs poids politiques et leurs armées. Et, on voit très bien aujourd’hui ce que ces géants peuvent faire à toutes ces sous-puissances régionales ou planétaires qui osent bomber le torse, qu’elles se prennent pour des états-nations ou non. Les manifestations dans tous les pays cités ne sont connues qu’à cause du nombre de participants et de la durée de celles-ci, gilets jaunes inclus, et impliqueraient l’idée, encore et toujours, que l’union fait la force (de nuisance, du moins).

  • ‘ Etat-Nation ‘

    Pourquoi pas cosmonaute-jardinier, ou mécanicien-manucure ?

  • Cet article est une synthèse remarquable de l’évolution de la géopolitique mondiale telle qu’elle s’impose actuellement à nous.
    Une synthèse pertinente des facteurs d’incompatibilité et d’opposition entre les peuples en fonction de leurs positionnements géographiques, de leurs particularités ethniques et de l’emprise de leurs religions dominantes.
    Également, en guise de conclusion, l’émergence de plus en plus marquée des Etats-Nations fondés sur des volontés revendicatives difficilement compatibles avec, devant nous et entoile de fond, un avenir de plus en plus incertain!…

  • Vous avez oublié Haïti

  • Excellent article.
    Démocratie directe !

  • Il y a une erreur pour l’Ethiopie où le Prix Nobel de la Paix, Abiy Ahmed, n’a pas cherché à museler l’opposition mais plutôt à libéraliser les médias, ce qui a libéré les flots de haine interreligieuse et interethniques.

    « Mais la légalisation de groupes dissidents et l’amélioration de la liberté de la presse ont également permis une expression plus libre des tensions intercommunautaires et des nationalismes ethniques. »

    https://www.jeuneafrique.com/848681/politique/ethiopie-abiy-ahmed-denonce-une-tentative-de-provoquer-une-crise-ethnique-et-religieuse-dans-le-pays/

  • Et toutes des revolutions socialistes demandant plus a l’état…..ou de simples changements de pouvoir sous un alibi populaire…comme un pays peuplé de veaux comme la france est paisible et agreable a vivre..au dessus du seuil de pauvrete biensur , merci messieurs les dictateurs de toujours separer le bon grain de l’ivraie pour que le veau paisse en paix .

  • Certaines manifestations qui semblent spontanées ne le sont pas en réalité. On ne le sait que bien plus tard, comme pour les printemps arabes.

  • Les commentaires sont fermés.

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