Par Johan Rivalland.
Je ne m’attendais pas vraiment à cela en commençant la lecture de ce petit recueil. Cette collection La petite bédéthèque des savoirs me semblait être une bonne idée et j’avais été plutôt séduit par le volume sur La crédulité et les rumeurs, réalisé en coopération avec Gérald Bronner, qui s’appuyait largement sur les travaux scientifiques de l’auteur.
Ici, l’aspect scientifique de la question me semble enfoui très loin sous l’aspect militant et très engagé de la sociologue auteur du présent recueil, Danièle Linhart. On n’y parle d’ailleurs finalement pratiquement pas du burn out lui-même…
Mai 68 et complot patronal
Si le bref avant-propos est intéressant, remontant à l’Antiquité pour montrer que le phénomène appelé aujourd’hui burn out depuis un célèbre roman de Graham Greene n’est pas totalement nouveau, mais a pris de l’ampleur dans le monde actuel, c’est après que les choses se gâtent…
La BD commence à la terrasse d’un bar, autour d’une bonne bière, où un homme probablement à la retraite (et que l’on fait passer pour un doux abruti tout au long de la narration), confie à sa sœur ses inquiétudes au sujet de son fils convoqué par son chef à un entretien d’évaluation. Sans même être accompagné de représentants du personnel !
Sa sœur, sociologue du travail, et maîtrisant bien son sujet (elle apparaît même comme très sûre d’elle-même et pas peu modeste), le rassure en lui indiquant que c’est comme cela maintenant, depuis que les salariés (qui ne cessent, d’ailleurs, d’être pris pour de vrais crétins tout au long du volume) ont des « objectifs personnels » fixés par leur chef et que « le travail est devenu progressivement une épreuve solitaire où tout le monde est en concurrence avec tout le monde ». Insinuant au passage que cela engendrerait des jalousies et des dissensions au sein des équipes et une régression dans les rapports humains.
Aussitôt, on en vient à la nostalgie de Mai 68, époque à laquelle les salariés, remettant en question l’ordre social, avaient fichu au patronat « la peur de sa vie ». Ce dernier avait alors « trouvé la parade » : « Individualiser la gestion des salariés pour créer de la concurrence… là où il y avait de la solidarité et de l’entraide, de la méfiance là où il y avait de la complicité ».
Il fallait déstabiliser et casser les collectifs, etc. Réplique du retraité :
« Ha ha, oui, je me souviens bien, qu’est-ce qu’on se marrait malgré le boulot de merde, les humiliations, hi hi, et le patron qui voulait s’en mettre plein les poches sur notre dos. »
Le burn out, symptôme révélateur d’un monde capitaliste régressif
Et c’est là, sous le mode du « c’était mieux avant » (à l’époque « où on prenait l’apéro en douce pendant le travail, qu’on se voyait en dehors de celui-ci et qu’on se disait que si on en bavait c’était à cause de l’exploitation »), qu’on en vient alors à tous ces phénomènes « dont on parlait pas avant » : burn out, souffrance au travail, suicides, risques psychosociaux, etc.
Je vous passe la suite… Je l’ai lu jusqu’au bout, mais la déception est grande car je ne vois pas en quoi il est ici question de « savoirs ». Davantage de propagande marxisante, manifestement. La sociologue qui dénonce le narcissisme et le conformisme des managers pourrait, au passage, parfaitement s’appliquer ces qualificatifs à elle-même.
Il ne s’agit pas ici de défendre coûte que coûte l’entreprise et les pratiques qui peuvent y avoir cours, ou les « méchants patrons ». Mais le cadre d’analyse d’un mal psychologique dont on parle régulièrement aujourd’hui et qui devait être le sujet central n’avait pas de raison a priori d’être abordé sous cet angle engagé, inspiré de la lutte des classes (Lénine est d’ailleurs cité, plus ou moins en référence, en page 60. C’est dire…), en faisant appel à des caricatures nombreuses et systématiques, à des métaphores (le cheval de Troie, utilisé par le patronat « pour affaiblir et vulnérabiliser les salariés »), à un vocabulaire orienté (« … des méthodes et des critères d’efficacité décidés unilatéralement par les directions »), à des généralisations, ainsi qu’à une interprétation très libre des théories du management et de la gestion des ressources humaines (accusées d’être gangrénées par l’idéologie et d’inciter à « raconter des histoires en permanence » aux salariés).
Un tissu de caricatures à peine croyable. À moins qu’il ne s’agisse d’une pure BD humoristique ?
Finalement, de manière paradoxale, Danièle Linhart ne fait qu’apporter un excellent cas pratique de ce que Gérald Bronner avait tenté de montrer concernant la crédulité et les théories du complot dans l’autre recueil de la collection cité plus haut.
Ou alors il s’agit d’une simple BD humoristique (lisez, vous allez sans doute rire), tant tout ce qui est présenté paraît délirant. Un exemple parmi tant d’autres : une manager Mc Donald’s disant sèchement à un pauvre petit nouveau effondré :
« Bien, maintenant vous allez passer la serpillère toute la nuit, et je veux qu’au matin mon café au lait-frites soit prêt à l’heure… »
Mais devant un tel constat, on peut estimer que tout ceci est assez désolant, dans le cadre d’une collection qui a pour prétention de chercher à informer et apporter de la connaissance sur un sujet présumé sérieux…
- Danièle Linhart – Zoé Thouron, Le burn out, La petite Bédéthèque des Savoirs – Le Lombard, mai 2019, 72 pages.
« Sociologue du travail », pas la peine de chercher plus loin… On y tète du marxisme tout le long de ses études, alors que peut-on espérer que ça donne ?
Les salariés seraient les plus durement touchés par le burn out ? Les statistiques des suicides par professions ne vont pas dans ce sens.
Va falloir approfondir votre commentaire, car il n’explique rien. Salariés versus qui ? (ouvriers ? Employés ? Fonctionnaires ?) Quelles professions versus quelles professions ?
Il est fort élevé chez les agriculteurs, ça c’est sûr. Et encore plus chez les enseignants.
Et les Policiers.
Au moins, grâce à Contrepoints, nous sommes mis en garde contre ce genre de dérives idéologiques qui consolent ceux qui s’estiment – bien souvent à tort – laissés pour compte, et trouvent là une explication simple à leurs maux et surtout, qui ne les met pas en cause.
La concurrence est une épreuve solitaire, certes, mais elle apporte l’émulation et évite à la communauté de traîner de trop lourds boulets, et de devoir se contenter du nivellement par le bas, faute d’incitation à progresser.
Au c’était mieux avant, je répond c’est mieux ailleurs
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