Glyphosate : un juge californien sceptique face aux opposants à Monsanto

Le classement du glyphosate en « probablement cancérigène » par le CIRC a été passé sous la loupe d’un juge californien par le biais de la mise en cause de la pertinence et de la fiabilité des expertises des témoins qui s’en sont prévalus.

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Mike Mozart Roundup monsanto (CC BY 2.0)

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Glyphosate : un juge californien sceptique face aux opposants à Monsanto

Publié le 12 avril 2018
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Par André Heitz.

La procédure avance devant le juge Vince Chhabria du tribunal de district pour le District Nord de Californie dans l’affaire qui oppose à Monsanto, en théorie, des personnes atteintes par un lymphome non hodgkinien (ou leurs ayants droit) ; en pratique, ce sont essentiellement des prête-noms – attirés par la perspective d’un gain sans investissement préalable – des cabinets d’avocats ayant flairé un gros coup dès l’annonce du classement du glyphosate en « probablement cancérogène » par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC).

Les « Monsanto Papers » et puis plus rien…

On en a eu des échos en France, dans un journal qui fut de référence, mais de manière fort sélective. C’est la saga des Monsanto Papers par laquelle les auteurs du feuilleton ont voulu nous démontrer une fois de plus que, décidément, Monsanto était le diable incarné sur Terre et qu’il ne répugnait à aucune manœuvre ni coup bas pour sauver son infâme produit, et discréditer le chevalier blanc CIRC ainsi que Chris Portier le Juste et l’onorevole Instituto Ramazzini.

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Et puis il n’y eut plus rien.

Leurs articles ont toutefois eu un impact considérable, notamment par la mise en place par le Parlement Européen d’une commission spéciale chargée d’examiner la procédure d’autorisation des pesticides dans l’Union Européenne. Des articles d’une remarquable indigence déontologique car les lecteurs n’ont eu droit qu’à une « information » partisane et partielle qui a notamment occulté le côté glauque du CIRC et de ses procédures ; en bref, une grande manœuvre pour saboter les procédures de ré-autorisation du glyphosate notamment aux États-Unis d’Amérique et dans l’Union Européenne.

Les auditions Daubert

Le juge Chhabria a mené les auditions Daubert du 5 au 9 mars 2018. On pourra trouver les transcriptions, ainsi que les vidéos, sur le site de l’US Right to Know, vitrine du biobusiness et du charlatanisme nutritionnel et médical et exécuteur des basses œuvres de dénigrement du conventionnel. Mme Carey Gillam a aussi produit un compte rendu – bien évidemment de sa perspective d’activiste.

L’audition Daubert (du nom d’une partie à un litige datant de 1993) est une procédure menant à une évaluation par le juge de l’admissibilité de témoignages d’experts scientifiques ; la partie qui dépose une motion en ce sens peut ainsi faire exclure de la procédure devant le jury les témoignages d’experts qui ne seraient pas qualifiés ou pertinents. Parmi les critères, il y a la pertinence « par rapport à la tâche à accomplir » et la fiabilité. Le témoignage doit reposer « sur des bases solides » ; une conclusion sera considérée comme une connaissance scientifique si son promoteur peut démontrer qu’elle est le produit d’une « méthodologie scientifique » solide dérivée de la méthode scientifique.

On l’aura compris : le classement du glyphosate en « probablement cancérigène » par le CIRC a été passé sous la loupe par le biais de la mise en cause de la pertinence et de la fiabilité des expertises des témoins qui s’en sont prévalus.

L’opinion du juge Chhabria

La pertinence du classement du CIRC

Le juge Chhabria a fait part de son opinion aux parties le 14 mars 2018 en leur donnant l’occasion de s’exprimer à son sujet.

Voici, expurgé des tics de langage et autres circonvolutions inutiles, l’opinion liminaire du juge :

Je pense qu’il y a deux questions assez faciles, et puis il y a une question ardue.

La première question facile facile est : la conclusion du CIRC que le glyphosate est un cancérogène probable, mène-t-elle les demandeurs là où ils doivent aller ?

Réponse : Non.

Et c’est l’un des plus gros problèmes avec la présentation des plaignants. Pour une bonne partie, ils ont supposé que parce que le CIRC a conclu que le glyphosate est un cancérogène probable, cela signifie que cela les amène à surmonter l’obstacle général du lien de causalité dans ce litige. Le problème est que bien que la conclusion du CIRC ne soit pas entièrement indépendante de l’expérience humaine, le CIRC indique très clairement que ce qu’il fait est conclure que le produit chimique est capable de causer le cancer ; et qu’il conclura qu’un produit chimique est un cancérogène probable ou même un cancérogène connu, même si les êtres humains ne sont pas actuellement exposés au produit chimique à des niveaux suffisamment élevés pour leur causer un cancer. La conclusion du CIRC n’est donc pas suffisante. Et suggérer que la classification du CIRC du glyphosate comme cancérogène probable est suffisante est trompeur. C’est, je pense, facile.

En bref, le juge n’a fait qu’exposer ce que dit le CIRC dans ses documents – et qu’il aurait dû expliquer dans le cadre d’une polémique sur le glyphosate qu’il a en fait contribué à attiser – et en a tiré la conclusion juridique logique.

Les opinions des experts des demandeurs

Et le juge a poursuivi :

Deuxièmement. Je pense que les opinions des experts des demandeurs sont fragiles. Je pense que la preuve que le glyphosate cause actuellement des lymphomes non hodgkiniens chez les humains aux niveaux d’exposition qu’ils connaissent actuellement est assez mince.

Il retient, sans enthousiasme, presque par défaut, le témoignage d’expert de Mme Beate Ritz, professeur à l’UCLA Fielding School of Public Health, qui a présenté ses propres analyses, sans se référer au CIRC. Mais…

Et elle a mis l’accent sur les études épidémiologiques. Et elle est parvenue à cette conclusion dont je pense qu’elle est douteuse que le glyphosate cause actuellement le LNH chez les êtres humains.

La question difficile, en bref, est de savoir s’il est raisonnable de se référer à des odds ratio non corrigés pour certains facteurs confondants, ou de faire du picorage (cherry picking). S’adressant à Mme May Wagstaff, une des avocates des plaignants :

Vous avez tous ces chiffres, dont la grande majorité sont statistiquement non significatifs. Et comment pouvez-vous vous concentrer sur ce chiffre particulier et conclure que, à un degré raisonnable de certitude scientifique, le glyphosate cause le lymphome non hodgkinien chez les êtres humains ? Cela semble au mieux très discutable, au mieux très fragile, et c’est peut-être de la science poubelle.

Deux experts réentendus

Le juge a décidé de réentendre Mme Beate Ritz le 4 avril 2018 (transcription ici) et, le 6 avril 2018, le fameux Christopher Portier – celui qui a participé au groupe de travail du CIRC en tant que « spécialiste invité » du 3 au 10 mars 2015 et a été recruté comme consultant par deux cabinets d’avocats prédateurs le 29 mars 2015, neuf jours après l’annonce du classement par le CIRC.

Mme Ritz a tenté de convaincre le juge que « sur-ajuster » peut biaiser les résultats :

Ce que j’ai tenté de faire comprendre, c’est que même si nous avons généralement une réaction impulsive qui consiste à tout mettre dans le modèle, c’est probablement la mauvaise approche. Vous devez réfléchir à la question de savoir quels pesticides sont des facteurs de risque, sont associés au glyphosate.

C’est là une tentative de torpillage de l’étude NAPP (North American Pooled Project), dont les odds ratios s’effondraient après ajustement pour l’utilisation du 2,4-D, du dicamba et du malathion.

Quant à Christopher Portier, il a notamment tenté de convaincre le juge que la dernière étude sur la cohorte AHS était biaisée :

De l’étude défectueuse qu’ils ont menée, ils n’ont rien vu […] Vous voyez ce que vous espérez voir à cause de la mauvaise classification de l’exposition.

Affaire à suivre

Les experts des plaignants – des cabinets d’avocats prédateurs – convaincront-ils le juge ? Le cas échéant, convaincront-ils le jury ? S’agissant de Beate Ritz, l’angle d’attaque nous semble curieux, le CIRC ayant classé le 2,4-D en « cancérogène possible » et le malathion en « cancérogène probable ».

Quant à la crédibilité de M. Portier… De toute manière, il se heurte à l’obstacle de la preuve du lien de causalité :

Après avoir regardé l’étude Andreotti […] je pense que la force de l’association observée  [entre le glyphosate et le lymphome non hodgkinien] est suffisamment grande pour justifier une forte opinion ici.

Selon le juge :

Mon rôle est de décider si les avis des experts des demandeurs sont, faute d’un meilleur terme, dans la fourchette du raisonnable. Et les tribunaux nous disent que même une opinion fragile peut être recevable, parce que cet expert fera l’objet d’un contre-interrogatoire. Et le jury, entendra toutes les preuves et décidera qui a raison et qui a tort.

Nous n’avons pas une haute opinion de l’efficacité des jurys états-uniens – fort imprévisibles – et ne ferons qu’un seul pronostic : l’affaire a toutes les chances d’être portées aux niveaux de juridiction supérieurs.

Et en Europe ? Et en France ?

En tout état de cause, le discrédit jeté sur la décision du CIRC de classer le glyphosate en « cancérogène probable » est maintenant plus que consommé dans cette procédure.

La grande question est de savoir si les instances qui ont été mises en branle au niveau européen, notamment la commission spéciale du Parlement Européen chargée d’examiner la procédure d’autorisation des pesticides dans l’Union Européenne, prendront acte de ce fait.

Même question pour le gouvernement français et son ambition d’interdire le glyphosate d’ici un peu moins de trois ans. Rappelons deux enjeux : un coût dépassant 1 milliards d’euros pour l’agriculture et 500 millions pour la SNCF (qui doit désherber et débroussailler ses voies et abords) ; remise en cause de pratiques agronomiques vertueuses comme le sans-labour et l’agriculture de conservation, ainsi que le projet quatre pour mille de stockage de carbone dans le sol.

Il y a une autre question, mais la réponse est simple : non, les lecteurs du Monde, et des médias suivistes et copieurs, ne le sauront pas. Ce n’est pas trivial malgré l’apparence : l’information est modulée en fonction d’objectifs politiques et sociétaux. Alors, ce qui est à ce stade une débandade des cabinets d’avocats prédateurs et de leurs experts n’est pas une information…

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  • Le CIRC a classé les frites dans la même catégorie que le glyphosate à savoir « cancérigène probable ». Donc soit les frites sont un dangereux poison qu’il faut absolument interdire dans les cantines pour sauver nos enfants soit le glyphosate est aussi inoffensif qu’un cornet de frite acheté dans un boui-boui au bord de la route.

    • @ Bouiz

      Oui! Sauf que l’IARC (le CIRC, « cirque », pour les Français) ne peut pas se permettre de dire: « Nous ne savons pas. ».
      Donc il ne faut ni dire « oui » ni « non », d’où le « probablement » trop approximatif … pour un produit qui a plus de 40 ans d’usage!

      Enquête mal fagotée!

  • Si Monsieur Heitz pouvait faire preuve d’autant de discernement envers les débilités carbone que pour le glyphosate cela apporterait du crédit à sa prose. Pour l’instant c’est poubelle pour moi et les probabilités qu’il travaille sur ordre sont importantes.

    Son CV de fonctionnaire semble par ailleurs montrer qu’il aime les organismes parasites.

    Bof.

    • Très bien, mais lisez quand-même le premier commentaire qui est factuel. Pensez aussi à la charcuterie (cancérigène certain), à la viande rouge (cancérigène certain), à l’alcool ou au tabac (…), qui restent en vente libre et sans provoquer aucune hystérie.
      Quand vous avez un produit qui est utilisé massivement dans le monde entier depuis plus de 40 ans, qui a été ausculté par toutes les agences sanitaires du monde entier pendant cette période, et pour laquelle une seule étude dit que peut-être, éventuellement, il pourrait être envisageable qu’il puisse y avoir un lien statistique faible entre l’utilisation du produit et l’apparition de certains cancers on ne peut que s’étonner de l’hystérie qui l’entoure.
      Au fait, Monsanto ne gagne plus d’argent sur le glyphosate depuis 2000n ce produit est dans le domaine public. Les gens qui militent contre ce produit en espérant taper Monsanto ne seraient-ils que des idiots utiles…?

      • Tout à fait, ils ne font que suivre les diktats des écologistes bios!

      • Cela n’a rien a voir avec ce que je dis. Je vais faire plus clair.

        J’ai mon avis sur le glyphosate et comme je pense qu’il sera interdit aux particuliers dans 3 ans je fais des stocks pour mes allées.

        Mon avis je le forge sur ce que je lis et comme je n’ai pas le temps de descendre aux études sources, en imaginant que je puisse les comprendre, je suis obligé de me fier à des intermédiaires. J’essaye donc de me faire une idée sur les biais que peuvent avoir ces intermédiaires.

        Ici je vois un fonctionnaire de l’ONU (bof) qui se croit obligé de faire référence aux conneries autour du carbone (bof bof). Et cela pour la deuxième fois en deux articles (beurk). Chez moi cela suffit pour discréditer la source, donc je confirme : poubelle. En clair, je n’intègre pas ce qui est dit et cela ne change donc en rien mon avis sur le glyphosate. Ni dans un sens, ni dans l’autre et je vais donc continuer à faire des stocks et à utiliser le produit précautionneusement et avec parcimonie.

  • Le Monde ne publiera jamais des informations contraire à son idéologie. Ce n’est pas un journal mais un torchon de gauche!

  • Les attaques « d’avocats prédateurs » sont un phénomène « culturel » aux USA. MONSANTO le premier en fait usage sans vergogne lorsqu’il attaque en justice les cultivateurs qui se retrouvent involontairement avec des maïs OGM dans leur champ traditionnel par effet de proximité avec un champ OGM Monsanto.
    A lire: « Le monde vu par Monsanto ».

    • C’est faux. Et ça fait partie des mensonges colportés par les mouvances alter et anti et certains auteurs dont l’honnêteté intellectuelle n’est pas la qualité première.

      En 2011, l’Organic Seed Growers & Trade Association (OSGATA) et d’autres ont entamé une procédure contre Monsanto (et Monsanto seulement, alors que d’autres entreprises étaient dans une situation similaire) pour faire invalider ses brevets au motif que les producteurs bio risquaient d’être poursuivis pour violation des brevets en cas de contamination accidentelle. L’affaire est montée jusqu’à la Cour Suprême. La plainte a été rejetée pour absence de cause (parce que Monsanto n’avait introduit aucune action ni suggéré qu’il le ferait dans les circonstances en question). Voir :

      http://www.osgata.org/osgata-et-al-v-monsanto/

      et

      https://monsanto.com/company/media/statements/gmo-contamination-lawsuits/

      Réfléchissez deux secondes : serait-ce une bonne politique pour un fournisseur de menacer ses clients, réels ou potentiels, de poursuites dans ce genre de circonstance ?

      Et tant que j’y suis, la célèbre affaire de Percy Schmeiser contre Monsanto au Canada n’est pas non plus liée à une contamination accidentelle, mais à des mesures que Schmeiser a prises sciemment pour se procurer illégalement des semences GM de canola.

      https://scc-csc.lexum.com/scc-csc/scc-csc/fr/item/2147/index.do

    • Une manière de travestir la réalité. D’abord, ce n’était pas du maïs OGM, mais du colza. Le maïs, ce n’aurait pas été possible car le maïs semence est un hybride et l’agriculteur n’a rigoureusement aucun intérêt à être ressemé car il obtiendrait un rendement beaucoup plus faible et hétérogène.
      Vous faites référence à Percy Schmeiser, un agriculteur qui a essayé de gruger Monsanto en disant que son colza avait été « contaminé » par des colza OGM. Il s’est avéré qu’il avait délibérément réutilisé du colza OGM sans vouloir payer des royalties. Il a essayé, il a perdu, il veut se faire passer comme une victime.
      Votre référence au « monde selon Monsanto  » de marie Monique Robin n’est pas franchement un gage de rigueur journalistique, et je reste poli.

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